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Le 29 novembre 1974, une page historique se tourne pour les droits des Françaises. Après des semaines de bataille acharnée et de débats plus que houleux, les députés décident de légaliser l'avortement.
A l’occasion du 48ème anniversaire du vote de la loi Veil, l’Ifop publie une grande enquête sur le droit à l’avortement et sa constitutionalisation menée à la fois en France (1506 interviews) et aux États-Unis (1550 interviews).
A l’occasion du 48ème anniversaire du vote de la loi Veil par l'Assemblée (29 novembre 1974), l’Ifop publie une enquête sur le droit à l’avortement et sa constitutionalisation menée à la fois en et aux
— Ifop Opinion (@IfopOpinion) November 29, 2022
Une étude @Ifopopinion auprès de 1550 Américains et 1506 Français pic.twitter.com/rpO5VKkViV
Réalisée pour le site d’information et de conseils voyages, Partir à New York, cette étude, qui met les données en perspective historique sur les cinquante dernières années, montre que la large adoption à l’Assemblée nationale du texte transpartisan visant à graver dans le marbre constitutionnel le droit à l’IVG reflète bien le consensus que cette mesure sociétale suscite actuellement au sein de l’opinion française. "Alors que ce sujet étant encore très clivant au moment du vote de la loi Veil, la société française a donc profondément évolué en une cinquantaine d’années, contrairement à une société américaine qui, elle, reste marquée par un conservatisme moral qui n’affecte pas le seul droit à l’avortement", précise le rapport de l'Ifop.
En une cinquantaine d’années, la société française s’est largement ouverte au principe du libre accès à l’IVG : plus des trois quarts des Français (77%) sont aujourd'hui favorables à un accès sans restriction à l’avortement, alors que cette position n’était pas encore majoritaire dans l’opinion au moment du débat sur la loi Veil. Une enquête menée un an après mai 1968 montrait, en effet, des positions semblables sur le sujet des deux côtés de l’Atlantique : une majorité relative de Français (47%) et d’Américains (50%) se disaient alors opposés à ce que "la loi autorise une femme enceinte de moins de trois mois à faire mettre fin à sa grossesse par un médecin".
Aujourd’hui, les Français expriment ainsi une vision beaucoup plus libérale des conditions d’accès à l’IVG que les Américains… En effet, la position la plus "libérale" en la matière – c'est-à-dire qui soutient "le droit d’avorter librement" – est aujourd’hui partagée par huit Français sur dix (81% des Français soutiennent le droit d’avorter librement) contre à peine la moitié des Américains (50%).
Très logiquement, le soutien à la constitutionalisation du droit à l'avortement fait quasiment l’unanimité en France – 86% des Français y sont favorables – alors que les Américains restent très partagés sur sa récente "déconstitutionalisation" aux Etats-Unis : 61% des habitants y désapprouvent la décision de la Cour suprême de révoquer le droit constitutionnel d’avorter, contre 39% qui l’approuvent.
Politiquement, tous les électeurs représentés à l’Assemblée nationale soutiennent massivement cette idée, que ce soient des sympathisants de la gauche (85% des sympathisants LFI, 99% des sympathisants EELV, 91% des sympathisants socialistes) et du centre (90%), mais aussi ceux situés plus à la droite de l’échiquier politique (82% des sympathisants LR, 86% des sympathisants RN). Le fait que la quasi-totalité des électeurs lepénistes (90%) soutiennent cette démarche est d’ailleurs sans doute un élément à prendre en compte pour expliquer la décision finale de Marine Le Pen de soutenir cette initiative : l’ex-présidente du RN ayant finalement – après divers atermoiements – déposé elle aussi un amendement visant à constitutionnaliser le droit à l’IVG.
Cet écart avec les Etats-Unis est d’autant plus large que le soutien des Français à la constitutionalisation du droit à l'IVG s’est renforcé depuis l’arrêt de la Cour suprême – la proportion de Français soutenant cette démarche constitutionnelle est encore plus forte aujourd'hui (86%) qu’il y a six mois (81%).
