Deux hôtesses de l’air d'Aeroflot refusent de se soumettre aux diktats esthétiques. Et gagnent

Trop grosses, trop vieilles, trop moches : c’est ainsi que la première compagnie nationale russe a classifié en interne des centaines de ses hôtesses de l’air. Les collaboratrices blacklistées ont vu leurs conditions de travail se dégrader. Deux d’entre elles ont décidé de lutter contre l’injustice et les humiliations et ont finalement obtenu une victoire. Partielle, certes, mais une victoire tout de même. 
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hotesses de l'air russes
Evgenia et Irina ont été sanctionnées en raison de leur physique. Naturellement, leur mérite professionnel n’a pas été pris en compte : les 26 années d’expérience pour Irina, la gestion d’un certain nombre de situations d’urgence (réacteur en feu, vols interrompus) pour Evgenia. 
Photo publiée sur Facebook projet W :
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Dans une interview auprès de l’association russe Projet WRéseau d’entraide pour les femmes »), Irina Ierusalimskaya et Evgenia Magurina témoignent : durant l'été 2016, sous le prétexte d’un changement d’uniformes, les hôtesses de l’air d’Aeroflot ont été mesurées, photographiées (portrait en pied et gros plan du visage) et pour certaines, pesées. "Depuis 2009, la taille de mes vêtements n’a pas bougé, et cela n'a jamais influencé quoi que ce soit. Puis tout à coup, le 7 novembre 2016, la responsable du département me signale qu’un supplément au taux de cotisation personnelle, et c'est l'une des composantes du salaire, sera déduit de mon revenu parce que je ne satisfais pas aux exigences requises pour les membres des équipages de cabine." raconte Irina Ierusalimskaya.
« Il y a une liste des discriminées : d’abord celles qui arrivent bientôt à la retraite. En deuxième, celles qui portent du 44. Et en troisième celles qui ne parviennent pas à satisfaire lors de la séance photo. Notre direction a défini ses propres critères de beauté et si vous n’y correspondez pas, vous vous retrouvez sur la liste. »  renchérit  Evgenia Magurina

A la suite de quoi, 600 collaboratrices environ, en comptant la filiale à Kaliningrad, ont fait l’objet de listes confidentielles. Elles ont fini par remonter à la surface. Baptisées par le personnel touché « VGM » (« CTC » en russe), abréviation pour «Vieilles, Grosses, Moches», ces listes recensent les employées dont la taille dépasse le 48 (42 en taille européenne), qui ont plus 40 ans et dont le physique est jugé inesthétique par la direction.

Une opération de sélection déguisée 

Les militantes du Projet W qui soutiennent Irina et Evgenia, rapportent des mentions faites à la main dans ces listes, telles qu’un visage disgracieux, un poids ou un maquillage non conforme. 

Après la « séance photo », les collaboratrices fichées ont été placées sur des vols domestiques. Or, avec des trajets courts, il est difficile d’atteindre les 600 heures requises pour être correctement rémunérée. Les hôtesses de l’air concernées ont vu leur santé et leur vie privée se dégrader, à force de faire un grand nombre de vols internes, souvent la nuit et tôt le matin. Des diminutions directes de rémunération ont aussi été appliquées.

Révoltées, deux hôtesses de l’air, Irina Ierusalimskaya et Evgenia Magurina, ont écrit aux pouvoirs publics, et même directement à Vladimir Poutine. Pas de réponse. Leur refus de passer sous silence les injustices leur a coûté des humiliations publiques, et au travail : par exemple, Aeroflot a mené une campagne médiatique offensive, avec des titres tels que « La grosse hôtesse de l’air » tandis que le 8 mars 2017, journée internationale des droits des femmes, très importante (et fériée) en Russie, Irina n'a pas eu le droit d’offrir des fleurs aux passagères de son vol - une tradition très ancrée depuis 1917.

