Fil d'Ariane
Après un refus, des mois d’attente puis enfin la délivrance d’un visa par le Ministère de l’intérieur, le parcours de Masomah et Zahra Alizada aura été semé d’obstacles avant leur arrivée en France, le 21 avril. Accueillies par une famille française, passionnée comme elles de cyclisme, c’est en Bretagne que les deux championnes afghanes de vélo ont trouvé refuge avec leur famille. Reportage
Le vent souffle sur la Bretagne en cette journée estivale. Mais pas de quoi freiner un peloton de cyclistes foulant le bitume devant des hortensias en fleurs et des maisons aux volets bleu azur. A vive allure, ils traversent le village de Guéhenno, situé dans le centre Morbihan. Un coin tranquille d’à peine 800 habitants où Masomah, Zahra, leurs trois frères et leurs parents se sont installés dans une rustique maison de campagne. C’est celle de Patrick Communal, un ancien cycliste et avocat engagé auprès des réfugiés qui, touché par l’histoire des « petites reines de Kaboul », s’est mobilisé pour obtenir leurs visas et payer leur déplacement en avion. Une mobilisation à laquelle les Terriennes s'étaient associées.
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Sur le pas de la porte, Mohammad Ali, le père de famille, nous invite à entrer. Derrière lui, apparaît le visage d’un jeune garçon. « Bonjour », salue-t-il gaiement dans un français impeccable. Alireza, le benjamin, n’a que 10 ans, mais « il apprend très vite notre langue », s’impressionne Thomas. Petit-fils de Patrick Communal et étudiant en droit, il se relaie depuis cet été avec son père, Thierry, pour aider la famille afghane à trouver leurs marques au pays de la Grande Boucle. Chez les Communal, la solidarité se transmet de génération en génération.
En Afghanistan, ils vivaient à sept dans 30 mètres carrés. Aujourd’hui, ils ont chacun leur chambre
Thomas Communal, étudiant
« Pour faciliter leur installation, nous avons fait en sortes qu’ils se sentent vraiment chez eux et s’approprient la maison, raconte le jeune homme qui vit et étudie le reste de l’année à Lille. En Afghanistan, ils vivaient à sept dans 30 mètres carrés. Aujourd’hui, ils ont chacun leur chambre. » Dans le salon, recouvert d’une toile de Jouy, les dessins d’enfance de Thomas et de son frère Cyril cohabitent avec les photos des Alizada. Parmi elles, la photo de classe d’Alireza, scolarisé dès son arrivée, le portrait de Jawad, l’aîné, et bien sûr, les sourires de Masomah et Zahra, fières sur leur vélo de route.
De retour de leur entraînement, les voilà qui arrivent. Un peu essoufflées mais la mine réjouie, les deux soeurs viennent de faire 80 kilomètres à vélo, coachées par Thierry Communal. Ce dernier, passionné lui aussi de cyclisme, a pris "les petites reines de Kaboul" sous son aile et les emmène cinq fois par semaine parcourir les routes bretonnes. « En France, notre entraînement est plus intensif, halète Masomah, le casque encore vissé sur la tête. En Afghanistan, nous roulions la plupart du temps autour d’un rond-point et sur une plus courte distance. Du moins, quand les routes étaient sûres… sans la présence des talibans ou des soldats de Daesh. »
Notre père nous disait : si une femme peut monter sur un mulet ou un cheval, pourquoi ne pourrait-elle pas monter sur un vélo ?
Zahra Alireza
Malgré les insultes, les jets de pierres ou les menaces de mort qui se sont intensifiées suite à leur médiatisation, les jeunes femmes de 19 et 20 ans n’ont jamais baissé les bras. « Plusieurs personnes de notre communauté, les Hazaras, nous ont aussi blâmées, témoigne Zahra, le regard souligné de khôl. Mon père ne les a jamais écoutés et nous a, au contraire, encouragées à persévérer. Selon lui, si une femme peut monter sur un mulet ou un cheval, pourquoi ne pourrait-elle pas monter sur un vélo ? » Un soutien indéfectible qui renforce leur détermination, et la volonté de s’adapter aujourd’hui à leur nouvel environnement.
« Quand elles sont arrivées au printemps, des milliers de fleurs de colza avaient recouverts les champs d’un jaune flamboyant. Elles se laissaient facilement distraire et s’arrêtaient pour les prendre en photos, se souvient amusé Thierry Communal. Maintenant, elles font moins de pauses et arrivent à garder un bon rythme. » Ce quarantenaire au physique athlétique a appris à les connaître tout en constatant leurs progrès : « Masomah tire sa soeur, mais peut avoir des chutes de moral plus importantes. Zahra a moins de punch mais plus de constance. C’est grâce à leur façon différente de gérer l’effort qu’elles se complètent. »
Piliers de l’équipe nationale féminine de vélo en Afghanistan, les deux soeurs ne sont jamais loin l’une de l’autre dans les courses. Comme à l’arrivée de l’épreuve cyclosportive internationale l’Albigeoise, en mai 2016, où elles sont montées sur le podium. C’était la première fois qu’elles foulaient le terre-plein français. « Une sensation de liberté » pour ces deux héroïnes, proposées au prix Nobel de la paix 2016, qui un an plus tard, n’auraient jamais imaginé revenir vivre ici et assister « pour de vrai » au Tour de France.
