Déwé Gorodey n'est plus, la Nouvelle-Calédonie est orpheline

Autrice et poétesse d'avant-garde, Déwé Gorodey était aussi une fervente militante kanak et féministe, qui brisa le tabou des violences sexuelles en Nouvelle-Calédonie. Une grande figure de la politique et de la culture ultramarines disparaît. 
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Déwé Gorodey
Détail d'une photo de Déwé Gorodey prise au festival Voix Vives de Méditerranée à Sète, en 2016.
 
©Wikipedia
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Déwé Gorodey, première romancière kanak et pionnière de la lutte pour l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, avait 73 ans. Le cancer contre lequel elle luttait depuis plusieurs années a fini par avoir raison de sa combativité. Elle est décédée le 14 août 2022 à l'hôpital de Poindimié, sur la côte est du territoire français du Pacifique sud. Dans l'archipel et la métropole, l'hommage du monde culturel et politique est unanime.

Le gouvernement collégial calédonien a rendu hommage à une "femme politique indépendantiste et écrivain kanak de renom international, qui a marqué la vie" de l'exécutif local. Ancienne vice-présidente du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, elle y a pris part pendant vingt ans, de 1999 à 2019, notamment en charge de la condition féminine, de la culture et de la citoyenneté. Militante féministe, elle s'est battue pour la cause des femmes kanaks aux côtés de Marie-Claude Tjibaou, veuve de l'ancien leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, avec qui elle a participé à une mission de femmes au Mali en 1992.

Retenons ce qui était sa bataille de cœur, la défense de la culture et de l'identité kanak
Rima Abdul Malak, ministre française de la Culture

Le FLNKS, coalition historique de la lutte kanak, salue "une grande dame de cœur et d'esprit, qui a lutté de tout temps pour la liberté de son peuple et la pleine souveraineté de son pays".

"Immense poétesse, romancière d’avant-garde, militante convaincue, amoureuse de sa terre calédonienne et du peuple qu’elle vit souffrir et chanter, Déwé Gorodey laisse orphelins non seulement les enfants de la culture calédonienne, mais tous les amoureux de la beauté et de la liberté", souligne le ministère chargé des Outre-mer.
"L'action est vaste, multiple, mais retenons ce qui était sa bataille de cœur, la défense de la culture et de l'identité kanak", réagit pour sa part la ministre française de la Culture, Rima Abdul Malak. La ministre salue la mémoire d'une "femme fière et généreuse à qui rendre hommage aujourd'hui est un devoir et un honneur".

Naissance d'une indépendantiste

Née en 1949 à Ponérihouen, dans le nord-est de la Nouvelle-Calédonie, Déwé Gorodey poursuit des études de lettres entre 1969 et 1973 dans le sud de la France métropolitaine, à Montpellier, où elle s'ouvre à la fois à l'écriture et à la politique, imprégnée des idées contestataires et de libération de mai 1968.

Dès son retour dans son île natale, elle s'engage dans les premiers mouvements indépendantistes kanak et participe à des actions militantes, qui lui vaudront plusieurs séjours en prison. Elle était membre du Palika (parti de libération kanak), l'une des deux principales composantes du FLNKS. C'est derrière les barreaux qu'elle compose son premier recueil de poésie intitulé Sous les cendres des conques, œuvre militante et hymne à sa culture océanienne.

Briser le tabou des violences sexuels en Nouvelle-Calédonie

l'épave
Réédition de 2019 du premier roman de Déwé Gorodé.
Déwé Gorodey est aussi l'autrice de plusieurs recueils de nouvelles, d'aphorismes et d'une pièce de théâtre. En 2005, cette militante féministe publie L'Epave, premier roman kanak jamais publié, qui brise le tabou des abus sexuels et des violences faites aux femmes.
 

"Dans la langue qui lui est propre, Déwé Gorodey dresse les portraits sans concession d’hommes et de femmes tourmentés, composant par touches parfois crues, parfois gaies, parfois sombres, un tableau sans fard des passions qui ravagent les êtres. Sans faux-semblant, sans pudeur hypocrite, l’auteure choisit de dire le désarroi des femmes salies, abusées dès l’enfance, parfois au sein même de leur famille, soumises physiquement et moralement au bon vouloir du sexe fort," peut-on lire sur le blog de Joël Paul consacré à la Nouvelle-Calédonie.

Il y a dix ans, elle publiait Tâdo, Tâdo, wéé ! ou No more baby, un roman présenté par la télévision calédonienne :

Le monde culturel calédonien a salué l'héritage de son action au sein du gouvernement citant notamment la création de la Maison du livre, l'Académie des langues kanak, le Salon international du livre océanien (Silo), ou encore le Pôle export de la musique et de la danse (Poemar).

Sur la chaîne de web documentaires calédonienne Kanka Kanak, elle revient sur son attachement à la langue et à l'héritage de son archipel et aux sources de ses engagements :