Disparition de Nadine Gordimer, écrivaine sud-africaine, sans frontières ni tabous

Nadine Gordimer était une immense écrivaine sud africaine. Pour son oeuvre elle avait reçu le prix Nobel de littérature en 1991. Comme sa concitoyenne Doris Lessing, disparue voilà huit mois, également nobélisée pour ses écrits, elle aura combattu l'apartheid par les mots et par les actes. Une lutte inachevée qu'elle avait relatée dans son plus beau roman "Fille de Burger", paru en 1979. Elle est morte ce lundi 14 juillet 2014 à l'âge de 90 ans.
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Cette génération de la lutte anti-apartheid : Doris Lessing, Nelson Mandela, Nadine Gordimer, trois acteurs de la lutte contre le racisme d'Etat, disparus l'un après l'autre en quelques mois.

Nadine Gordimer était venue à TV5MONDE en 1996, femme menue, chevelure grise, souriante et chaleureuse. Elle paraissait minuscule aux côtés de Mongane Wally Serote, grand poète sud africain au propre comme au figuré. L'apartheid s'était achevé trois ans auparavant, avec la remise du prix Nobel de la paix à Frederik De Klerk et Nelson Mandela. Elle même avait été couronnée en 1991, comme le frémissement d'un salut mondial à la transformation du fer de lance du continent africain. Mais en cette journée de printemps parisien, Nadine Gordimer, sud africaine blanche voulait s'effacer derrière son ami poète noir, parce qu'il était temps disait-elle de leur laisser la parole. Leur complicité, leur tendresse, malgré la différence d'âge, racontait mieux qu'un récit l'aboutissement de cette bataille partagée.

"Ses plus grandes fiertés n'étaient pas seulement d'avoir reçu le prix Nobel de littérature en 1991, mais aussi d'avoir témoigné (à un procès) en 1986, contribuant à sauver la vie de 22 membres de l'ANC (le Congrès national africain, de Nelson Mandela, au pouvoir depuis 1994, ndlr), tous accusés de trahison". Ce sont avec ces mots que ses deux enfants ont annoncé le décès de leur mère. Dans sa prison de Robben Island, Nelson Mandela avait lu tous ses livres, ceux qui avaient passé la censure. Il disait avoir "appris beaucoup sur la sensibilité des Blancs libéraux" à cette lecture.

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Quoique éduquée dans le christianisme d'une mère anglaise, juive convertie, nombre de ses écrits se situent dans la communauté juive d'Afrique du Sud, à laquelle appartenait son père, un horloger venu des pays baltes. Paradoxalement, c'est plutôt de la figure maternelle, sensible aux injustices, à la pauvreté et aux discriminations, qu'elle tire les racines de ses engagements multiples, et de vie de femme libre. Divorcée après un premier mariage, remariée avec le galeriste Reinhold Cassirer, famille recomposée, à une époque où l'Afrique du Sud était non seulement gangrénée par l'apartheid mais aussi par un puritanisme protestant étouffant. Ces thèmes traverseront aussi la plupart de ses romans.

Sa première nouvelle est publiée dans le New Yorker en 1951, journal avec lequel elle entretiendra toujours une relation étroite. "The watcher of the dead" raconte les contraintes, les interdits, qui accompagnent la mort d'une grand mère juive, le poids de l'héritage déjà, et de ce que les descendants doivent en faire. S'en libérer, se l'approprier ?

Cette problématique imprègne son roman majeur "Burger's daughter" (Fille de Burger), paru en 1979, au Royaume Uni. Rosa est la fille de militants communistes sud africains qui meurent tous deux en prison. La jeune femme est alors plongée dans un dilemme entre la volonté de "s'émanciper" d'une vie de contraintes et de peurs qui fut celle de ses parents et l'impossibilité d'échapper à un destin d'engagement pour perpétuer leur lutte et leur désir de bonheur collectif.

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Burger's Daughter adressé à Madiba, Nelson Mandela - Wikcommons
"Quelquefois il n'était pas endormi même s'il semblait l'être. - Quelle était votre chanson ? - Chanson ? - Elle était accroupie au dessus du sol, en train de ramasser des miettes d'écorce et des feuilles déchirées.
- Vous étiez en train de chanter. -
- Comment ? Chantais-je ? - Elle avait rempli un vase avec des branches de néfliers.
- Pour la joie de vivre.-
Elle le regarda pour s'assurer qu'il ne se moquait pas d'elle. - Je ne sais pas.-
- Mais vous n'avez pas douté un instant- Votre famille. -
Elle ne se tourna pas vers lui laissant le profil de son intimité marquer cette rencontre. - Je suppose que non.- "

(Conversation entre Rosa Burger et Conrad, un ami de son père, juste après la mort de Burger.)

En 1987, elle écrivait à propos de l'entrelacement entre la vie et l'oeuvre, si caractéristique de l'Afrique du Sud : « Je crois que la littérature sud-africaine forme un tout, même si nous les Blancs — moi comprise — nous avons été éduqués à l’écart de tout contact avec la culture noire. On nous a dit que la culture noire n'existait pas, que les Noirs étaient une page vierge sur laquelle les Blancs devaient écrire ce qu'était la musique, ce qu'était le théâtre, ce qu'était la poésie. Mais je crois aussi qu'il n'existe pas d'écrivain blanc qui ne soit marqué et pétri par la vie et la pensée des Noirs. »

Madiba

Et le 16 décembre 2013, au lendemain de la mort de Nelson Mandela, Madiba, elle livrait un texte, le dernier au New Yorker : "Avoir vécu au même moment que lui, sur la même terre natale que Nelson Rolihlaha Mandela fut un guide de vue et un privilège. J'ai aussi eu le privilège d'avoir été l'une de ses amies. (.../...) Ce qui fait défait dans la vue que l'on a de Mandela, c'est son esprit, son humour, dans les circonstances les plus surprenantes."

Nadine Gordimer fut la première personne que Mandela voulut rencontrer à sa sortie de prison

15.07.2014Récit de notre correspondante Patricia Huon en Afrique du Sud
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Les mots et le courage salués par la presse internationale



A écouter, Nadine Gordimer lisant une nouvelle (en anglais)


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