Oui, elles ont du "clito", ces filles divines dans le film d’Houda Benyamina. Paumées. Débrouillardes, puissantes, violentes, elles crèvent l’écran et bousculent le spectateur.
Divines raconte la misère sociale au féminin.
Son personnage principal, Dounia, a la rage. Elevée dans un "
camp de Roms près de l‘A3" par une mère célibataire, alcoolique, désemparée, elle décroche de l’école, de la religion, de cette société qui ne lui laisse pas beaucoup de place.
Dounia s’accroche à un rêve : s’acheter une nouvelle vie "
de l’eau turquoise, du soleil, une Ferrari et de l’argent". L’argent - "
Money, money money", scande-t-elle, est omniprésent dans le film. Il concurrence l’amour, l’école, la religion, la famille, mais pas l’amitié qui lie Dounia à Maimouna. Elle entraîne cette dernière dans son sillage jusqu'à leur perdition.
Dans cette quête, Dounia se lance à corps perdu, par soif d’argent, mais surtout de reconnaissance - celle que l’on surnomme "la bâtarde". Futée, ambitieuse, enragée et pleine de ressources, elle entre rapidement dans le cercle d’une caïd/dealeuse du coin très respectée : Rebecca. Elle embauche les deux copines parce qu’elles ont "du clitoris", de la hargne, du courage… comme ont dit des hommes familièrement qu’ils ont "des couilles".
C’est elle aussi qui leur dira un peu plus tard : "Les mecs, c’est comme les chiens. S’ils sentent que t’as peur, ils te bouffent." Alors Dounia s’endurcit jusqu’à sombrer dans la violence pour survivre, s'en sortir.
Heureusement, dans le film, un homme réconciliera Dounia avec le sexe masculin et l’amour, en la personne de Djigui, un danseur. Il représente l’élévation et elle, l'"ici-bas", traduction de son prénom en arabe. Des opposés qui s'attirent.
Tout le long du film, les rôles sont inversés, comme les
a priori sur les genres. Les filles sont violentes, dominatrices, face à des garçons plus en douceur, dominés, effacés, voire moqués. Quand Dounia découvre que Djigui, agent de sécurité de supermarché danse, elle le ridiculise sur son lieu de travail. Sexisme ordinaire et inhabituel dans un film sur la banlieue.
Un autre exemple. Quand Dounia et Maimouna viennent toquer à la porte de la dealeuse pour se faire embaucher. Ce n’est pas une bimbo qui leur ouvre comme on le voit souvent les films mais le "Ken" / "sexboy" / copain de Rebecca. Dans ce film, ce sont les filles qui mènent la danse, et s’imposent face aux garçons.
"Le genre est à redéfinir au XXIe siècle. La beauté et la grâce, ce n’est pas que féminin. La violence n’est pas que l’apanage des hommes", souligne Oulaya Amamra sur l’antenne de
France inter. Elle interprète à la perfection Dounia dans le film.
Alors ce film est-il féministe ? Pas pour la réalisatrice qui défend un film humain avant tout, qui casse pourtant les codes de représentation des genres au cinéma. Alors féministe, oui pour les Terriennes. On posé la question à deux jeunes acteurs du casting brillant du film. Beaucoup ont été formés par l’
association 1000 visages qui donne accès à la culture et à la création aux populations des quartiers défavorisés.
Impressions de…
♦ Samir Zrouki, 25 ans.
Bio express : Comédien-humoriste marseillais, il joue dans des séries au Maroc et est acteur chez Disney.
Son rôle : Formé par l’association 1000 visages, il joue le rôle de Gervais dans Divines. Il vient en aide aux héroïnes coincées dans une cave de la cité. Il a aussi réalisé le making of du film.
Dans le film, les femmes ont autant de couilles que les mecs.
Samir Zrouki.
« Je sais qu’Houda n’aime pas que l’on dise que c’est un film "féministe" mais ça le définirait aussi. Pour elle, c’est un film "humain", qui donne le droit aux femmes d’exister autant que les hommes.
A l’origine, dans le film, mon personnage dealait pour la caïd Rebecca, puis pour Dounia et Maimouna qui travaillent pour elle. En fait, des femmes qui ont autant de couilles que les mecs.
Je viens aussi de la banlieue et j’en connais très bien les codes. On n’y prête pas attention mais dans ce milieu, les filles s’acharnent autant que les hommes.
Plus on montre les femmes comme elles le sont dans le film Divines, plus elles s’émancipent, même si c’est déjà le cas et qu’on ne le voit pas assez. Sur les réseaux sociaux, j’ai vu des internautes qualifier le film de conte. Mais ce n’est pas un conte, ça existe déjà, c’est comme ça que ça se passe !
Comme dans n’importe quel milieu, c’est un peu la loi de la jungle. C‘est à celui qui sera le plus violent et les filles ne sont pas en reste. Ces filles sont hargneuses et elles parviennent à leurs fins. Si elles n’étaient pas comme ça, elles seraient restées derrière les garçons. »
♦ Mounir Amamra, 22 ans.
Bio express : Frère de la réalisatrice Houda Benyamina et de l’actrice principale Oulaya Amamra, il est passionné de comédie depuis qu’il est tout jeune. Après une licence en économie et gestion, il revient au cinéma.
Son rôle : Formé lui aussi par l’association 1000 visages, il incarne dans Divines un client de la dealeuse Rebecca qui va s’en prendre très violemment à sa revendeuse, Dounia.
On qualifie Divines de « féministe » parce que trop peu de films donnent aux femmes cette voix-là.
Mounir Amamra
« Comme le dit Houda, c’est un film humaniste, qui parle d’humains, de relations humaines à différents degrés : l’amitié, l’amour, la relation avec les parents, la religion, l’argent.
Dans son film, Houda a bien traduit le fait que les filles ne sont plus les mêmes qu’avant. Aujourd’hui, elles tapent du point sur la table, montrent qu’elles existent et qu’elles n’ont pas froid aux yeux. A contrario, les garçons sont en second plan dans Divines, dominés et même utilisés par les filles.
Le personnage clé de la dealeuse Rebecca existe dans la réalité et a inspiré Houda pour l’écriture du scénario. Cela traduit une réalité dont on n’a pas conscience quand on est éloigné de ces cités. Ces filles-là existent maintenant. Elles aussi veulent faire de l’argent. Et ce n’est pas donné qu’aux garçons d’être des voyous, de faire de l’argent par des moyens moins jolis que ce que l’on pourrait attendre peut être d’une fille. Dans Divines, on parle des stupéfiants, mais maintenant, elles sont aussi impliquées dans le trafic humain. Des filles prostituent leurs copines.
Cette vision des filles, on ne la voit peut-être pas assez au cinéma, mais c’est bien réel. Des premiers rôles de femmes comme ça manquaient énormément au cinéma. Aujourd’hui, on qualifie Divines de "féministe" parce que trop peu de films leur donnent cette voix-là. Alors dès qu’il y en a un qui parlent de femmes, on dit que c’est un film qui se bat pour elles. Mais le jour où ce sera assez répandu, on n’arrêtera de parler de films "féministes", on ne s’attachera qu’à ses valeurs. »