Fil d'Ariane
Dans le sillage de la Colombie et après l'appel officiel et mondial lancé par l'Organisation mondiale de la santé à l'occasion du 8 mars, deux pays d'Amérique du sud s'engagent de différentes manières, en faveur du droit à l’avortement.
Tout juste une semaine après l’avoir adopté, le Parlement du Guatemala fait marche arrière en enterrant, mardi 15 mars 2022, un projet de loi controversé qui durcissait la législation réprimant l’avortement et interdisant le mariage homosexuel. Le projet de texte prévoyait des peines allant jusqu’à dix ans de prison pour une femme qui avorterait et modifiait le Code civil pour interdire expressément le mariage entre deux personnes du même sexe. Des "groupes minoritaires" proposent "des normes de conduite […] contraires à l’ordre naturel du mariage et de la famille", menaçant l’équilibre moral de la société, avançait le texte.
Le président conservateur Alejandro Giammattei lui-même a demandé au Parlement de renoncer à cette législation, après s’être pourtant félicité de voir la ville de Guatemala déclarée "Capitale Pro-Vie d’Amérique latine" par un groupement religieux d’inspiration évangélique opposé à l’avortement.
La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a salué la décision de retirer le projet de loi, jugeant que celui-ci méconnaissait "les principes d’égalité et de non-discrimination essentiels au vu du droit international".
La loi actuellement en vigueur au Guatemala réprime toujours l’avortement avec des peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison. L’interruption volontaire de grossesse n’est autorisée que si la vie de la mère est en danger. Le Code civil, de son côté, stipule que le mariage est l’union "entre un homme et une femme".
C'est une loi sur l'avortement qui aurait pu faire reculer le Guatemala plusieurs dizaines d'années en arrière. Après l'avoir votée, les députés l'ont finalement enterrée. À lire et écouter dans la revue de presse internationale :https://t.co/cVWOKkt0OI pic.twitter.com/ICGlPonNP1
— Camille Marigaux (@CamilleMarigaux) March 16, 2022
Le même jour, la Convention constitutionnelle du Chili, chargée de rédiger une nouvelle Constitution pour remplacer l’actuelle héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), a approuvé une disposition autorisant l’interruption volontaire de grossesse.
Avec 108 voix pour, 39 contre et 6 abstentions, l’Assemblée constituante a approuvé la deuxième clause de l’article sur les droits sexuels et reproductifs, qui stipule que l’Etat doit assurer "les conditions d’une grossesse volontaire et protégée, d’une interruption volontaire de grossesse, d’un accouchement et d’une maternité". "Ainsi, elle garantit son exercice sans violence ni ingérence de tiers, qu’il s’agisse d’individus ou d’institutions", ajoute le texte.
"Avortement légal, à l'hôpital" réclament les Chiliennes qui manifestent en nombre à Santiago.
— Flora Genoux (@floragenoux) March 8, 2022
Le président élu, Gabriel Boric (gauche), est en faveur de la légalisation de l'avortement.
Il prend ses fonctions le 11 mars#Chili #8M2022 pic.twitter.com/bx5ODB3MHa
Le droit à l’avortement doit faire partie du projet de nouvelle Constitution qui doit être présenté par la Convention constitutionnelle avant le 4 juillet. Cette nouvelle loi fondamentale sera soumise par référendum aux Chiliens courant 2022. Si elle est rejetée, la Constitution Pinochet sera maintenue. Au Chili, l’avortement est autorisé seulement en cas de danger pour la vie de la mère, de l’enfant ou de viol. La dépénalisation de l’avortement est en cours de discussion au Congrès.
Pour l'Organisation mondiale de la santé, les restrictions ne réduisent pas le nombre d’avortements, mais en augmentent les risques, citant une étude publiée en 2020 dans le Lancet Global Health : au contraire, "les restrictions vont surtout pousser les femmes et les jeunes filles à recourir à des interventions risquées", prévient l'OMS. En recourant à des avortements illégaux, les femmes prennent donc des risques pour leur santé, alors que les IVG réalisées selon les règles sont extrêmement sûres, selon l'OMS. Les restrictions font donc courir des risques de "stigmatisation et de complications médicales", insiste l'agence.
"Nous recommandons que les femmes et les jeunes filles puissent accéder à l'avortement et aux services de planning familial quand elles en ont besoin", a déclaré Craig Lissner, un cadre de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dans un communiqué. L’OMS a appelé à faciliter autant que possible l’accès des femmes à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).
[#LeSaviezVous] Chaque année, plus de 25 millions d'avortements non sécurisés sont réalisés et mettent en danger la vie des femmes.
— ONU Genève (@ONUGeneve) March 10, 2022
L'OMS (@WHO) appelle à simplifier l'accès à l'avortement pour éviter le décès de 39 000 personnes.
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Cet appel intervient alors que l'agence de l'ONU a décidé de réviser l'ensemble de ses recommandations sanitaires quant aux procédures d'avortement et à ce qui les entoure : conseils, suivi... Si ces recommandations sont larges et comprennent désormais, par exemple, une incitation à développer les téléconsultations d'orientation, elles sont surtout l'occasion pour l'OMS de plaider pour de moindres restrictions à l'avortement. L’OMS recommande de "supprimer les restrictions inutiles sur le plan médical", citant "la criminalisation, des délais obligatoires d’attente, le fait d’imposer l’accord d’autres personnes - conjoints ou famille - ou d’institutions, et le fait d’interdire l’avortement au-delà d’un certain stade de la grossesse".
De nombreux pays limitent drastiquement le droit à l'avortement, le réservant à des situations où la santé de la mère est en danger. Quelques-uns, comme le Salvador et le Honduras, l'interdisent même intégralement. Les craintes des défenseurs de l'accès à l'avortement se sont récemment concentrées sur les Etats-Unis où plusieurs Etats ont adopté des mesures restrictives et où la Cour suprême semble prête à revenir sur l'idée que l'IVG constitue un droit inattaquable.