Fil d'Ariane
Etait-elle coupable ? De quoi ? D'avoir hébergé ceux qui ont fomenté l'attentat du 14 avril 1865 qui coûta la vie au 16ème Président des Etats-Unis ? A l'examen des faits, il faut se rendre à l'évidence : Mary Surratt a été condamnée par un tribunal militaire sur la base de preuves indirectes.
Pourquoi un tribunal militaire, d'abord ? Ses avocats, pourtant, ont voulu faire valoir que ce procès devant une commission militaire était illégal, puisque l'assassinat avait eu lieu en temps de paix. Peine perdue. La jeune femme de 42 ans a été reconnue coupable de "complot" en vue de tuer Abraham Lincoln.
Oui, il est exact qu'elle hébergeait des sympathisants confédérés dans sa pension et qu'elle avait avec eux de longues conversations. Oui, il lui arrivait même de faire pour eux quelques courses. Mais tout ces faits ne sont pas la preuve d'une implication directe.
Lors du procès, elle se trouble un peu quand on affirme que des armes et de l'argent pour des agents confédérés ont été stockées dans sa taverne. Mais elle refuse avec force cette accusation de complicité dans la conspiration. Et rien n'indique qu'elle connaissait le plan meurtrier qui se préparait.
D'ailleurs, au cours de l'audience, on apprend que les condamnés ne souhaitaient pas tuer le président. C'est John Wilkes Booth, acteur célèbre et cerveau de l'affaire, qui a concocté le plan initial. Il prévoyait d'enlever le président Lincoln. Les conspirateurs auraient emmené le président-otage au Sud pour forcer le Nord à revenir à sa politique d'échange de prisonniers. Mais la réddition du général confédéré Robert E. Lee a changé la donne. Surtout, quelques jours avant de passer à l'acte, John Wilkes Booth a écouté un discours du président Lincoln et ses mots l'ont scandalisé : le président s'est déclaré favorable au droit de vote pour les Noirs.
Inadmissible, pour John Wilkes Booth.
Rentré chez lui, il couche ces phrases : "Maintenant, par Dieu ! Je vais le liquider. C'est le dernier discours qu'il fera !" On connait la suite. Le vendredi 14 avril 1865, vers 22 heures, il entre dans la tribune présidentielle du Ford’s Theatre à Washington et blesse mortellement le président Abraham Lincoln d'une balle dans la tête.
Mais revenons à Mary Surrat. Qui est cette femme qui va être pendue le 7 juillet 1865 ?
Née Mary Jenkins, elle a fréquenté une école de filles catholique gérée par les Sisters of Charity à Alexandria, en Virginie. Ses parents sont protestant mais à 12 ans, elle choisit de se convertir au catholicisme. Dans son ouvrage Le complice de l'assassin : Mary Surratt et le complot pour tuer Abraham Lincoln ", l'historienne Kate Clifford Larson précise : "L'engagement de Mary dans l'Église catholique a duré toute sa vie, mise à l'épreuve par l'intolérance de la société d'avant-guerre pour les catholiques".
C'est un fait important, sur lequel nous reviendrons.
En 1840, elle épouse John Surratt à l'église St. Patrick à Washington. Le couple achète un hectare de terrain dans le Maryland, sur lequel il fait construire un bâtiment. Il sera à la fois une taverne, un bureau de vote, un bureau de poste et la maison de Mary avec leurs trois enfants. Mais John décède en 1862 d'un accident vasculaire cérébral. Mary Surratt se retrouve avec de nombreuses dettes. Elle loue le bâtiment à un ancien policier. Mauvaise idée. Il témoignera contre elle à l'heure de son procès. Elle déménage à Washington avec ses enfants.
Le Maryland est un État esclavagiste et les Surratt ont six esclaves. Mais la guerre civile qui se prépare va tout bouleverser. Isaac, le fils aîné, quitte le Maryland pour se battre pour la Confédération et leur fils cadet, John, est un informateur qui recueille et transmet des messages secrets à l'armée confédérée. C'est à cette époque qu'il se lie avec l'acteur John Wilkes Booth, futur assassin du président.
