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Droit à l'IVG aux Etats-Unis : la Floride, Etat refuge parmi les conservateurs

Depuis l'annulation de l'arrêt Roe v. Wade par la Cour suprême, plusieurs États du sud-est des Etats-Unis ont interdit l'avortement, souvent sans exception aucune. Ce n'est pas le cas de la Floride qui, même si elle observe un strict contrôle et a réduit le délai légal, autorise toujours l'interruption de grossesse. Les femmes en détresse y affluent ; les cliniques sont débordées. 

Jamais il n'y a eu autant de travail dans la clinique où travaille la docteure D. à Jacksonville, en Floride. La raison : l'afflux de patientes venues pour un avortement depuis les Etats voisins, où ce droit a été fortement restreint depuis que la Cour suprême américaine leur a laissé le champ libre par sa décision du 24 juin 2022.

"Avant, sur une journée normale de travail, je voyais environ 25 patientes. Aujourd'hui, j'en vois 45. Il y a énormément de demandes", constate cette docteure, qui a préféré rester anonyme, craignant les réactions de militants anti-avortement.

Un droit restreint, mais toujours un droit

En juillet, la Floride a, certes, réduit le délai légal pour pouvoir avorter de 24 à 15 semaines de grossesse. Pourtant, cet Etat reste l'un des plus tolérants dans le sud-est des Etats-Unis en la matière. Autour, très vite après que la Cour suprême a décidé de revenir sur le droit constitutionnel, d'autres États conservateurs comme la Louisiane, le Mississippi, l'Alabama ou la Géorgie ont presque totalement interdit l'IVG, ou réduit son délai à six semaines, la plupart sans exception en cas d'inceste, de viol ou de danger pour la santé de la mère. Les associations de défense des droits des femmes craignent que près de la moitié des Etats du pays, à terme, leur emboîtent le pas.

Kamala Harris carte ivg us
La vice-présidente des Etats-Unis, Kamala Harris, montre une carte du droit à l'avortement aux Etats-Unis au 3 août 2022, lors d'une réunion sur l'accès aux soins de santé à la Maison Blanche, à Washington. Les Etats en rouge, plus ou moins foncé, sont ceux dont la législation s'est le plus durci depuis le 24 juin 2022. 
 
©AP Photo/Susan Walsh

Pénurie de personnel

C'est ainsi que de nombreuses femmes, dans ces régions, n'ont pas d'autre recours que de faire le voyage jusqu'à des cliniques comme celle où travaille la docteure D.. Celle-ci est gérée par l'organisation de planning familial Planned Parenthood. Laura Goodhue, responsable locale : "Nous sommes dans une situation désespérée, j'appellerais cela une urgence de santé publique".

Elle aimerait pouvoir faire venir en Floride, quelques jours par semaine, des médecins ne pouvant plus exercer dans leurs Etats. Car ici, les horaires de travail ont dû être allongés, jusqu'à douze heures par jour dans certaines cliniques, dorénavant également ouvertes le week-end pour faire face à l'afflux de femmes venues notamment du Texas, de Géorgie et d'Alabama.

Les obstacles sont nombreux

Dans la cuisine de la clinique de Jacksonville, la docteure D. se repose entre deux patientes. Avec son travail, elle s'est retrouvée en première ligne pour observer les conséquences des restrictions récentes à l'avortement. "C'est très décourageant de voir tout cela", dit cette femme de 33 ans. Pour venir jusqu'à elle, les femmes doivent poser plusieurs jours de congé, car la Floride réclame désormais qu'elles assistent en personne à deux rendez-vous, à au moins 24 heures d'intervalle l'un de l'autre, avant de subir un avortement, explique-t-elle.

Elles doivent aussi trouver un moyen de transport, se loger sur place et faire garder leurs enfants si elles en ont. Autant d'obstacles qui s'ajoutent à la réduction du délai légal pour avorter en Floride. "Malheureusement, si, quand elles arrivent ici, on se rend compte à l'échographie qu'elles sont à plus de 15 semaines, alors on ne peut pas les aider", ajoute la docteure D. Dans ce cas, "on leur fournit les informations pour se rendre dans d'autres Etats. Et cela ne fait que prolonger leur périple pour accéder à ce service de santé essentiel", dit-elle. 

