Marianne Faithfull, la chanteuse aux mille vies, s'est éteinte

Elle avait survécu aux surdoses, aux tentatives de suicide, à la rue, à l'alcool, à un cancer, au coronavirus... Elle a partagé la vie et les frasques de Mick Jagger dans les années 1960. Toujours, elle a voulu "se révéler", ce qu'elle a fait au fil d'une longue carrière d'artiste, ponctuée d'éclipses et de renaissances.

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Marianne Faithfull

Marianne Faithfull à la sortie de son film Irina Palm au 57e Festival international du film de Berlin, le 13 février 2007. 
 

AP Photo/Markus Schreiber
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C'est un porte-parole de la chanteuse qui l'a annoncé : "Elle s'est éteinte paisiblement à Londres, en compagnie de sa famille", indique le communiqué transmis aux agences de presse. La chanteuse et actrice britannique Marianne Faithfull, icône folk-rock à la voix singulièrement rauque et à la vie mouvementée, est décédée ce 30 janvier 2025 à l'âge de 78 ans.

Les Rolling Stones Mick Jagger et Keith Richards ont aussitôt exprimé leur tristesse sur les réseaux sociaux. "Elle était une merveilleuse amie, une magnifique chanteuse et une grande actrice", écrit Mick Jagger, qui a partagé sa vie pendant quatre ans. "Elle va me manquer", regrette Keith Richards.

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Fragile et enflammée

Dans les années 1960, en plein Swinging London, c'est le producteur des Rolling Stones, Andy Oldham, qui repère la jeune fille. En 1963, il la croise dans un bar où elle chante des ballades : "J'ai rencontré un ange avec des gros seins et je l'ai signée", claironne alors Andrew Oldham. "Elle ne savait pas chanter," témoigne-t-il au micro d'Arte en 2020, mais "elle se débrouillera", assure-t-on à Andy Oldham.

J'ai tout quitté pour Mick. J'ai sacrifié mon intelligence et ma vision du monde à sa musique, à son travail. Et je l'ai fait très volontiers. Marianne Faithfull

En 1964, Mick Jagger et Keith Richards lui proposent d'interpréter leur titre As Tears Go By, que leur producteur juge trop sentimentale pour eux. La timide blonde de 17 ans entre dans le Top 10 britannique et fait tourner la tête des Stones. Ces années-là, toutes les  filles voulaient ressembler, tous les garçons l'aimaient.

Suivent Come and Stay with me, This Little Bird, Summer Nights : fulgurant, le succès va l'entraîner dans un tourbillon de "sexe, drogues et rock n'roll". D'un mince filet clair, sa voix reconnaissable entre toutes se fera, au fil des années, un torrent grave puisé aux tréfonds de la défonce. Aujourd'hui encore, sa tessiture rocailleuse exerce un véritable sortilège sur les nostalgiques du rock mélancolique et lettré.

Marianne Faithfull et Mick Jagger : "un seul cerveau"

Marianne Faithfull est née le 29 décembre 1946 à Londres d'un père officier, espion de Sa Majesté, et d'une aristocrate austro-hongroise, descendante du baron von Sacher Masoch. Mariée à 18 ans avec le galeriste John Dunbar, elle se lie avec Brian Jones, guitariste des Rolling Stones, puis Mick Jagger, dont elle sera la compagne entre 1966 et 1970. A 19 ans, elle quitte un mari et un fils. "J'ai tout quitté pour Mick. J'ai sacrifié mon intelligence et ma vision du monde à sa musique, à son travail. Et je l'ai fait très volontiers."

Elle va initier Mick Jagger au ballet, à l'opéra et à la littérature. Keats, Kerouac ou encore William Burroughs, dont elle va appliquer à la lettre les expériences hallucinatoires du Festin nu. Elle lui fait découvrir Le maître et Marguerite de Boulgakov qui inspirera plus tard au chanteur Sympathy for the Devil. "Il était comme un ado amouraché", raconte dans sa biographie Keith Richards, avec qui le couple rebelle et bohème partage la Une des tabloïds britanniques. 

