Disparition de Benoîte Groult, celle dont la plume légère combattait pour les droits des femmes

Elle était présente en juin 2011 pour accompagner le lancement de notre site Terriennes. Marraine, membre du comité de marrainage, un féminin inexistant en français, cette langue qu'elle savait tant décliner, avec force, humour et légèreté. Benoîte Groult s'en est allée à l'âge de 96 ans, au terme d'une vie magnifiquement remplie.
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BENOITE GROULT
Benoîte Groult en 2010
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"Il faut en tout cas admettre une vérité dérangeante : on est vieux dans le regard des autres bien avant de l'être dans le sien." écrivait-elle, avec ce sens de l'autodérision infaillible, dans "La touche étoile", l'un de ses derniers romans. Et dans son autobiographie, publiée à presque 90 ans  elle ajoutait : "jamais je n'aurais imaginé qu'un jour je regretterai mes 80 ans". Elle est décédée le 20 juin 2016 à 23 heures à Hyères dans le Var (Sud de la France) à l'âge de 96 ans.

Merveilleuse écrivaine, généreuse féministe, Benoîte Groult, toujours sur le pont, souriante, conquérante, prête à aider toute initiative destinée à défendre les droits des femmes. Lors de la soirée de lancement de notre site Terriennes, elle trônait au milieu du premier rang, applaudissant à tout rompre. Elle avait accepté sans hésitation de devenir membre de notre comité de "marrainage", une invention pour mettre au féminin parrainage... Et avait répondu à nos questions la première pour expliquer son adhésion à notre projet, une marraine des marraines en quelque sorte, acceptant de se plier au difficile exercice des exigences journalistiques ...

Mon engagement, mes conquêtes, mes lectures
Benoîte Groult, mai 2011, pour Terriennes

Quelle est la plus grande conquête des femmes ?
"Sans hésiter, le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), qui transforme complètement notre vie quotidienne, les relations avec les hommes, le nombre d'enfants que nous aurons."

Quelle grande victoire leur reste-t-il à remporter ?
"Que les libertés votées après tant de luttes soient enfin mises en pratique et acceptées par la société et non constamment remises en question par le Pape, les Eglises, les bien-pensants."

Ce qui motive votre engagement
"Tout mon passé de femme née en 1920 : le fait de n'avoir eu le droit de vote qu'à 25 ans, un « cadeau » du général de Gaulle, alors que j'étais professeur de latin. L'absence totale de liberté, même pas celle d'ouvrir un compte en banque sans l'autorisation du père ou du mari. La soumission au hasard pour un choix aussi important que celui de donner la vie,etc.
Les lectures: Virginia Woolf, Beauvoir, Aniie Leclerc...
Evénement fondateur : 1968 et l'émergence du « malheur féminin »
"

Qu'est-ce qui leur prend, soudain, aux femmes ? Voilà qu'elles se mettent toutes à écrire des livres
Benoîte Groult, Ainsi soit-elle, 1975

Rien ne la prédestinait à devenir une figure du féminisme. Elle était née dans une famille de la haute bourgeoisie française, versant artiste, fille de Nicole Poiret - soeur de l'un des plus fameux créateur de mode, Paul Poiret -, et du décorateur à la mode André Groult. Dans "Ainsi soit-elle" sa profession de foi féministe publiée en 1975, une oeuvre au succès planétaire, alors que les femmes venaient d'emporter la grande victoire du droit à l'avortement en France (elle avait signé en 1971 le manifeste des 343 "salopes" - qui reconnaissaient avoir avorté - pour l'IVG), elle écrivait :

"Il est vrai que j'ai un cerveau de femme, j'aurais dû vous l'avouer plus tôt. C'est un ordinateur plus rudimentaire, dame! Et qui comporte peu de circuits et absorbe moins de données. Je suis née comme ça et j'ai beau avoir fait des études dites supérieures parce que j'ai eu la chance de naître au XXè siècle où par suite du relâchement des mœurs, on a fini par nous ouvrir les portes des lycées et des facultés, comme on permet de guerre lasse à l'enfant qui vous a enquiquiné toute la journée de jouer avec la boîte à outils de papa, je ne parviens pas à me sentir l'égale de l'homme."

