Fil d'Ariane
Une femme sous influence, Gloria, Une autre femme... L'actrice américaine Gena Rowlands se coulait dans des rôles de femmes passionnées, en proie aux tourments de leur condition, loin des sentiers battus d'Hollywood. Elle est décédée à l'âge de 94 ans.
Gena Rowlands à West Hollywood, en Californie, le 4 décembre 2014.
La blonde et lumineuse Gena Rowlands, figure du cinéma américain indépendant, s'est imposée dans une soixantaine de rôles éclectiques, sous la direction de son mari John Cassavetes, mais aussi de Woody Allen ou de Jim Jarmusch. Elle disait de son époux qu'il lui avait écrit "les plus beaux rôles dont une actrice puisse rêver", de la call girl de Faces (1968) à une femme au foyer au bord de la folie dans Une femme sous influence (1974). Tourner avec celui qui refusait les diktats des grands studios hollywoodiens était "très excitant car toute la responsabilité du rôle reposait sur vos épaules", disait l'actrice.
On a tous en soi un petit bout de chacun des autres. Jouer c'est simplement ouvrir une porte.Gena Rowlands
John Cassavetes a porté au pinacle les talents de sa muse, sa beauté troublante et sa voix rauque de fumeuse, n'hésitant pas à utiliser des éléments de leur vie privée. Gena, elle, s'est toujours identifiée à ses personnages avant le premier clap : "On a tous en soi un petit bout de chacun des autres. Jouer c'est simplement ouvrir une porte".
Une seule fois, elle a refusé un rôle à Cassavetes : celui de Mabel dans Une Femme sous influence, prévu initialement pour le théâtre, qu'elle trouvait "trop intense émotionnellement pour être joué tous les soirs". Il l'a réécrit pour le cinéma et Mabel lui a valu un Golden Globe de la meilleure actrice (1975).
Cassavetes touchait à des choses auxquelles les femmes pensent mais qu'on n'attend pas d'un homme. Gena Rowlands
Le cinéma a dévoré leurs trente-cinq années de mariage avec des tournages souvent à domicile, par économie, avec les fidèles Peter Falk, Ben Gazzara ou Seymour Cassel. Gena faisant des spaghettis pour tous, entre volutes de fumée et vapeurs de whisky. Leurs trois enfants n'ont pas échappé au virus du sérail : Nick, Xan (Alexandra) et Zoe sont tous acteurs et réalisateurs.
Gena Rowlands et son fils Michael Nicolas Cassavetes (Nick) devant le Los Angeles Music Center, le 31 mars 1981, pour la 53e cérémonie des Oscars. Gena Rowlands est nominée pour l'Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans Gloria.
L'enfance de Virginia Cathryn Rowlands, née le 19 juin 1930 à Cambria, dans le Wisconsin, d'un père banquier et sénateur et d'une mère peintre, la prédisposait à une vie plus conventionnelle. Mais à 20 ans, fan de Bette Davis, elle interrompt ses études pour des cours d'art dramatique à New York.
Sa "vraie vie" commence alors, sur les planches, avec Sept ans de réflexion de George Axelrod, et sa rencontre avec John Cassavetes, qu'elle épouse en 1954, quatre mois après qu'ils se sont connus. Né à New York, d'origine grecque, le jeune et beau comédien est subjugué par cette blonde électrique qui, comme lui, se "gave" de films français et italiens.
La vraie passion de Gena Rowlands reste le théâtre et, deux ans plus tard, elle est révélée dans Au milieu de la nuit de Paddy Chayefsky, tenant l'affiche dix-huit mois au côté d'Edward G. Robinson. En 1958, après des séries TV qui financent John devenu cinéaste, Gena est remarquée sur grand écran (L'Amour coûte cher de José Ferrer, Seuls sont les indomptés de David Miller, avec Kirk Douglas).
J'ai toujours suivi ce que me dictait mon coeur et n'ai aucun regret. Gena Rowlands
Cependant, elle refuse Hollywood et rentre à New York : "J'ai toujours suivi ce que me dictait mon coeur et n'ai aucun regret". Cassavetes qui "touchait à des choses auxquelles les femmes pensent mais qu'on n'attend pas d'un homme", racontera-t-elle lui fait interpréter des personnages forts dans sept films, dont Opening Night (Ours d'argent de la Meilleure actrice au festival de Berlin, 1978), Gloria (1980) et Love Streams avec Ben Gazzara (Ours d'Or 1984 du Festival de Berlin).
