Fil d'Ariane
L'état d'urgence et des élections dès 2023. Dina Boluarte joue ses dernières cartes en tant que première présidente du Pérou pour tenter de ramener le calme dans le pays, plongé dans une de ses plus graves crises.
Après plus d'une semaine de manifestations violemment réprimées, qui ont fait plusieurs victimes, les syndicats agraires et organisations sociales paysannes poursuivent leur grève "illimitée". Un mouvement de colère provoqué par l’arrestation de Pedro Castillo et contre la nouvelle présidente Dina Boluarte, qualifiée d’"usurpatrice" par les soutiens de l’ex-président.
La nouvelle présidente a pris les rênes du Pérou le 7 décembre à l’issue d’une journée rocambolesque où Pedro Castillo, accusé de corruption, a joué le tout pour le tout. L’Assemblée nationale dominée par la droite s’apprêtait à lancer une procédure de destitution pour la troisième fois en un an.
Acculé, l’ancien maître d’école et « outsider » de la présidentielle de 2021 a tenté de dissoudre le Parlement pour gouverner ensuite par décret. Mais sans soutien d’une quelconque institution, sa tentative de coup n’a pas abouti. L’Assemblée nationale a voté sa destitution pour « incapacité morale ». Après dix-sept mois au pouvoir, le quatrième président depuis 2016, s’est retrouvé en prison accusé de rébellion et conspiration. Ces poursuites s'ajoutent aux six autres enquêtes pour corruption ou trafic d'influence le visant, infractions dont sont également accusés des membres de sa famille et de son entourage politique.
Quelques heures plus tard, Dina Boluarte promettait de former « un gouvernement d’union nationale », tout en dénonçant le coup d'Etat avorté de son prédécesseur. Ella a aussitôt reçu le soutien de l’Union européenne dans “tous les efforts visant à rétablir le dialogue et à renforcer l'Etat de droit et les institutions démocratiques au Pérou”. Même son de cloche à Washington.
Le soutien est pourtant beaucoup plus diffus à domicile. Elle n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale et la gauche est bien trop fragmentée pour constituer un bloc solide, qui ne la soutiendrait probablement pas. Dina Boluarte était issue du même parti de gauche marxiste que Pedro Castillo, Pérou libre, mais elle a été expulsée en janvier 2022 quand elle a pris ses distances avec la formation politique : « Je n’ai jamais embrassé l'idéologie de Pérou libre », a-t-elle déclaré tout en rappelant son souhait de mettre en place un système de santé universel et un meilleur système de l'éducation.
Face à cette “tempête parfaite”, elle paraît bien seule. Pourtant, Dina Boluarte ne manque pas d’expérience politique. « Elle a une carrière de fonctionnaire derrière elle et s’est présentée aux élections municipales en 2018 sans succès puis aux élections législatives de 2020 », rappelle Adriana Urrutia, politologue et Présidente de l’association péruvienne “Transparence”.
Quand le syndicaliste Pedro Castillo est invité par Pérou libre à se présenter à la présidentielle sous sa bannière, c’est Dina Boluarte qui est désignée comme colistière pour « respecter la loi de parité et d’alternance », qui promeut une meilleure représentation des femmes en politique.
Ce ticket remporte de justesse la présidentielle de 2021 face à Keiko Fujimori. L’affrontement entre la gauche radicale et l’extrême droite polarise le Pérou d’avantage.
« Dina Boluarte a été élue au même titre que Pedro Castillo, ajoute Adriana Urrutia. Elle a également été nommée ministre du Développement et de l’inclusion mais elle a laissé de côté ce portefeuille pour se consacrer pleinement à son rôle de vice-présidente ».
À la question, est-ce que Dina Boluarte est capable de fédérer ?
Alicia del Aguila, agente régionale du programme IDEA international, Institut de la démocratie, répond : « Elle vient de présenter un gouvernement de technocrates avec quelques figures qui sortent du lot. Une seule personne ne doit pas porter tout le poids de cette énorme crise. ‘La politique’ est devenu un gros mot au Pérou mais il est véritablement temps de faire de la politique, de trouver un consensus. Il faut des accords de gouvernement ».
La vida de ningún peruano amerita ser sacrificada por intereses políticos. Expreso mis condolencias por el fallecimiento de un ciudadano en Andahuaylas. Reitero mi invocación al diálogo y a deponer la violencia.
