Disparition de Sonia Rykiel, couturière-écrivaine-gastronome. Et plus encore

La styliste, créatrice de mode, inventrice, mais aussi gastronome et écrivaine Sonia Rykiel est morte à Paris le 25 août 2016 à l'âge de 86 ans, terrassée par la maladie de Parkinson. Sa maison de couture ne survivra pas, liquidée le 25 juillet 2019.
Image
Sonia Rykiel et sa fille
Sonia Rykiel et sa fille Nathalie en 2013, alors qu'elle lui avait passé la main, lors de la remise de la légion d'honneur à la célèbre styliste.
AP Photo/Christian Hartmann, Poo
Partager 7 minutes de lecture

En difficulté depuis le décès de sa créatrice, il y a bientôt trois ans, la maison de couture de Sonia Rykiel était en redressement judiciaire depuis avril 2019. Fin 2018, ses pertes nettes s’élevaient à 30 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires estimés à de 35 millions d’euros. Ce 25 juillet, elle a été liquidée faute d'un repreneur crédible.

C'est comme si elle mourait une deuxième fois.
​Agnès Troublé, créatrice d'Agnès b.

Agnès Troublé, créatrice de la marque parisienne Agnès b., accueille la nouvelle avec tristesse. "Elle a travaillé énormément toute sa vie. C'était une grande dame de la mode, elle avait une poigne, se souvient-elle. C'est comme si elle mourait une deuxième fois." Agnès b. regrette qu'avec  la marque Rykiel disparaisse une certaine notion de l'élégance parisienne. "Dior et Saint-Laurent, c'est du bling bling maintenant, elles n'ont plus l'élégance parisienne qu'elles avaient au départ," explique la créatrice.


"Il est triste de voir un nom d'une telle notoriété s'éteindre mais il est encore plus fâcheux de voir à quel point certains actionnaires peuvent abîmer, souligne pour sa part l'historien de la mode Olivier Saillard. La maison Rykiel était détenue depuis 2012 par le groupe First Heritage Brands, holding d'une famille de Hongkong épinglé par les liquidateurs pour" gestion hasardeuse et dispendieuse". Ce qui fait dire à l'historien : "Je pense qu'il est maintenant temps de considérer avec maturité la fin de certains grands noms pour mieux préserver les oeuvres originales et fondamentales que les fondateurs ont initiées. L'oeuvre de Sonia n'en sera que plus précieuse et grande."

La fin d'une époque

Sa chevelure flamboyante était son armure et sa signature. Sonia Rykiel était une figure atypique de la haute couture française. Parce que ses talents étaient multiples. Mais aussi parce qu'elle ne réchignait pas à se proclamer féministe. Et parce qu'elle inventait en permanence une mode à contre courant.

"Ma mère est décédée cette nuit à Paris, chez elle, à 5 heures du matin, des suites de la maladie de Parkinson", maladie qu'elle avait évoquée dans un livre en 2012 "N'oubliez pas que je joue", a annoncé sobrement sa fille Nathalie Rykiel ce 25 août 2016, aux créations de mode fécondes elles aussi, à laquelle elle avait su passer la main, alors que la maladie prenait le pas sur sa créativité.

Le fait d'être rousse faisait qu'on me voyait de partout !

Chargement du lecteur...

La "démode" pour les femmes en mouvement


Elle avait inventé un mot pour commencer : la "démode", mélange de noir et de rayures, de coutures à l'envers, d'absence d'ourlets et de doublures, de joggings sophistiqués en velours, ou de messages inscrits sur les vêtements et surtout de cette maille qui épouse le corps des femmes comme un fuseau.
 
sonia rykiel défilé 2016
L'un des derniers défilés de la maison Sonia Rykiel avant la mort de son inspiratrice, en mars 2016 à Paris
AP Photo/Vianney le Caer


On l'appela d'abord la reine du tricot, parce qu'ainsi consacrée par le magazine Vogue. Elle émerge à la fin des années 1960 après avoir créé des modèles pour la boutique "Laura" de son mari Sam, dans le 14 ème arrondissement de Paris (sud).

Sonia Rykiel était née Flis, à Paris, en 1930 dans une famille cosmopolite franco-roumano-russe, imprégnée de mémoire juive. Un judaïsme présent et discret, même si elle se maria à la synagogue, comme le raconte Eliette Abécassis : « Le judaïsme, pour Sonia Rykiel, c’est tout d’abord une tradition familiale, liée à un folklore, des souvenirs d’enfance, de grands-parents émigrés qui préparaient des plats traditionnels. Sa mère était russe, son père roumain, elle se dit "slave de la tête aux pieds". Ses parents n’étaient pas religieux, mais ils avaient l’esprit du judaïsme. (…/…) C’est un judaïsme ashkénaze : tourmenté, angoissé, doutant de tout. »

Un féminisme assumé


Celle qui était aussi écrivaine, gastronome, designer, actrice, assumait son féminisme. Elle partageait les combats d'Antoinette Fouque, fondatrice de la Librairie et des éditions des femmes, et lui écrivit un très beau cri d'amitié en 2008 :


Antoinette Fouque a assisté à toutes mes collections. ou presque

"Antoinette fait partie de ma vie. Nous nous sommes connues dans les années soixante-dix. La Librairie Des femmes, rue des Saints-Pères, Sonia Rykiel, rue de Grenelle, entre nous le Twickenham, pub de luxe, où l'on buvait du thé ou du whisky en refaisant le monde, cela dépendait de l'heure.
 