Pendant la guerre civile, la taverne de Surrattsville est un refuge notoire pour sympathisants confédérés. Selon plusieurs témoins, Mary Surratt devient une proche confidente de Booth. A-t-elle eu une liaison avec le célèbre acteur ? Nul ne le sait. On le murmure. Sans preuve, toujours.
Lors de son arrestation, son fils John a déjà quitté le pays. Il s'agit d'un témoin clé dans cette affaire. Devenu fugitif, bien loin de Washington, il commence une vie rocambolesque.
Au moment où Mary Surratt est arrêtée, elle ne demande pas ce qu'on lui repproche et elle refuse de répondre aux questions concernant son implication.
Lors de son procès, les journaux se passionnent pour le sort de cette femme qui risque sa vie. S'il lui est défendue de s'exprimer, les témoins en sa faveur défilent au tribunal. Tous s'accordent à répéter combien sa foi catholique est fervente.
Ils rappellent qu'elle est même monté à cheval (une véritable audace pour l'époque) afin de collecter des fonds pour la construction d'une église. Mary Surratt a aussi converti sa mère, plusieurs parents et amis au catholicisme.
Enfin, argument-massue, Abraham Lincoln a été assassiné un vendredi saint. Comment imaginer que Mary Surrat ait pu planifier la mort d'une personne lors d'un jour si important pour les catholiques ?
Pendant les échanges au tribunal, elle s'accroche à son chapelet et prie sans cesse.
On rappelle que dans sa chambre, un crucifix est suspendu au-dessus du lit et une lithographie du pape Pie IX orne le mur.
Tout cela ne semble guère émouvoir le tribunal militaire.
Le tenancier de la maison, John M. Lloyd, un ancien policier, reste son principal accusateur. On affirmera plus tard que s'il n'a pas été inquiété dans cette histoire, lui qui vivait dans la maison, c'est parce qu'il a accepté d'être le principal témoin à charge contre sa propriétaire.
Le procès touche à sa fin.
Si le sort des trois autres prévenus ne fait guère de doutes - ce sera la pendaison - peu de personnes pensent que Mary sera exécutée. Aux Etats-Unis, on n'exécute pas une femme. Il se murmure que tout cela relève d'une stratégie. Si la condamnation est prononcée, c'est d'abord pour convaincre John, son fils, de se rendre. Pour faire pression. Certainement, s'il revenait, il sauverait la vie de sa mère. Hélas pour elle, John ne se manifeste pas. Il est en fuite au Canada voisin.
Les juges militaires rendent leur verdict le 30 juin 1865. Mary Surratt est reconnue coupable de trahison, de conspiration et de complot. Elle est condamnée à mort. Mais cinq des neuf juges qui l'ont trouvée coupable demandent à ce que sa peine soit changée en prison à vie dans un pénitentier.
Anna, la fille de Mary Surrat, son avocat et un prêtre s'adressent au président Andrew Johnson pour obtenir une grâce présidentielle. Une pétition est même écrite en faveur de la condamnée. Le président Johnson affirmera ne jamais l'avoir reçue.
L'opinion publique s'émeut très fortement. Il y a quelques semaines, Mary Surrat était honnie, présentée comme perverse, irrécupérable, diabolique. Désormais, quand se rapproche l'heure de l'exécution, les choses changent. Le sentiment de vengeance reste intact parmi la population mais la décision du tribunal d'exécuter une femme provoque une onde choc qui dépasse les clans.
Pour la première fois, le gouvernement fédéral des Etats-Unis va tuer une femme.
Le 7 juillet 1865, Mary Surrat est menée à la sentence avec les condamnés Powell, Herold et Atzerodt. Un photographe a été dépéché pour "immortaliser" cette mise à mort.
Le bourreau lui attache les bras derrière le dos, puis les jambes. Il lui enfile une cagoule avant de lui passer la corde au cou. Au moment où la trappe va s'ouvrir elle dit : "Je souhaite dire aux gens que je suis innocente." La trappe s'ouvre. Après quelques soubresauts, c'est fini. Son cadavre reste ainsi suspendu une vingtaine de minutes.
Elle repose aujourd'hui non loin de son principal accusateur, John M. Lloyd.