Fil d'Ariane
Au Burkina Faso, la situation pour les femmes s’est améliorée en matière de DSSR (Droits de la Santé Sexuelle et Reproductive des femmes). A Vancouver, Marie Laurence Ibouldo-Marchal, ministre de la Femme, de la Solidarité familiale et de la Famille du Burkina Faso l'expliquait : "Nous avons adopté en 2015 une loi qui autorise l’avortement en cas de viol, d'inceste, ou si la santé de la mère ou du fœtus est en danger, explique-t-elle. Par contre, cette loi est encore méconnue et nous rentrons toujours dans ce cycle d'avortement clandestin qui peut être dangereux pour les femmes, les tuer ou les rendre stériles."
Marie Laurence Ibouldo-Marchal insiste sur l’importance d’offrir aux femmes ces moyens contraceptifs pour leur permettre de poursuivre leurs études, et de travailler : "Nous ne pouvons pas, aujourd'hui, parler de l'autonomisation de la femme sans parler du droit à la santé sexuelle et reproductive, parce qu'aujourd'hui, tant que la femme ne peut pas maîtriser son taux de fécondité, elle ne sera pas active. Il est important qu'une femme puisse maîtriser son corps et décider le nombre d'enfants qu'elle veut et quand elle le veut pour être plus active. Nous travaillons dans ce domaine au Burkina Faso pour donner ces instruments aux femmes afin qu'elles puissent participer pleinement à la vie économique du pays".
Un avis partagé par Alexia Hountondji, membre du Parlement des jeunes du Bénin et du réseau des jeunes féministes d'Afrique de l'Ouest : "Garantir les droits sexuels aujourd'hui, c'est garantir un avenir aux jeunes, c'est donner la possibilité aux jeunes femmes de réaliser leur plein potentiel, de ne pas être entravée par une grossesse, une infection ou par une violence d’ordre sexuel".
Aujourd'hui, en Afrique de l'Ouest, une personne sur trois est jeune, alors que la sexualité reste tabou.
Alexia Hountondji
Alexia Hountondji est enseignante : elle déplore de voir trop de jeunes filles abandonner leurs études parce qu’elles tombent enceinte ou parce qu'elles sont mariées précocement : "Aujourd’hui, en Afrique de l'Ouest, une personne sur trois est jeune, et la sexualité reste un sujet tabou. Donc les droits sexuels, les services, les produits de contraception ne sont pas disponibles et il y a une poussée de grossesses précoces. Il est important d'investir dans la santé sexuelle des jeunes et des adolescents".
Selon la jeune féministe, des efforts ont été faits pour se doter de programmes d’éducation sexuelle dans les écoles béninoises. Il y a aussi eu des investissements pour la santé sexuelle des jeunes, mais "il faut aussi penser à ceux qui ne sont plus scolarisés. Ces investissements sont insuffisants, il y a encore beaucoup à faire".
Tout comme au Burkina Faso, les lois adoptées ces dernières années pour améliorer les droits sexuels et reproductifs des Béninoises sont encore méconnues de la population : "Nous avons un bel outil, fait remarquer Alexia, mais nous ne pouvons pas l’utiliser et la loi n’est pas opérationnelle en tant que telle".
Aurélie Gal-Régniez, directrice de l'organisme français EQUIPOP, qui travaille dans les pays d'Afrique francophone sur la question des DSSR, constate sur le terrain une certaine ambivalence : "D'un côté on a une volonté politique qui s'affirme de plus en plus. On entend dans beaucoup de pays des leaders politiques qui se lèvent et qui affirment qu'il faut défendre les droits des DSSR. On a aussi des personnes au niveau de la société civile qui se mobilisent et qui fournissent un travail formidable pour faire avancer les choses. Mais de l’autre côté, on a des blocages socio-culturels extrêmement importants et un sous-investissement, ce qui fait qu'on est bien loin du compte en matière de respect des droits et de la santé sexuelle des femmes et des filles dans ces pays-là, vraiment très loin du compte. Il faudrait quadrupler les investissements dans les DSSR et que les gouvernements en fassent une priorité sociale et politique".
Aurélie Raz-Régniez estime qu'il faudrait intervenir à tous les niveaux pour faire avancer la cause des droits sexuels et reproductifs des femmes : "Il n'y a pas de baguette magique ni de solution magique : la solution, c'est l'action collective, unir ses forces, faire en sorte qu'il y ait des mouvements et des efforts conjoints à tous les niveaux de la société. C'est important que les individus prennent leurs responsabilités et fassent changer les comportements au niveau individuel. Ensuite, il faut déconstruire un certain nombre d'idées reçues et de stéréotypes qui bloquent la mise en œuvre de ces droits, le dialogue social doit être porté, il faut qu'il y ait des endroits où on parle de sexualité et de droit des femmes, de masculinité et de féminité. Enfin les "politiques" doivent être des leaders de changement, faire avancer les normes sociales et prendre des engagements forts. C'est l'alliance de l'ensemble de ces énergies-là qui fera avancer les choses".
La directrice d’Equipop rappelle qu’en matière de droits sexuels et reproductifs, il faut toujours rester vigilant : "C’est un combat permanent, quand on a une avancée quelque part, on n'est jamais loin d'un recul aussi. Il y a toujours à un moment donné une possibilité de retour en arrière". Le mouvement anti-avortement, qui ne cesse de prendre de l'ampleur aux États-Unis, en est la preuve. "Je pense qu'il faut garder en tête que l’investissement pour les droits des femmes et des filles est profondément transformatif pour l'ensemble des pays. C'est un investissement qui bénéficiera à tout le monde, à plus d'égalité dans toutes les sociétés, en Afrique de l'Ouest comme dans le monde entier," conclut Aurélie Gal-Régniez.
Equipop travaille en collaboration avec des organismes locaux, mais épaule aussi les jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest : "Nous aidons à sécuriser les espaces où elles peuvent échanger et avoir accès à l’information concernant les luttes féministes du monde entier et faire entendre la voix de ces femmes dans ce genre de conférence," précise Aurélie Gal-Régniez. L'Afrique francophone est sous-représentée dans la plupart des instances internationales et pour nous il est extrêmement précieux de faire entendre la voix des femmes d'Afrique francophone".
L’Afrique francophone était effectivement sous-représentée à la conférence de Women Deliver en juin dernier à Vancouver, par rapport à l’Afrique anglophone. Katja Iversen, la présidente de Women Deliver, a reconnu qu’il manquait de représentants francophones et qu’il fallait faire mieux lors de la prochaine rencontre, qui se tiendra dans trois ans.