En 1967, Marianne Faithfull est arrêtée hagarde et nue sous une couverture lors d'une descente de police chez Keith Richards... Sa relation avec Mick Jagger et leurs frasques auraient inspirées des tubes comme Wild Horses et You Can't Always Get What You Want. "Au bout d'un moment, quand un artiste partage sa vie avec un autre artiste, disait-elle à Arte en 2020, on finit par partager un seul et même cerveau". 

Le "cirque permanent"

Dans le même temps, la scène artistique se l'arrache : en 1966, Jean-Luc Godard la choisit pour Made in USA, puis Michael Winner dans Qu'arrivera-t-il après ? avec Orson Welles. Elle joue dans Anna, une comédie musicale avec Serge Gainsbourg et donne la réplique à Glenda Jackson dans "Les trois soeurs" de Tchekhov à Londres. En 1969, moulée dans une combinaison de cuir noir, elle affole Alain Delon dans La motocyclette de Jack Cardiff avant d'incarner Ophélie dans une mise en scène de Tony Richardson. 

C'est Marianne Faithfull qui, en 1969, écrit Sister Morphine. Censurée lorsqu'elle la chante, la chanson sera reprise en 1971 par les Rolling Stones dans l'album Sticky Fingers. C'est l'époque où elle est entraînée dans ce qu'elle appellera le "cirque permanent" des Rolling Stones. Elle devient progressivement accro à l'héroïne.  

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Survivante ?

Marianne Faithfull finit par quitter Mick Jagger après quatre ans de vie commune. "Si j'étais restée, j'en serais morte. Je n'en pouvais plus de cette vie", dira-t-elle plus tard. Dépendante à l'héroïne, elle touche le fond au début des années 1970 avec la fin de son amour, la perte de la garde de son fils né de sa précédente union, une fausse couche, une descente aux enfers de deux ans dans les squats et les rues de Soho, à Londres, une tentative de suicide en Australie... Marianne Faithfull traversera ensuite une période punk, pendant laquelle elle chante des textes mordants et désabusés comme Why D'Ya Do It ? ou Working Class Hero de John Lennon.

Je ne suis ni une victime, ni une gamine écervelée, je suis Marianne Faithfull. Ce que je dois faire avant de mourir, c'est montrer ce que j'ai dans le ventre. Dire qui je suis. Marianne Faithfull

En 2014, elle confiait à l'AFP : "Honnêtement, certains de mes souvenirs des années 1960 sont merveilleux et d'autres sont horribles". Mais elle ne se considère pas comme une survivante : "J'ai juste vécu ma vie, confiait-elle à la RTS en 2016. Et c'était déjà, assez difficile... Comme dans la chanson Give My Love to London, je suis passée du paradis à l'enfer et de l'enfer au paradis. Je pense que ça décrit très bien les années 1960... Le plus incroyable, disait Marianne Faithfull à son 50e anniversaire, c'est que personne ne s'attendait à ce que je vive aussi longtemps, moi la première."

En 1973, lorsqu'elle entonne I've got you Babe, déguisée en nonne aux côtés de David Bowie, sa voix, dorénavant, porte les stigmates de ses dérives. Six ans plus tard, elle sort Broken English qu'elle présente comme l'album de sa vie, qui signe son retour et qui est aujourd'hui considéré comme un classique. L'album relance sa carrière mais, installée à New York, elle replonge dans la drogue. Après une cure de désintoxication à la fin des années 1980, elle se réinvente, inspirée par le cabaret allemand des années 1930. 

Elle revient sur scène avec L'Opéra de quat'sous et Les 7 péchés capitaux de Bertold Brecht et Kurt Weill. Sa musique prend ensuite un tournant plus jazz et blues, avec son album Strange Weather. "Ce que je dois faire avant de mourir, c'est montrer ce que j'ai dans le ventre. Dire qui je suis", affirme-t-elle. Par la suite, elle collaborera avec une multitude d'artistes, comme PJ Harvey, Nick Cave, Elton John, Metallica ou encore Étienne Daho, qui la décrivent comme une source d'inspiration. Elle joue dans l'opéra rock des Pink Floyd The Wall et sort de nouveaux albums. 

