Elle était de cette génération de femmes qui n'aimaient pas se dire féministes alors que toute leur vie était un hommage constat au combat des femmes pour leurs droits. Elle était du temps où le social et le politique au sens marxiste des termes primaient sur toute chose. Doris Lessing s'est éteinte à l'âge de 94 ans, au terme d'une immense oeuvre d'écrivaine, hantée par l'Afrique où elle avait passé son enfance, dans cette Rhodésie soumise à un régime extrême d'apartheid, avant que le pays ne devienne le Zimbabwe. De ces années à l'ombre d'un racisme d'Etat, elle imprégnera ses premiers récits "Nouvelles africaines" (1964 - en trois volumes).
Elle était née le 22 octobre 1919 à Kermanshah en Perse, l'actuel Iran. Elle a cinq ans lorsque son père part tenter l'aventure de l'agriculture en Afrique australe. Pensionnaire d'une institution religieuse qu'elle supporte mal, elle quitte définitivement l'école à 14 ans, pour travailler comme jeune fille au pair puis standardiste.
Rebelle
Rebelle contre la société où elle a grandi, elle le sera aussi contre le destin en apparence inéluctable des femmes. Après deux divorces, elle quitte l'Afrique et s'installe seule à Londres en 1949 avec son jeune fils, laissant derrière elle en Afrique sa fille et son fils aîné, nés de son premier mariage.
Elle trouve un emploi de secrétaire qu'elle abandonne après le succès de ses deux premiers livres "Vaincue par la brousse" (1950) et "Martha ouest" (1952). Ce livre est le premier des cinq volumes de sa fresque "Les Enfants de la violence", roman largement autobiographique.
Mais c'est en 1962 qu'elle acquière une célébrité internationale avec "Le Carnet d'or". Ce roman-fleuve à la construction originale est devenu un livre-phare du féminisme. Pour autant, l'auteure ne mâcha pas ses mots, dans les années 2000, vis-à-vis des féministes, jugeant "qu'elles n'ont rien compris". Sans doute elle même n'avait pas trop compris ce que signifiait le féminisme. Lors d'un entretien qui remonte à 2007, l'année où elle reçut le Nobel, elle jugeait ainsi le mouvement des femmes : "Je n'ai jamais rencontré dans ma vie une femme qui n'était pas féministe. Cela ne veut pas dire que je soutiens la vague féministe actuelle que je trouve assez déprimante."
Nobelle
Sans doute ce rejet venait-il de son marxisme. Même si, membre du parti communiste jusqu'en 1956, elle s'en détacha à l'occasion de l'invasion de la Hongrie par les forces soviétiques. Son engagement anti-apartheid, ne l'empêcha pas de s'en prendre au début des années 2000 au régime dictatorial du président Robert Mugabe. Elle est alors déclarée indésirable au Zimbabwe.
En 2007, l'académie suédoise lui décerne son Prix Nobel de littérature, le 11ème attribué à une femme, la qualifiant de "conteuse épique de l'expérience féminine qui, avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire, scrute une civilisation divisée".
Un prix qu'elle reçoit avec humour : "Ils ont du se dire (à l'académie Nobel, ndlr) que celle là elle a dépassé la date de péremption. Elle pourrait bien claquer". Quelques mois plus tard, elle avouera que son Nobel est une "catastrophe": "Tout ce que je fais, c'est donner des interviews et me faire prendre en photo", se lamente-t-elle alors. En 2008, elle annonce renoncer à l'écriture. Ce que finalement, elle ne fera jamais, pour notre plus grand bonheur.