Dora Maar, au-delà de la muse de Picasso, une artiste accomplie

Photographe et peintre majeure du XXème siècle, Dora Maar est encore souvent cantonnée au statut de "muse" de Picasso. Le Centre Georges Pompidou à Paris lui rend enfin justice à travers une rétrospective de son œuvre.
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Brassai : Dora Maar dans son atelier (1943)
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Les années 1930 sont sa décade prodigieuse, celle où elle naîtra comme artiste et obtiendra la reconnaissance de ses pairs, celle où elle fait preuve de créativité, d’audace et qui lui assure aujourd’hui une place solide dans l’histoire de l’Art.
C’était l’esprit du temps : les femmes – ou, du moins, une avant-garde- coupent leurs cheveux et partent à l’assaut des citadelles masculines. Dora Maar, elle, s’impose dans le monde de la création artistique, c’est une femme moderne, libre et indépendante. Une Parisienne.

S'affranchir de la caution masculine

Auparavant, la jeune Henriette Théodora Markovitch, née à Paris en 1907, aura pris le temps de parfaire sa technique, fréquentant les rares écoles qui s’ouvrent à elle : Arts Déco, atelier du peintre André Lhote et Ecole technique de photographie de la ville de Paris…

En 1931, à 24 ans, elle s’associe à un décorateur de cinéma, Pierre Kéfer, pour ouvrir un premier studio de photographie - comme s’il fallait encore la caution d’un homme. Quatre ans après, c’est la séparation et, seule, elle mènera sa barque. Ses premières images sont réalisées pour la publicité et témoignent d’une maitrise parfaite du média. Elle pratique le montage, la retouche… Elle obtient des commandes, est publiée par les magazines.

Moderne et indépendante

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Dora Maar : Assia, 1934
© Adagp, Paris 2019 / Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI
Les portraits qu’elle réalise dans son cercle d’amis sont magnifiques. Le modèle y fixe ou non l’appareil, mais reste impénétrable, le regard un peu dans le vague, les traits magnifiés. Pour l’écrire simplement, elle rend les gens beaux.

Les gens, ici, c’est le Paris de l’avant-garde artistique et politique, les frères Pierre et Jacques Prévert, Nusch et Paul Eluard… Car Dora Maar, déjà, ne se contente pas de photos de mode. Elle a une fibre sociale et un engagement à gauche, elle veut témoigner.

En 1933, elle est à Barcelone et photographie le petit peuple de cette place forte "républicaine". Elle parcourt Londres et la "zone", cet anneau de bidonvilles qui ceint alors Paris.

Mais ses photographies restent lumineuses, comme s’il s’agissait non de choquer ou d’apitoyer, mais de faire surgir la beauté. Avec Dora Maar, la chiffonnière se redresse, les vendeuses du marché se recoiffent et les cabanes de la zone ont presque un lustre champêtre.

Naturellement, si l’on peut dire, la photographe se retrouve intégrée au groupe surréaliste où son art du photomontage fait merveille. Elle signe ainsi quelques icones du mouvement comme son célèbre Portrait d’Ubu (1936) qui reste pourtant au plus proche du réel.

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Dora Maar : Portrait d'Ubu, 1936

Maar vs. Picasso

En 1936, la photographe rencontre Pablo Picasso et commence alors une liaison passionnée. Une rencontre au sommet pourrait-on dire aussi, car si Dora Maar est le modèle de nombreux portraits du maître, il l’incite à peindre et elle lui apporte ses techniques photographiques.
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Dora Maar : Portrait de Picasso, 1935-1936

 La Française soutient aussi, et documente, le long processus de création de Guernica, commande de la République espagnole en danger au peintre en exil.

En 1946, c’est la rupture définitive avec le peintre et Dora Maar connaît une grave crise psychique. Une deuxième vie commence.
La figure de l’avant-garde va désormais mener une vie hors du monde de l’Art, n’exposant que très peu, mais créant toujours, jusqu’à sa mort, en 1997 !

Dans ses ateliers de Paris et de Ménerbes, village du Lubéron, l’égérie du surréalisme s’adonne à la nature morte, à la peinture abstraite…

Une œuvre peu ou pas connue que présente enfin l’exposition du Centre Pompidou. Dora Maar explore, ne cesse d’explorer. Dans les années 1970, elle travaille à l’encre sur papier, dessinant des paysages ; dans les années 1980, la photo revient comme une réminiscence : la technique du photogramme, obtenu sans appareil, lui offre des abstractions sombres et des formes floues, radicales et un peu fantastiques, comme un dernier regard apaisé et lointain de la vieille dame sur ses années de jeunesse et sa vie offerte à la création.