Fil d'Ariane
Monique Bydlowski a travaillé trente ans à la maternité de l’Hôpital Antoine-Béclère, en région parisienne. Son rôle ? Observer et écouter les mères, depuis les consultations périnatales jusqu’aux lendemains de couches, en passant par la naissance. "Comme l’avait compris le chef de service, pour un travail fécond, aucun lieu ne m’était interdit." C’est que, souvent, l’accent est mis sur le côté physiologique de l’accouchement et le bien-être du bébé. Or, assure la spécialiste, la femme enceinte est "psychiquement transparente". Des réminiscences du passé et des fantasmes habituellement tenus secrets viennent aisément à sa mémoire.
Il suffit parfois de restaurer l’enfant que la future mère a été en exhumant un conflit intrafamilial ancien pour dédramatiser une situation à peu de frais.
Monique Bydlowski, psychiatre et directrice de recherche à l'Inserm
Une transparence dont témoignent les Madones de la Renaissance, poursuit la psychiatre. "Souvent, ces Madones affichent un regard oblique : leurs yeux sont tournés vers l’intérieur d’elles-mêmes et non vers l’enfant." L’avantage de cet état de transparence ? Etre propice aux réglages ou autres réparations psychologiques. En tant que "crise maturative", la grossesse est comparable à l’adolescence et "il suffit parfois de restaurer l’enfant que la future mère a été en exhumant un conflit intrafamilial ancien pour dédramatiser une situation à peu de frais".
Ce qui n’est pas du luxe, car, en se redressant, l’être humain a rendu l’accouchement plus douloureux sur le plan physiologique et plus compliqué sur le plan psychique. Le physique, tout d’abord. Chez les animaux, le fœtus s’étire transversalement et le travail de naissance ne rencontre pas d’obstacles mécaniques, détaille la spécialiste. A l’inverse, chez l’être humain, "la forme ovoïde de l’utérus et le fait que le fœtus doit tourner la tête la première et franchir un détroit osseux resserré" rend la délivrance plus douloureuse et plus périlleuse. Voilà pourquoi, jusqu’au milieu du XIXe siècle, et même au début du XXe, la mort hante chaque accouchement. Aujourd’hui, dans les pays développés, le taux de mortalité est de moins de 0,3% et tout est tenté, normalement, pour réduire les douleurs à néant.
"Mais ces progrès n’ont pas fait disparaître l’angoisse", note la psychanalyste. Qui ajoute, avec acuité, que, "lors de l’accouchement, la femme fait une expérience existentielle inconcevable : sa volonté est anéantie, son corps prend les commandes et s’ouvre malgré elle". Pas étonnant que ce moment soit souvent sexualisé, puisque, outre le rapprochement anatomique de ces deux expériences, dans la naissance, comme dans la jouissance, le corps impose sa loi à l’esprit.
Etre parent pour la première fois implique de renoncer à sa propre position d’enfant, d’en finir avec l’idéalisation parentale et de reléguer père et mère dans la catégorie des vieux.
Monique Bydlowski, psychiatre et directrice de recherche à l'Inserm
Un autre élément psychique propre à toute naissance ? La rocade de génération. "Etre parent pour la première fois implique de renoncer à sa propre position d’enfant, d’en finir avec l’idéalisation parentale et de reléguer père et mère dans la catégorie des vieux", sanctionne la psychiatre. Or, constate-t-elle, ce mouvement n’est pas simple dans notre société qui célèbre la presque éternelle jeunesse des seniors. Et il n’est possible que si le jeune parent s’identifie "de manière positive à ses propres parents", d’où la nécessité des réglages évoqués plus haut.
A cet égard, la psychiatre se penche spécifiquement sur les liens entre la mère et ses parents. Déjà, dit la spécialiste, reprenant la doxa freudienne, "il n’y a pas de désir d’enfant chez une femme hors du désir incestueux". D’après le fondateur de la psychanalyse, "toute grossesse indique le désir d’obtenir du père le pénis dont la fille a été privée". Et, poursuit l’auteure, ce désir est partagé par le père lors de la première gestation de sa fille, avec, pour conséquence, des manifestations physiques, de "maladie, voire de décès" quand le lien n’est pas sain.
Plus facile à imaginer, "lorsqu’elle enfante une femme rencontre sa propre mère et la prolonge, tout en se différenciant d’elle", poursuit la psychanalyste. "On a ainsi pu dire que les femmes qui détestent leur mère n’ont pas d’enfant, la haine ne permettant pas de s’inscrire dans la continuité." A l’inverse, le besoin d’identification explique qu’une confiance éphémère s’établisse entre mère et fille, même si "d’intenses conflits ont marqué la relation jusqu’à cette date". C’est que, à travers le premier enfant, "une femme règle sa dette de vie à l’égard de sa propre mère et de la Terre-Mère".
Toutes ces données sur l’inconscient permettent à Monique Bydlowski de proposer cette charade psychanalytique en guise de cadeau de Noël. Mon premier, dit-elle, est l’identification à la mère fiable des débuts de la vie. Il s’agit pour la future parturiente de retrouver "l’amour pour sa mère, fontaine de tendresse". Mon deuxième consiste à recevoir, comme elle, un enfant de son père. "L’amour œdipien de la jeune fille culmine dans la réalisation de ce bébé." Mon troisième est constitué par la rencontre adéquate de l’amour sexuel pour "un homme du présent qui va incarner idéalement la synthèse de deux amours précédentes : père et mère". Et mon tout est "la conception et la naissance de cet être nouveau qui, au terme d’une attente, transformera la femme en mère".
Il est né, le divin enfant !
Pionnière de la dimension psychique de la maternité, Monique Bydlowski a été la première chercheuse française à s'intéresser aux aspects inconscients de la grossesse et à alerter le corps médical sur le nécessaire accompagnement psychologique de certaines femmes enceintes. Pour écrire Devenir mère, elle puise à sa longue pratique auprès des femmes qu’elle a suivies à la maternité ou accompagnées en thérapie.
Elle a consacré sa carrière de chercheur à l’exploration psychique de la fertilité et de la maternité en terrain hospitalier. Témoin et acteur de l’aventure des premières procréations médicalement assistées en France, Monique Bydlowski a notamment publié : La Dette de vie (1997), Je rêve un enfant. L’expérience intérieure de la maternité (2000), Les Enfants du désir (2008), Recherches en psychopathologie de l’enfant (2019).
En 2018, elle débattait avec le docteur Pierre Jouannet sur la procréation assistée :