Lorsque John Cassavetes meurt d'une cirrhose du foie à 59 ans, en 1989, Gena qui vient de tourner Une autre femme de Woody Allen, continue d'être très demandée pour le grand écran et des séries télévisées. Elle tourne également pour Nick Cassavetes, son fils. Après notamment Décroche les étoiles (1996) avec Gérard Depardieu (acteur et co-producteur), N'oublie jamais (2004) lui vaut le Golden Satellite Award 2005 du meilleur second rôle.
Gena accepte aussi un rôle de mère dans le premier film de sa fille Zoe, Broken English (2007), et est l'une des trois héroïnes de Parts per billion de Brian Horiuchi (2013). Remariée à l'homme d'affaires Robert Forrest en 2012, elle reçoit en 2015, date à laquelle elle s'est retirée, un Oscar d'honneur pour l'ensemble de sa carrière.
Gena Rowlands souffrait depuis cinq ans de la maladie d'Alzheimer, selon des déclarations de son fils Nick Cassavetes au New York Times. Elle s'est éteinte le 14 août 2024, chez elle, à Indian Wells, en Californie.
Rôles de femmes
Une femme sous influence (1974)
Dans ce film de John Cassavetes, Mabel est mariée à un ouvrier (Peter Falk) et mère de trois enfants. Mais elle se sent inutile socialement. Ses exubérances et ses fragilités finissent par la conduire à l'asile où son mari, aimant mais dépassé, l'a fait interner. "Elle sait vraiment jouer. Donnez-lui n'importe quoi et elle saura toujours être créative. Elle n'essaie pas de faire la différence, elle EST différente", estimait Cassavetes. L'actrice remporte sa première nomination aux Oscars et un Golden Globe en 1975.
Opening night (1977)
Dans ce nouveau film de Cassavetes, salué par la critique mais boudé par le public, Gena Rowlands interprète une actrice qui bascule dans la folie après la mort d'une admiratrice dans un accident de voiture dont elle est témoin. La comédienne d'âge mûr se croit visitée par le fantôme de la jeune femme à laquelle elle s'identifie de manière obsessionnelle tandis que la pièce qu'elle doit jouer la renvoie à sa condition de quinquagénaire seule et alcoolique. Elle obtient l'Ours d'argent à Berlin.
Gloria (1980)
Dans "Gloria", réalisé par John Cassavetes, Gena Rowlands, ex-maîtresse d'un truand, recueille le fils de ses voisins assassinés par la mafia. Dans le dédale des rues de Manhattan, l'ancienne call-girl décide de protéger jusqu'au bout le petit garçon. Entre polar et film noir, la cavale de ce duo singulier ne tombe pas dans les clichés lyriques du genre. Elle décroche une seconde nomination aux Oscars.
Love Streams (1984)
Gena Rowlands offre une nouvelle prestation déchirante en femme rejetée aux côtés de John Cassavetes qui joue un écrivain alcoolique. Dans cet avant-dernier film du réalisateur, Ours d'Or à Berlin, ils sont cette fois frère et soeur, partageant un même désarroi existentiel.
Une autre femme (1988)
Marion, professeure de philosophie quinquagénaire, estime avoir réussi sa vie. Pour écrire un nouveau livre, elle loue un appartement mitoyen d'un cabinet de psychiatre. Via les conduits d'aération, elle surprend des consultations, notamment celle d'une patiente (Mia Farrow) qui l'amène à s'interroger sur ses propres choix. Woody Allen choisit Gena Rowlands pour incarner cette nouvelle femme en crise. Certains y voient un chef-d'oeuvre du réalisateur, d'autres un plagiat du cinéma de Bergman.
Night on earth (1991)
Dans cette succession de cinq saynètes se déroulant la nuit dans des taxis à travers le monde, Gena Rowlands est une directrice de casting qui propose à la femme qui la conduit de faire carrière à Hollywood. "Tout ce que je pourrais dire à propos de Gena serait insuffisant car elle est incroyable", affirmait Winona Ryder lors de la présentation du film de Jim Jarmush.
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