Nous nous sommes vues, nous avons parlé, raconté, je l'écoutais beaucoup parce que j'adore l'écouter.
 
Elle a assisté à toutes mes collections (ou presque).
 
Elle m'a demandé d'écrire un texte pour son journal, Des femmes en mouvements hebdo.
 
Nous avons enregistré Et je la voudrais nue, puis elle a édité Célébration, des textes sur le travail en "mode" :
 
"Vous savez que vous êtes épiés, volés, trahis, que rien ne nous échappe, aucun son, aucune pensée, que nous sommes à l'affût, que la fatalité de la création nous oblige à mentir, que l'éphémère qui est l'état même de la mode nous force à retourner la saison d'après ce qui était à l'endroit la saison d'avant et que si le bâti est fort, fondé sur une vraie connaissance, il ne suffit pas, pour jouer un style, une vie entière. Il faut être équivoque et réel, rituel et flou, présent, absent, menteur et vrai, mais dans le plaisir de faire il y a le bonheur de prendre sans avoir l'air de rien."
 
Antoinette m'avait dit : "Si vous écrivez un livre, il faudra l'appeler Collection terminée collection interminable". J'ai écrit ce livre, édité chez Flammarion. (...) Elle a une formidable écoute, c'est un être précieux. Aujourd'hui, demain, Antoinette peut me demander ce qu'elle veut, je le ferai.
"

De ce compagnonnage, elle gardera une réputation d'"intello féministe", en harmonie avec sa boutique/siège, située au coeur du Paris bobo, "bourgeois bohème", à Saint Germain des Près.

Le pantalon, c’est l’égalité, non pas avec les hommes,, mais avec celles qui ont de jolies jambes

De ses vêtements, en particulier des pantalons, une autre féministe, Hélène Cixous, écrivit qu’ils sont « non-violents et chargés de paix ». Sonia Rykiel, elle-même, aura cette très jolie formule : « Le pantalon, c’est l’égalité, non pas avec les hommes, mais avec celles qui ont de jolies jambes. »

"C’est fantastique d’être vraiment comme on en a envie", confiait-elle un jour, rare, où elle parlait, à la caméra, de son travail...
 

Sonia Rykiel a écrit une douzaine d'ouvrages, entre autobiographies, essais et contes pour enfants. Des enfants qui l'entourèrent, un fils et une fille qu'elle eut avec son mari. Nathalie fut son modèle, avant de devenir la styliste puis la patronne de la maison que sa mère avait fondée. Actrice à ses heures, Sonia Rykiel apparaît dans son propre rôle dans le film de Robert Altman "Prêt à porter".  Elle créa une dizaine de parfums, exerça comme décoratrice, par exemple pour l'hôtel Crillon ou le Lutétia, deux des établissements les plus célèbres au monde.  On le sait, les femmes peuvent faire tant de choses à la fois...

« Cette culture que je draine que je brasse autour de moi, elle m’a permis d’avoir un langage universel », disait-elle à la réalisatrice Yamina Benguigui en 2014. Avant de conclure : « La mode n’existe pas, les modes vie oui ».
 

Un élan unanime d'admiration de ses pairs, après l'annonce du décès de Sonia Rykiel :


Jean-Charles de Castelbajac, styliste : "Au début des années 60, Sonia Rykiel a fait bouger la mode de manière considérable. Elle a été l'une des premières stylistes. Son oeuvre est universelle. Sonia a défini très tôt un univers, avec une relation au détail, à la couture, avec des audaces créatives comme les coutures à l'envers, sa manière d'envisager la féminité, de voir la femme. Il y avait une pensée Sonia Rykiel : elle a incarné un féminisme moderne avec un militantisme sensuel très impactant qui s'incarnait dans sa mode chic et cool, très rive gauche. Sonia, c'est aussi une écriture, des rayures, des mots sur des pulls, une silhouette totalement inoubliable. Nous partagions l'idée que le vêtement n'est pas seulement un ornement, mais un manifeste. Ce serait réducteur de ne parler que de sa mode ; elle a fait avancer les choses pour les femmes et la société en général. Elle a aussi tissé des ponts entre mode, littérature et militantisme. C'était une visionnaire. Elle va nous manquer".

Jean-Paul Gaultier, via twitter : "Toute mon admiration pour le travail révolutionnaire dont vous avez fait bénéficier les femmes. Merci pour l'inspiration et le style que vous nous avez donné à tous."
 

Allée Sonia Rykiel

Lors du dernier défilé de la maison Rykiel, en septembre 2018, Sonia Rykiel est immortalisée à Saint-Germain-des-Prés, où elle avait ouvert sa boutique en mai 1968. Désormais, une allée porte son nom : Sonia Rykiel est la première personnalité du monde de la mode à avoir une rue à son nom.  C'est à Saint-Germain-des-Prés, haut lieu de la vie culturelle et intellectuelle parisienne, que "Sonia Rykiel nous a donné le goût de la liberté, c'est la plus parisienne des parisiennes, La Parisienne", déclarait la maire de Paris Anne Hidalgo lors de l'inauguration de la plaque. 

allée sonia rykiel
©rykielism.soniarykiel.com