Ou encore :

"Faire tapisserie... Une expression dont seules les filles qui en ont fait les frais connaissent la dimension d'humiliation et d'impuissance. Les heures qu'on passe à faire semblant de ne pas attendre, à compulser les disques, à fouiller dans son sac de soirée à la recherche minutieuse de... rien, à guetter sans en avoir l'air le garçon qui vous plaît mais que les usages ne vous autorisent pas à crocheter, pour souhaiter vers minuit que n'importe quel avorton s'approche et vous donne vie."

Et surtout :

"Qu'est-ce qui leur prend, soudain, aux femmes ? Voilà qu'elles se mettent toutes à écrire des livres. Qu'ont-elles donc à dire de si important ?" demandait récemment un hebdomadaire qui ne s'était jamais posé la question de savoir pourquoi les hommes écrivaient, eux, depuis deux mille ans et ce qui leur restait encore à dire !"

Ecrire à quatre mains


Son premier livre "Journal à quatre mains", elle l'avait écrit avec sa soeur Flora, comme pour donner plus de poids à leur entrée en écriture. Engagée comme elle dans la cause des femmes, elle deviendra elle aussi l'une des grandes plumes de la littérature française. Elles récidiveront ensemble à trois reprises, en particulier pour ce "Féminin pluriel", journal de deux amies devenues ennemies. Benoîte Groult pensait du reste que les femmes pouvaient être les meilleures ennemies d'elles-mêmes : "Rien ne changera profondément aussi longtemps que ce sont les femmes elles-mêmes qui fourniront aux hommes leurs troupes d’appoint, aussi longtemps qu’elles seront leurs propres ennemies. "

De quatre ans sa cadette, Flora partira 15 ans avant Benoîte, minée par la maladie d'Alzhemimer, une épreuve qui la conduira vers un autre combat, celui de choisir sa propre mort en rejoignant l’Association pour le droit de mourir dans la dignité : "Réclamant le droit de choisir ma mort comme j’avais réclamé autrefois celui de donner ou non la vie, voilà que je me retrouvais dans la même position de quémandeuse devant la même nomenklatura ! Voilà qu’on me parlait comme à une petite fille alors que j’avais le double de l’âge de tous ces médecins et n’étais plus coupable que d’avoir trop vieilli à mon goût ! Ma vie n’était donc plus à moi !"
 

Ses parents voulaient un garçon, et ils avaient prévu de l'appeler Benoît. Ce fut donc Benoîte...

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Que se passerait-il si je faisais encore l'amour avec Adrien ?
Benoîte Groult, La touche étoile, 2006

Elle affrontait sa vieillesse et la mort avec une vaillance grinçante. En 2006, dans "La touche étoile", récit de femmes à travers plusieurs générations, son plus grand succès, elle racontait avec un humour noir : "Que se passerait-il si je faisais encore l'amour avec Adrien ? Il enlèverait ses prothèses dentaires et ne pourrait plus me mordre. J'enlèverais mes prothèses auditives et ne pourrais plus entendre ses mots d'amour (si on les garde, ça siffle quand on vous prend la tête entre les mains […]), nous pousserions de petits gloussements que l'autre prendrait pour des cris d'extase alors qu'ils traduiraient une sciatique, une crampe ou quelque difficulté à faire progresser un outil périmé dans un conduit désaffecté. Je lui crierais : « Mais tu m'as mis quelque chose de rouillé, Adrien ! Ôte-moi ça, s'il te plaît !"

Elle est partie, laissant derrière elle une oeuvre complète, (une vingtaine de romans, essais, pièces de théâtre) et une vie amoureuse légère et comblée. Chapeau bas Madame Groult. Les Terriennes ont le blues... Son décès a été pleuré sur les réseaux sociaux, dans le monde entier...
 


 

Je suis née avec zéro droit
Benoîte Groult, mars 2010

A revoir, l'entretien accordé à Patrick Simonin dans "L'Invité de TV5MONDE" le 9 mars 2010, où l'écrivaine racontait son combat pour la féminisation des mots et expliquait craindre la régression pour les droits des femmes à l'oeuvre partout dans le monde. A la question : "qu'est ce que c'est qu'être femme aujourd'hui ?" Benoîte Groult répondait alors : "Eh bien c'est être déçue. En 1975, c'était l'année des femmes. Maintenant c'est la journée de la femme. Dans 5 ans, vous verrez, ce sera la minute."