Une bataille judiciaire de longue haleine  

Malgré la pression, Irina et Evgenia ont porté plainte contre Aeroflot et ont été déboutées en première instance en avril 2017. Mais, fortes du soutien du public sur les réseaux sociaux (et de la pétition sur change.org qui a franchi le cap des 50 000 signatures), elles ont fait appel. Le 6 septembre 2017, le jugement leur a donné raison : les exigences de taille sont illégales et ne pourront plus être appliquées au sein de la compagnie. Irina et Evgenia seront dédommagées pour préjudice moral (à hauteur de 5 000 roubles : 73 euros) et suite à la baisse de salaires qu’elles ont subie. En revanche, le tribunal municipal de Moscou n’a pas reconnu l’existence d’une discrimination…

Les hommes qui portent du 54 (48 en taille européenne) ne gênent pas le passage, eux : est-ce qu’il y a deux passages dans l’avion, l’un pour les hommes et l’autre pour les femmes ?
Irina Ierusalimskaya

Selon Aeroflot, les normes physiques pour le personnel de bord sont nécessaires afin de ne pas gêner le passage, réaliser facilement la consigne en cas d’évacuation et limiter les coûts supplémentaires dûs au « surpoids » de l’avion … Indignée, Irina soulignait la nature discriminatoire de ce règlement : « Les hommes qui portent du 54 (48 en taille européenne) ne gênent pas le passage, eux : est-ce qu’il y a deux passages dans l’avion, l’un pour les hommes et l’autre pour les femmes ? » 

D’après les hôtesses de l’air et le syndicat, il s’agit d’une nouvelle « politique d’image » d’Aeroflot, menée en particulier auprès de la clientèle plus aisée des vols internationaux. Ce qui explique la relégation du personnel « non conforme » sur les vols domestiques. La tyrannie du physique semble propulsée par le Directeur Général d’Aeroflot Vitaly Savelyev, qui avait aussi voulu obliger les hôtesses de l’air à passer toutes au blond. Heureusement sans succès. 

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Le DG d’Aeroflot (sur la photo) s’est déjà vanté dans une interview de contrôler les corps des hôtesses de l’air : « J’ai demandé de ne plus produire d’uniformes de taille supérieure à 48 (42 en taille européenne) : résultat, plusieurs employées ont perdu du poids. »
Photo publiée sur Facebook Projet W :
https://www.facebook.com/popova.alyona/posts/1524616267558908

Dans une annonce d’embauche, on ne demande jamais à un homme d’avoir un physique de mannequin. D’où la croyance que la femme doit d’abord être belle, et un homme – professionnel. Et cela dans un pays où 79% des femmes travaillent
Projet W

Les militantes du Projet W racontent à Terriennes que la discrimination des hôtesses de l’air d’Aeroflot reflète la manière dont la femme est perçue dans la société russe hyper-normative, « en tant que corps ou marchandise à vendre au client ». « Dans une annonce d’embauche, on ne demande jamais à un homme d’avoir un physique de mannequin, mais c’est souvent demandé aux femmes. D’où la croyance que la femme doit d’abord être belle, et un homme – professionnel. Et cela dans un pays où 79% des femmes travaillent ».
La victoire (même partielle) d’Irina et d’Evgenia, médiatisée sur les réseaux sociaux, est importante : « c’est un signal pour la société qu’une femme n’est pas un bonbon dans un joli emballage, mais qu’elle est égale à l’homme ».

Le sexisme dans les compagnies aériennes, à l’image des pays qu’elles incarnent  

L’affaire Aeroflot n’est pas sans rappeler l’objectivisation des femmes au sein d’autres compagnies. Les hôtesses de l’air de Qatar Airways n’ont acquis le droit de tomber enceintes et de se marier qu’en 2015. Aujourd’hui, cette compagnie rivalise pour la moyenne d’âge de son personnel de bord avec notamment Thai Airways et Singapore Airlines (et ses « Singapore Girls »). En juillet 2017, le DG de Qatar Airways s’est moqué des compagnies américaines où les clients sont « servis par des grands-mères ». Air India, Thai Airways, Malaysia Airlines, parmi d’autres, ont voulu contrôler le poids de leurs hôtesses de l’air. 
Sans oublier aussi les campagnes publicitaires qui nourrissent des stéréotypes sexistes : cela va de l’image de l’hôtesse hypersexualisée dans Safety in Paradise d’Air New Zeland (ou dans la publicité pour le site Kazakh « Chocotravel »), à la vidéo de démonstration de sécurité d’Air France, certes, « deuxième degré », mais qui joue néanmoins sur le cliché de l’hôtesse de l’air jeune et jolie …