Diana Russell, la sociologue qui introduisit le terme "féminicide", est décédée

Militante et universitaire féministe, Diana Russell inventa le mot-valise "féminicide" à partir des termes "féminin" et "homicide". Elle fut la première à le définir comme un "meurtre à mobile misogyne... motivé par la haine, le mépris, le plaisir ou le sentiment d'appropriation des femmes”. Après avoir consacré sa vie à la lutte contre les crimes envers les femmes, la sociologue est morte à 81 ans aux Etats-Unis. 

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Diana Russell, photo de son profil Facebook.
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Elle est décédée le 28 juillet 2020 à Oakland, en Californie, près de San Francisco, où elle vivait et travaillait depuis des décennies. Diana Russell a succombé à une "déficience respiratoire"  à l'âge de 81 ans.

Universitaire éminente, Diana E. H. Russell était aussi une auteure et féministe de réputation mondiale. Elle a signé d'innombrables ouvrages et articles sur le viol conjugal, l'inceste, le meurtre misogyne, la pornographie... Mais si elle passe aujourd'hui à la postérité, c'est surtout pour avoir défini et popularisé le mot "féminicide" : "le meurtre de femmes commis par des hommes parce que ce sont des femmes". Un meurtre "motivé par la haine, le mépris, le plaisir ou le sentiment d'appropriation des femmes". L'avis de décès publié sur son site le rappelle : "elle voulait mettre en avant la misogynie menant à des crimes mortels de femmes, et pour elle, des termes non genrés comme 'meurtre' ne parvenaient pas à le faire”.

Ce n'est pas avant 1992 que l'Américaine d'origine sud-africaine Diana Russell et la criminologue britannique Jill Radford diffusent auprès du grand public le terme Femicide ("féminicide" en français) en l'introduisant dans le titre de l'ouvrage qu'elles consacrent au  phénomène : Femicide, The Politics of Woman Killing ("Féminicide, l'aspect politique du meurtre de femmes"). Même si le livre n'est pas traduit dans toutes les langues (il ne l'est pas en français), le mot-valise, lui, sera peu à peu adopté dans le monde entier pour désigner les meurtres à mobile misogyne, les meurtres où une femme est tuée par un homme parce qu'elle est une femme : de la tuerie de l'Ecole polytechnique de l'Université de Montréal, en 1989, aux meurtres des nouvelles-nées en Chine sous la politique de l'enfant unique, en passant par le féminicide intime. Certain.es suggèrent d'ailleurs, aujourd'hui, un autre terme pour qualifier ce qu'il était, depuis la nuit des temps, convenu d'appeler le "crime passionnel" :

S'il faudra quelques années pour que ce mot entre définitivement dans le lexique courant, le terme de féminicide s'est aujourd'hui largement imposé, surtout dans les pays les plus touchés par les meurtres de femmes, où il a aidé les mouvements féministes à mieux s'armer pour dénoncer le phénomène avec davantage d'acuité et de combativité contre des systèmes politiques et judiciaires réfractaires aux questions de genre. L'Amérique latine, en particulier, est très mobilisée contre les feminicidios, notamment après une vague d'assassinats sordides, dans les années 1990, à Ciudad Juarez, au Mexique. Les campagnes contre le féminicide ont porté, toutefois, puisque ces quinze dernières années, une dizaine de pays latino-américains, dont le Mexique, le Chili ou l'Argentine, ont introduit le concept de feminicidio dans leur code pénal.

Universitaire prolifique

Née en 1938 au Cap, en Afrique du Sud, d'une mère britannique et d'un père sud-africain, Diana Russell rejoint la Grande-Bretagne à 19 ans, où elle étudie à l'École d'économie et de sciences politiques de Londres. Admise à l'université d'Harvard en 1963, elle s'installe à Boston, aux Etats-Unis, où elle étudie la sociologie et les mouvements révolutionnaires, à commencer par le mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud. 

Devenue professeure de sociologie, elle enseigne à Mills College, à Oakland, en Californie, où elle se voit confier le premier cours sur les femmes proposé par cette université. Son programme sera à l'origine du cursus novateur de Women’s Studies du Mills College - l'un des premiers du genre aux Etats-Unis et dans le monde.

