Fil d'Ariane
Jeune fille, Dorothea Barron a tout fait pour entrer dans la Navy britannique pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle se souvient des années à lutter pour faire ployer l'ennemi, mais aussi de la rudesse et de l'incertitude de l'après-guerre. Aujourd'hui centenaire, elle continue à voler et à enseigner le yoga.
Dorothea Barron montrant une photo d'elle en uniforme pendant la Seconde Guerre mondiale. Sawbridgeworth, en Angleterre, le 7 mai 2024.
"Dieu merci, c'est terminé", se souvient avoir pensé la Britannique Dorothea Barron à la fin de la Seconde Guerre mondiale. A 100 ans, cette vétérane de la Navy, qui a contribué au Débarquement, reste une force de la nature.
Alors que l'Europe commémore le 80e anniversaire de la victoire des forces alliées sur l'Allemagne nazie, le 8 mai, elle fait partie du nombre de plus en plus restreint de vétérans qui peuvent partager leur expérience du conflit. Pétillante, la centenaire raconte avoir senti s'envoler un "poids sur ses épaules" au moment de sa démobilisation. "On nous a dit : 'Vous pouvez garder votre uniforme. Voici des coupons pour acheter des vêtements, de la nourriture. Vous pouvez rentrer chez vous'", se rappelle-t-elle.
Personne ne gagne jamais une guerre.Dorothea Barron
Elle avait à peine 20 ans, aucun endroit où aller, et ne réalisait pas que l'après-guerre serait encore marqué par la privation dans une Grande-Bretagne "ruinée". Elle parle d'"années terriblement difficiles... Je ne dirais pas que nous étions malheureux, mais c'était une époque remplie d'incertitude".
Quatre-vingts ans plus tard, Dorothea Barron témoigne fièrement de ces années de guerre et de reconstruction dans les écoles et les médias. Elle participe aux commémorations prévues au Pays-Bas, puis au Royaume-Uni. Dans ce pays se tiennent pendant quatre jours défilés, parades aériennes, en présence de la famille royale, ainsi que des fêtes de rue.
De gauche à droite : Ruth Bourne, Marie Scott, Dorothea Barron et Robbie Hall, vétéranes de la Seconde Guerre mondiale, à Londres, le 6 mars 2025.
Cette centenaire dotée d'une énergie extraordinaire donne tous les lundis matin un cours de yoga dans son village, près de Harlow, au nord de Londres. Ses "chiens tête en bas", avec talons au sol et dos parfaitement plat, et sa souplesse ont de quoi rendre jaloux des yogis de 30 ans. "Sentez-vous le travail à l'arrière des jambes ? Si vous voulez une poitrine ferme, voici la bonne position", dit-elle à sa dizaine d'élèves âgées de 20 à 95 ans, sans s'émouvoir de leurs gémissements.
Voir Dorothea Barron, vétérane et professeure de yoga
Voilà soixante ans qu'elle enseigne le yoga. "Je me sens bien, détendue et étirée", lâche Dorothea, en repartant chez elle à pied, au bras de son auxiliaire de vie. "Elle adore rencontrer des gens et pourrait vivre encore plusieurs années", raconte Suzy, une de ses élèves. "Elle s'est bien amusée l'an dernier avec tous les événements pour les vétérans", à l'occasion de l'anniversaire du Débarquement de Normandie.
Dorothea a fêté ses 100 ans en octobre 2024 en volant en Spitfire, avion de la Royal Air Force qui a joué un rôle crucial dans la bataille d'Angleterre, en 1940, face à la Luftwaffe allemande. "C'était merveilleusement excitant", dit-elle en éclatant de rire.
A 18 ans déjà, Dorothea Barron faisait preuve d'une détermination à toute épreuve. Elle voulait "désespérement" rejoindre la marine, comme sa soeur avant elle. "Il n'était pas question que les Nazis prennent possession de notre pays". Mais elle était trop petite pour rejoindre les "Wrens", les femmes de la Navy. "Alors j'ai triché !", raconte-t-elle sans cacher son plaisir. Elle a glissé des talons en carton dans ses chaussures et "gonflé" ses cheveux pour paraître plus grande.
Elle a enseigné aux troupes à communiquer par signaux optiques et morse avec les navires. Elle a aidé à tester les ports Mulberry, composés d'éléments préfabriqués en Grande-Bretagne et acheminés vers les côtes françaises pour le débarquement en Normandie.
Elle ne savait pas alors à quoi serviraient ces structures. "Il était convenu qu'on ne pouvait pas poser de questions". C'est après la guerre qu'elle a réalisé que ces ports avaient été utilisés dans le Débarquement. "J'étais ravie. Je me suis dit: 'Oh j'ai fait quelque chose d'utile alors !'"
Dorothea Barron était "Wren" le Jour J, le 6 juin 1944. Photos d'époque.
Pendant la guerre, elle a rencontré son mari, Andrew, qui était dans la Royal Air Force. Puis dans leur cottage vieux de 600 ans, ils ont eu deux filles. Aujourd'hui arrière-grand-mère, elle a été professeure d'art dans une école primaire jusqu'à sa retraite dans les années 1980. Andrew est décédé en 2021, mais Dorothea ne cesse de parler de lui avec tendresse.
S'il en faut beaucoup pour lui faire perdre son sourire, l'actualité l'assombrit. "Personne ne gagne jamais une guerre", dit-elle, inquiète du conflit en Ukraine et, au-delà, des tensions dans le monde.
(Re)lire dans Terriennes :
Décès d'Odile de Vasselot : une jeunesse de résistance, une vie de transmission
Décès de Madeleine Riffaud, une vie à lutter contre les injustices
Qui étaient les résistantes de la Seconde Guerre mondiale ?
Résistantes de la Seconde guerre mondiale, héroïnes de l'ombre
Michla Gielman, résistante oubliée, sous la plume de sa fille, Sylvie Braibant
Décès de Cécile Rol-Tanguy : une héroïne de la Résistance s'éteint à 101 ans