Jeannie Longo, Bernard Hinault, Warren Barguil, Christian Prudhomme, le directeur du Tour, etc. Rencontrer tous ces grands noms du cyclisme a été un événement pour les deux jeunes femmes. Tout comme l’a été leur arrivée dans le petit village de Guéhenno. « Comme je vis à Lille avec mon fils, et que mon père est basé à Orléans, on s’est demandé comment on allait faire quand on ne serait pas là, relate Thierry Communal. Mais, à notre agréable surprise, plusieurs personnes sont tout de suite venues proposer leur aide, sans qu’on en fasse la demande. »
Les préjugés sur les réfugiés ont la vie dure mais le sport abolit toutes les frontières
Bertrand Guillo, vice-président du Club de football
En plus d’une association, un réseau d’entraide s’est en effet organisé autour de la famille Alizada. Six institutrices à la retraite se relaient pour leur donner des cours de français. D’autres Guéhennotais viennent leur déposer des oeufs frais, des légumes du potager, un simple bouquet de fleurs ou les accompagnent au supermarché. « Dès que ça sonne, c’est le papa qui vient ouvrir. Il y a souvent dans la maison des gens du village que je ne connais pas, sourit Thierry. Grâce à eux, j’ai fait de nouvelles rencontres. »
Tandis qu’ils terminent de déjeuner, quelqu’un frappe à la porte. C’est Bertrand Guillo, le vice-président du Club de football local. « Alors ready pour le match de la semaine prochaine ? », demande-t-il avec entrain aux trois frères Alizada. Si leurs soeurs appuient sur la pédale, les garçons préfèrent titiller le ballon rond. A Guéhenno, ils ont déjà participé à un tournoi « même si, au début, certains ne voulaient pas jouer avec eux sous prétexte qu’ils ne parlent pas français », déplore Bertrand Guillo, qui a lui-même constaté que, dans sa commune aussi, « les préjugés sur les réfugiés ont la vie dure ».
Et puis, finalement, la frilosité du début a laissé place aux encouragements sur le terrain. « Car, il faut savoir que dans l’équipe de Guéhenno, on avait un sérieux problème : il nous manquait trois joueurs, précise-t-il. Alors forcément, quand Jawad et ses frères ont montré qu’ils étaient plutôt doués, ils ont très vite été intégrés. Comme quoi, le sport abolit toutes les frontières ! » Accoudé au mur de l’entrée, Thierry traduit en anglais pour Masomah et Zahra. Leur regard se croise. Elles acquiescent de la tête. Le sport comme moyen d’intégration, elles en savent quelque chose.
Si elles s’entraînent d’arrache-pied pour leur prochaine course, qui a lieu à Plouay en cette fin août 2017, elles préparent également leur rentrée scolaire. « Nous avons rendez-vous à l’Université de Lille pour un entretien devant la commission, explique Thierry Communal, qui y enseigne en master Automatique et Systèmes Electriques. Nous espérons que Masomah et Zahra pourront intégrer un programme d’aide aux réfugiés. » Ce dispositif a pour objectif de leur apprendre le français et de les aider à s’insérer dans un parcours universitaire. Ensuite, elles pourront se spécialiser.
Je leur ai expliqué qu’en France, il est difficile de vivre du vélo. Surtout pour les femmes
Thierry Communal, avocat
Leur projet d’études est déjà mûrement réfléchi. « Je leur ai expliqué qu’en France, il est difficile de vivre du vélo. Surtout pour les femmes qui ont malheureusement plus de mal à trouver des sponsors », se désole le Lillois. En Afghanistan, Masomah était professeure d’EPS, « mais en France, pour enseigner, il faut avoir la nationalité française ou européenne. » La jeune femme en prend note et prévoit alors de se diriger vers l’archéologie : « L’Histoire ancienne m’a toujours passionnée. D’autant que dans mon pays, il y a pleins de sites archéologiques. Beaucoup n’ont pas encore été découverts… J’espère y retourner pour les percer à jour. » Zahra quant à elle envisage des études de médecine « pour soigner ce qui en auront besoin ».
Comme dit l’adage « Jamais deux sans trois ». Alors après leur rendez-vous à l’université et la course, une troisième épreuve les attend avec leur famille : un entretien individuel le 6 septembre avec l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). La dernière ligne droite avant l’obtention de l’asile politique. « Pour le moment, ils n’ont qu’un récépissé de demandeurs d’asile. Et leur visa arrive à échéance », explique Thomas Communal qui, comme son père et son grand-père, attend leur régularisation écrite noir sur blanc avant de « pouvoir souffler ». D’autant qu’en janvier 2017, la France - pays des droits de l’Homme - leur avait refusé un visa de longue durée avec pour motif énoncés : « au vu des éléments fournis à l’administration vos demandes ne correspondent pas aux cas de délivrance d’un visa prévu par le droit applicable ». Avant de revenir sur sa décision quelques mois plus tard et de leur accorder finalement l’asile.
Mais pour l’heure, les deux familles profitent des jours présents dans cette robuste maison à l’histoire bien singulière. « Figurez-vous qu’il y a des années, durant la Seconde guerre mondiale, cette ancienne boucherie appartenait au chef de la résistance locale. Il y organisait des réunions secrètes », confie Thierry Communal. Aujourd’hui, entre ces murs, les symboles de combativité et de résilience continuent de prendre leur envol.
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