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Diana Russell était une auteure prolifique. Couvertures de ses publications postées sur sa page Facebook.
Au cours de sa carrière universitaire, Diana Russell mènera quelque 900 entretiens en longueur avec des femmes. Elles lui donneront la matière pour les nombreux ouvrages qu'elle a signés : Rape in Marriage ("Le viol conjugal" en 1982), Sexual Exploitation : Rape, Child Sexual Abuse, Workplace Harassment ("Exploitation sexuelle : viol, abus sexuels sur les enfants, harcèlement au travail", 1984) et The Secret Trauma ("Le traumatisme secret" en 1986) - la première étude scientifique sur l'inceste. En 1987, la sociologue féministe retourne en Afrique du Sud pour rencontrer les militantes du mouvement anti-apartheid. Des entretiens qui mèneront à la publication de Lives of Courage: Women for a New South Africa ("Vies de courage : femmes pour une nouvelle Afrique du Sud", 1989).


En 1993, Diana Russell s'attaque à la pornographie faite par et pour les hommes, et à ses conséquences pour la condition féminine. De ses études, elle tire un ouvrage présentant une vision féministe de la pornographie, intitulé Making Violence Sexy: Feminist Views on Pornography ("Sexe et violence : ce que pense les féministes de la pornographie"). S'ensuit, en 1994, Against Pornography: The Evidence of Harm ("Contre la pornographie : les preuves de sa toxicité"), qui veut mettre en évidence le lien entre pornographie et fréquence des viols. 

Femme d'action

Tout sa vie, Diana Russell se consacre à la lutte contre les crimes envers les femmes à travers ses études théoriques et universitaires. Mais elle est aussi activement engagée sur le terrain. Dès les années 1970, elle milite pour et avec les femmes dans le monde entier. Ces actions mèneront à la création du premier Tribunal international des crimes faits aux femmes, en 1976, à Bruxelles. Un tribunal inauguré par Simone de Beauvoir, pour qui cette institution était : "Le début de la décolonisation radicale des femmes". C'est lors d'une allocution devant ce tribunal que Diana Russell utilise pour la première fois le terme Femicide.

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En 1977, Diana Russell est l'une des fondatrices de Women Against Violence in Pornography and Media (WAVPM), première organisation féministe contre la pornographie dans le monde.

Lors de la création du groupe des féministes anti-nucléaires FANG (Feminists’ Anti-Nuclear Group), elle est là aussi, pour dénoncer le rôle du patriarcat dans le développement des armes nucléaires.

In 1993, Diana Russell lance Women United Against Incest, qui propose une assistance juridique aux victimes d'inceste. En Afrique du Sud, elle crée la première émission de télévision qui donne la parole aux victimes d'incested

Militante de terrain

Universitaire prolifique, infatigable femme d'action, Diana Russell est aussi bien souvent en première ligne dans les manifestations féministes aux Etats-Unis, en Afrique du Sud et en Europe. Elle proteste devant les tribunaux, les théâtres, les institutions gouvernementales. Elle tague des slogans féministes sur les murs des entreprises misogynes et détruit les revues pornos dans les kiosques.

Pendant des mois, elle se poste devant un restaurant de Berkeley, près d'Oakland, en Californie, pour dénoncer le trafic de jeunes filles mineures dissimulé par le propriétaire. Une autre fois, elle prend la défense d'une serveuse renvoyée pour avoir refusé de servir un client en train de lire Playboy dans l'établissement. La direction du magazine ayant riposté en distribuant la revue gratuitement à tous les clients du restaurant, Diana Russell et six autres manifestantes, habillées en serveuses, distribuent des "hotdogs" en forme de pénis au public devant l'établissement... Au-delà de leur aspect humoristique et bon enfant, ces actes de désobéissance civile lui valent plusieurs arrestations et mises en accusation, voire des agressions physiques. Mais rien ne semblait l'arrêter.

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Le drapeau féministe conçu par de Diana Russell.
www.dianarussell.com

Fidèle à ses valeurs de sororité, Diana Russell vivait dans une collectivité de femmes. Elle était en train d'écrire ses mémoires, qui restent inachevées. Son site Internet (en anglais) propose un vaste tour d'horizon de ses actions, féministes et politiques, publications, photos, videos... 

Aujourd'hui, en France, le meurtre d’une femme ou d’une jeune fille parce qu'elle est une femme n’est pas reconnu en tant que tel par le code pénal.