Fil d'Ariane
Même en menant une politique très déterminée, les femmes sont encore trop peu nombreuses à gravir les échelons du ministère des Affaires étrangères et à représenter la France dans le monde. La faute à l'histoire des mentalités, et aux verrous tirés jusque là, aussi bien de l'extérieur que de l'intérieur...
Sushma Swaraj aujourd'hui en Inde, ministre des Affaires étrangères (MAE) de la plus grande démocratie du monde ; Hillary Clinton, Condoleezza Rice ou Madeleine Albright, hier prestigieuses Secrétaires d'Etat des Etats-Unis (le nom américain pour MAE), Lynne Yelich au Canada, Emma Bonino ou Federica Mogherini à la tête de la diplomatie italienne puis européenne (après Catherine Ashton), hier Nkosazana Dlamini-Zuma en Afrique du Sud, Tzippi Livni en Israël ou Salomé Zourabichvili en Géorgie, etc, etc. En France, une seule femme, Michele Alliot Marie, fut la très éphémère (trois mois à peine) 20ème ministre des Affaires étrangères de Vème république, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Pourtant, "Les femmes sont bonnes pour la diplomatie, car elles ont tendance à être moins dans la confrontation, et sont plus aptes à s'engager dans des situations que nous qualifions de gagnant-gagnant." Ainsi s'enthousiasmait Lisa Stadelbauer, en 2013 à Harare, capitale du Zimbabwe, où elle représentait le Canada en son ambassade, lors d'une rencontre entre femmes diplomates du monde entier. Et l'ambassadrice canadienne poursuivait :"Je ne veux surtout pas dire que les femmes sont trop douces ou qu'elles sont des proies faciles - elles ont autant de colonne vertébrale que les hommes. Je veux dire que nous avons une approche différente de celle des hommes dans le règlement des conflits qui nous permet de trouver des solutions créatives."
Si les ambassades françaises restent encore un noyau dur de la représentation masculine, ce n'est pas seulement un héritage culturel. Selon les dernières statistiques, elles seraient 20% aujourd'hui, une proportion qui grimpe légèrement à 25%, si l'on y inclut les ambassades thématiques (en charge de dossiers transversaux, comme la lutte contre le réchauffement climatique). Les candidatures féminines restent rares, pour des raisons parfois surprenantes. A titre de comparaison, les femmes représenteraient 40% des diplomates employés par le Département d'Etat à Washington - et elles sont envoyées partout en poste, y compris dans des Etats peu enclins à l'égalité entre les sexes. Une victoire due à la constance d'Alison Palmer, qui, dans les années 70, multiplia les recours contre les discriminations sexuelles dont cette diplomate s'estimait victime.
Et aujourd'hui plus d'un tiers des 15 sièges du Conseil se sécurité des Nations Unies sont occupés par des femmes.
Dans ses principes, le droit communautaire européen, définit depuis le traité de Rome de 1957, la parité, représentation, à nombre égal, des femmes et des hommes, chacun représentant la moitié de la population. Certes, au sein du ministère des Affaires étrangères français, les femmes sont numériquement majoritaires : en janvier 2013 elles étaient 53% des fonctionnaires titulaires du ministère, mais surtout parmi les "petites mains". Dès que l'on s'élève dans la hiérarchie ou que l'on veut représenter la France hors de nos frontières, la présence des femmes se raréfie, malgré une politique volontariste mise en oeuvre par la direction des ressources humaines du ministère, afin de se mettre en conformité avec la loi Sauvadet.
Du nom du ministre de la Fonction publique François Sauvadet (juin 2011 – mai 2012), ce texte voté en 2012 marque une étape importante vers l’égalité professionnelle femmes-hommes : elle introduit des objectifs chiffrés de représentation équilibrée dans l’encadrement supérieur et dirigeant de la fonction publique. Et prévoit des « amendes » en cas de non-respect de ces obligations.
Les femmes ont souvent une approche plus direct et plus pragmatique des dossiers.
Anne-Marie Descôtes dirige la Direction générale de la mondialisation du développement et des partenariats, depuis août 2013, l'un des trois piliers du ministère français des Affaires étrangères. A ce titre, elle pilotait en décembre 2014 les négociations sur le climat, à Lima au Pérou, durant la COP 20, en vue de préparer la COP 21, la Conférence de Paris consacrée au réchauffement climatique en décembre 2015.