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La femme qui voulait vivre sa vie

"Princesse, pute, rock star : je n'ai jamais vraiment fait cas du regard des autres. Je sais seulement que je suis une artiste vivante", lançait-elle en forme de défi en 1995. Ses choix affirment son indépendance, sa fibre artistique, mais aussi féministe. La Ballade de Lucy Jordan, extrait de l'album Broken English, raconte les désillusions et les fragilités d'une ménagère de banlieue. Thème du road movie féministe Thelma et Louise de Ridley Scott, sorti en 1991, la balade reste quarante après, un chef-d’œuvre. Sur un son new wave, enivrant, la voix de Marianne Faithfull chante les rêves d'une femme qui veut se libérer de ses entraves sociales. Le féminisme a trouvé son violon, écrit Le Figaro.

Marquée par des hauts et des bas souvent liés à la toxicomanie, sa carrière l'a aussi menée au théâtre et au cinéma. En 2020, elle raconte à Arte comment elle s'est relevée, comment elle voulait, avant de mourir, se révéler : "Je ne suis ni une victime, ni une gamine écervelée, je suis Marianne Faithfull". Elle va se faire un nom courtisé par toute la jet-set. A 68 ans, elle posera même pour une campagne de pub d'Yves Saint Laurent.  

Au cinéma, elle apparaît dans Intimité de Patrice Chéreau ou Marie-Antoinette de Sofia Coppola, où elle interprète Marie-Thérèse d'Autriche, la mère de Marie-Antoinette.

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Santé fragilisée 

Ces dernières années, la chanteuse a souffert de multiples problèmes de santé, dont un cancer du sein et une maladie pulmonaire causée par des années de tabagisme. En 2020, elle avait été sévèrement affectée par le Covid-19 et hospitalisée pendant trois semaines à Londres, au point où les médecins pensaient qu'elle n'y survirait pas. Mais la chanteuse était allée au bout de son 21e et dernier album, She Walks in Beauty.

"Cette pandémie m'a salement touchée, j'ai failli mourir", confiait-elle en 2021, craignant "ne plus pouvoir chanter un jour". Marianne Faithfull, qui a vécu à Paris, était rentrée à Londres depuis quelques années pour se rapprocher de son fils et de ses petits-enfants.

Tristesses

La chanteuse Carla Bruni-Sarkozy a dit "au-devoir à sa très chère amie Marianne". "Repose en paix, Marianne", écrit l'autrice J.K. Rowling. "Marianne, c'est toute ma jeunesse à Londres. C'était ma meilleure amie", réagit la chanteuse et comédienne française Amanda Lear. C'est grâce à Marianne, curieusement, que j'ai fait carrière. Elle m’a présenté David Bowie qui m'a dit 'vous venez, j'ai envie de vous inviter à dîner'. C'est comme ça que tout a démarré... C'était une personne extraordinaire. On avait plein d'amis en commun. Et c'est une grande perte", ajoute-t-elle, comparant la star britannique à "un modèle comme Françoise Hardy", décédée en juin.

Dans un message sur Instagram, la chanteuse et ex-mannequin Carla Bruni, qui était proche de Marianne Faithfull, écrit en anglais : "Good Bye dearest Marianne. Rest in peace with the angels my friend" (Au revoir ma très chère Marianne. Repose en paix avec les anges mon amie"). "Elle fait partie des personnes qui m’ont amenée à la musique. Sans le savoir, simplement en l’écoutant", confiait Carla Bruni en 2018, dans une interview à Paris Match, aux côtés de Marianne Faithfull qui l'avait aidée à donner naissance à un album en anglais No promises (2007).

En 2016, un an après les attentats, elle chante au Bataclan, à Paris où elle vit alors, They come at night. Le single repris dans son dernier album Negative Capability (2018), est salué par la critique comme une méditation sur la perte et la solitude.

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