— Dina Boluarte Z. (@DinaErcilia) December 11, 2022
[La vie d’aucun péruvien ne mérite d’être sacrifiée aux intérêts politiques. J’appelle une nouvelle fois au dialogue et à la fin des violences.]
Difficile néammoins de trouver des accords quand le Parlement n’est pas très enclin à raccourcir son mandat et quand une grande partie du pays veut chasser la nouvelle présidente et toute la représentation nationale, “des rats corrompus”, peut-on lire sur les pancartes des manifestants. Même en étant originaire du sud du pays et parlant le quechua, langue autochtone, Dina Boluarte n'arrive pas à convaincre une population délaissée et sévèrement touchée par une sécheresse historique ainsi que par les effets du Covid. « Il ne faut pas oublier que le Pérou est un des pays les plus touchés par la pandémie en Amérique latine », rappelle Alicia del Aguila.
C’est cette même population éloignée de Lima, la capitale, qui se sentait représentée par Pedro Castillo. Issu d’une famille très pauvre du nord du pays aux antipodes de l’establishment politique avait fait de lui le candidat de la marge, et il en jouait en renforçant le clivage « entre les élites et le peuple ».
Ses soutiens dénoncent le traitement, et même le racisme, subi par le président. Ce qui expliquerait l’absence totale de réformes pendant son mandat. Mais en “réalité il n’a même pas annoncé ces réformes, affirme Adriana Urrutia. Son gouvernement a dû gérer, par exemple, la crise de pénurie de fertilisants sauf que six ministres différents ont défilé au ministère de l’Agriculture”.
“Six personnes qui n’étaient pas qualifiées pour le poste. Le « clientélisme populaire de Castillo » a déstabilisé la fonction publique qui commençait à atteindre un certain niveau d’efficacité”, ajoute Alicia del Aguila. Aucune chance donc de faire avancer une réforme agraire alors que le pays fait face à une des pires sécheresses de son histoire.
Cette valse au ministère de l’Agriculture est à l’image de l’instabilité qui touche le Pérou. En 1992, le président Fujimori réussit un auto-coup d’Etat. Il restera au pouvoir jusqu’en 2000 quand le Congrès votera sa destitution alors qu’il s’apprête à démarrer un troisième mandat même s’il n’aurait jamais dû se présenter aux élections. Après des années de “fujimorisme”, les institutions sont verrouillées pour empêcher qui que ce soit de se représenter une fois élu. Les intentions louables du départ transforment peu à peu les partis politiques en plateformes électorales vidées de toute substance. Le court-termisme fait loi.
“Ce modèle est tellement en crise qu’un citoyen sur deux serait prêt à abandonner le modèle démocratique pour un autre modèle”, s’inquiète Adriana Urrutia. Les Péruviens sont en effet plus que lassés de la corruption et de l’instabilité car Pedro Castillo n’est pas le premier président à se retrouver derrière les barreaux. Alberto Fujimori purge une peine de 25 ans de prison et quatre autres présidents ont été récemment condamnés à prison préventive ou ont été assignés à domicile. Le pouvoir législatif ne fait pas mieux. Au moins seize députés, tous partis politiques confondus, font l’objet d’enquêtes pour corruption. Il n’est donc pas étonnant que “80 % des Péruviens n'approuvent pas le travail du Congrès”.
Dans ce contexte, Dina Boluarte ne semble pas être la femme providentielle, d’autant plus que répondre aux demandes des manifestants n’est pas à l’ordre du jour. En plus d’exiger la libération immédiate de Pedro Castillo, ils réclament la dissolution du Parlement, des élections anticipées et une nouvelle Constitution. Pour l’heure, son objectif est d’obtenir auprès du Congrès une réforme constitutionnelle et un référendum pour avancer la date des élections sans parler de la situation économique alarmante et l’urgence sociale post-covid.
Mais si la pression sociale augmente et les manifestations perdurent, elle pourrait opter pour la démission. A ce moment-là, le président du Congrès doit convoquer des élections dans un délai minimum de six mois. Dina Boluarte a-t-elle une chance d'échapper à la malédiction des présidents péruviens ? Depuis 2016, aucun mandataire n’a dépassé les deux ans au pouvoir.