Et si cette haute fonctionnaire remarquable aimerait voir les femmes arriver en nombre dans la diplomatie française, ce n'est pas seulement pour respecter l'égalité professionnelle, mais parce que leur présence est nécessaire pour plus d'efficacité :
"Les femmes ont souvent une approche plus direct et plus pragmatique des dossiers. Au sein de la direction générale de la mondialisation, les sujets s'y prêtent aussi, qui appellent des interlocuteurs extrêmement variés, sur des sujets concrets, des problématiques très opérationnelles, sur le terrain. C'est assez différent de la diplomatie traditionnelle, celle de la prise de notes, de discours plus policés, de l'entre soi, de la réserve, où la solennité plus masculine est de mise. Et puis, nous avons adopté il y a deux ans, une stratégie 'Genre et développement', pour mettre la question du genre dans toutes ses composantes, au coeur de nos politiques de développement. La question du climat est indissociable de celle du développement, et les femmes, pour ce qui est du climat, occupent une place particulière, d'abord dans le constat des situations, où le fait d'être une femme signifie quasiment une double peine, où dans les pays pauvres et en développement les femmes sont deux fois plus touchées par les effets du réchauffement climatique que les hommes. Mettre les femmes au coeur du développement est essentiel parce qu'elles sont à la charnière de tout : du quotidien, des enfants, de l'éducation, de la démographie, donc du corps, de la santé."
La profession de diplomate si elle en fait rêver plus d'une, présente aussi des contraintes.
Elle même cherche depuis longtemps à recruter et promouvoir des femmes - elle a instauré la parité au sein de son département dont les quatre sous-directions ont à leur tête deux femmes et deux hommes. Lorsqu'elle pilotait l'AEFE, l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger, elle peinait à convaincre des femmes d'occuper des postes de proviseur des établissements scolaires hors de France. Elle a tenté de comprendre pourquoi parmi les étudiants, que ce soit à l'ENA (vivier des cadres de l'administration publique) ou au Cadre d'Orient (le célèbre concours de la diplomatie française), parmi les hauts fonctionnaires, les candidates étaient si peu nombreuse, et ce qui faisait blocage.
"Malheureusement, la profession de diplomate si elle en fait rêver plus d'une, présente aussi des contraintes : celles de la vie à l'étranger, donc de l'éloignement de la famille. Tout est lié à des problématiques que l'on rencontre plus qu'autrefois, et auxquelles j'ai été confrontée auparavant, lorsque j'étais Directrice pour l'enseignement du français à l'étranger. Chaque année, nous recrutions plusieurs dizaines de proviseurs, et je notais toujours la même chose : j'ai essayé de féminiser ce secteur, d'arriver à la parité parmi les chefs d'établissement, mais c'était difficile parce qu'il y avait peu de candidates. Alors je suis allée à la recherche des raisons de cette carence, et ce que disent aujourd'hui les DRH des entreprises ou des administrations c'est que, à un certain âge, les femmes se trouvent confrontées au problème de la vieillesse de leurs parents, et dans les fratries, le plus souvent, ce sont les femmes qui prennent en charge les parents qui ont besoin d'une assistance. Et donc, lorsque vous leur proposez un poste à l'étranger, soit elles demandent un poste proche de la France, soit elles renoncent à partir."
Les femmes diplomates françaises s'organisent, comme leurs collègues anglosaxones, pour faire des émules, avec une page Facebook « Femmes et diplomatie » par exemple, "une association qui s’adresse à toutes les femmes diplomates françaises. Elle vise à tisser des relations et à créer un réseau entre femmes diplomates, françaises et étrangères, à informer sur la situation des femmes diplomates françaises et à formuler des propositions pour son amélioration, à promouvoir la parité au ministère des affaires étrangères et européennes jusqu’aux niveaux de responsabilité les plus élevés. Plus largement, notre association entend contribuer à la modernisation du ministère et à la réforme de l’Etat, au travers notamment d’une meilleure prise en compte des contraintes de la vie personnelle et familiale des agents." Un blog leur est consacré : dans "Héroïnes de la diplomatie, vie et politique", Albane Piejos, veut "décrire le monde diplomatique par le biais de femmes au parcours édifiant, mais sans féminisme". Sans féminisme ? Diplomatie oblige sans doute…