Strict contrôle

La Floride reste un Etat conservateur, qui tolère l'avortement tout en gardant un oeil sévère sur son accès. Pour preuve cette décision formulée le 15 août par une cour d'appel du comté d'Escambia, confirmant la décision d'une juge ayant statué qu'une adolescente de 16 ans, orpheline, n'était "pas assez mature" pour avorter. La jeune fille, connue sous le pseudonyme de Jane Doe 22-B, était enceinte de seulement dix semaines lorsqu'elle a formulé sa requête d'IVG auprès de l'administration, ne pouvant obtenir le consentement d'au moins un de ses parents, condition indispensable pour les mineures souhaitant avorter en Floride, puisque tous deux sont décédés.

Dans quel monde une personne de 16 ans est trop immature pour se faire avorter, mais assez mature pour porter et élever un enfant ?
Joyce Beatty, élue démocrate de l'Ohio

Des élues protestent contre cette "guerre faite aux femmes" : "Dans quel monde une personne de 16 ans est trop immature pour se faire avorter, mais assez mature pour porter et élever un enfant ?", questionne l'élue démocrate de l'Ohio Joyce Beatty, appuyée par ses collègues Bonnie Watson Coleman du New Jersey et Katherine Clark du Massachussets. "C'est un exemple dangereux et terrifiant de la guerre faite aux femmes par la Floride", s'indigne Lois Frankel, élue démocrate du 21e district de Floride. Elle juge la décision "inacceptable" et appelle à "combattre pour la santé, la sécurité et la liberté des femmes".

Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes soulignaient aussi l'apparente incohérence de la décision de justice et exprimaient leur colère, comme dans ce tweet qui reproduit le jugement d'appel du 15 août : "A Jane Doe 22-B et à toutes les adolescentes qui se sont entendu dire qu'elles n'étaient pas assez matures ou qu'elles n'avaient pas montré de preuves claires et convaincantes de leur désir d'avorter : la Cour suprême des États-Unis n'a pas réussi à protéger vos droits, mais nous n'abandonnons pas."

Début août, Andrew Warren, procureur de l'État de Floride, déclarait qu'il refuserait d'uiliser son mandat pour poursuivre quiconque subit ou pratique un avortement. Il fait partie d'un groupe de procureurs qui se sont engagés à ne pas participer à la criminalisation de décisions prises à la suite de l'annulation du droit constitutionnel à l'avortement. Suspendu par le gouverneur Ron DeSantis, Andrew Warren l'attaque en justice : 

Angoisses et insécurité

A quelque 450 kilomètres de Jacksonville, dans la clinique de Planned Parenthood située à West Palm Beach, une jeune femme se prépare à un avortement chirurgical. A 23 ans, elle s'est retrouvée enceinte après que le préservatif utilisé avec un garçon qu'elle voit depuis trois mois s'est rompu. La pilule du lendemain, commandée sur internet, est arrivée trop tard.

L'erreur d'une nuit ne doit pas conduire à un changement de vie permanent.
Jeune femme de 23 ans

Elle a longtemps hésité avant de prendre sa décision, mais elle préfère avorter pour terminer ses études universitaires. "Je sais que c'est ce qui est le mieux pour moi, même si c'est une décision difficile, explique-t-elle. L'erreur d'une nuit ne doit pas conduire à un changement de vie permanent".

Elle-même, qui vit en Floride, a du mal à imaginer ce que vivent les femmes venues d'un autre Etat pour pouvoir avorter. Chez elle aussi, la décision de la Cour suprême a entraîné un stress supplémentaire : "En Floride, vous avez jusqu'à 15 semaines de grossesse, et cela peut changer à tout moment, comme dans les autres États. C'était beaucoup de pleurs et d'anxiété."