Le fossé qui sépare les deux rives de l’Atlantique sur l’avortement tient à des visions très différentes des questions de genre et de féminisme. Ainsi la proportion de personnes qui condamnent moralement l’avortement est trois fois plus élevée aux Etats-Unis (45%) qu’en France (15%). Et ce plus grand conservatisme moral aux Etats-Unis se retrouve sur les relations sexuelles entre adolescents (55%, contre 35% en France), les relations entre homosexuel(le)s (39% contre 19% en France) ou le changement de sexe (54%, contre 38% en France).
Depuis vingt ans, la mise en perspective historique de la position des Américain-e-s sur les enjeux de genre et de sexualité montre une certaine inflexion sur des enjeux comme les relations sexuelles en dehors du mariage (-14 points depuis 2001), les aventures extraconjugales (-9 points depuis 2001), la pornographie (-10 points depuis 2011) ou les relations entre personnes du même sexe (-18 points depuis 2001). Le degré de réprobation morale de l’avortement est finalement un de ceux qui évolue le moins nettement (-7 points depuis 2001), oscillant autour du seuil symbolique de 50% en fonction de l’actualité...
"Le débat sur la constitutionnalisation de l’IVG a le mérite de mettre en exergue le 'gap' culturel entre les deux nations : la société française est aujourd'hui tellement plus sécularisée que les discours pro-Life n’impriment pas au-delà des milieux religieux catholiques, évangéliques et musulmans. Contrairement aux États-Unis, où les positions des partisans et opposants à l’IVG sont plus ou moins figées depuis cinquante ans, l'opinion publique française est, elle, massivement attachée à l'avortement, aussi bien dans son principe que dans le détail de ses conditions d'utilisation", analyse François Kraus, directeur du pôle Genre, sexualités et santé sexuelle de l’Ifop.
Une étude dirigée par @francois_kraus, Directeur du Pôle Politique / Actualités et Hugo Lasserre. Retrouvez l’intégralité des résultats de cette enquête ici https://t.co/aOkxtfYTz5
— Ifop Opinion (@IfopOpinion) November 29, 2022
Il faut dire que le féminisme bénéficie d’un soutien plus élevé dans la société française que dans une société américaine beaucoup plus polarisée sur ce sujet. En effet, ces clivages France / Etats-Unis tirent une part de leur explication dans le rejet plus fort dont fait l’objet le féminisme dans le pays de l’Oncle Sam : à peine un Américain sur deux (52%) s’affirme féministe, contre les deux tiers des Français (67%).
"Ce consensus autour d’un des principaux droits sexuels et reproductifs des femmes explique le soutien massif à la démarche actuelle de constitutionnalisation, qui rencontre d’ailleurs peu de freins dans les électorats conservateurs : seul le zémmourisme, expression de la fraction la plus traditionaliste et réactionnaire de la droite radicale, émet une certaine résistance. La volonté des Français de graver le droit à l’avortement dans le marbre de la Constitution n’est donc pas qu’une réaction à l’actualité états-unienne mais reflète une tendance de fond au respect de l’autonomie individuelle et de maîtrise de sa sexualité qui passent par la garantie du droit des femmes à contrôler leur corps", ajoute l'expert.
Une évolution des mentalités qui ne peut que réjouir celle à qui l'on doit la loi de légalisation à l'avortement en France. Quarante-huit ans, jour pour jour, après ce vote historique, l’Assemblée nationale a décidé de rendre hommage à Simone Veil en accueillant un buste à son effigie dans le jardin des Quatre-Colonnes, une œuvre signée de l’artiste franco-grecque Sissy Piana. C’est là que le ministre de la Santé de l'époque, Valéry Giscard d’Estaing, a défendu la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, avant sa promulgation en janvier 1975.
Comme le précise le quotidien Le Monde, c'est la Fondation pour Strasbourg qui est à l'origine de ce projet en faisant réaliser huit sculptures, toutes destinées à être placées dans des lieux phares de la vie de Simone Veil : à Nice, son lieu de naissance, au mémorial de la Shoah, à l’Académie française, au Panthéon où elle est enterrée, au Parlement européen à Strasbourg, et aujourd'hui à l'Assemblée nationale à Paris. "La sculpture ressemble tellement à ce qu’elle était. Le buste est conforme à ses traits physiques et à son caractère. J’étais fier de me dire que c’était ma mère", confie, ému, aux Dernières Nouvelles d'Alsace, son fils Jean Veil.