Droits des femmes au Sénégal : quel bilan pour Macky Sall ?

Au cours de ses 12 ans au pouvoir, Macky Sall a été à l'origine de plusieurs mesures pour renforcer les droits des Sénégalaises. Quelles sont-elles ? Est-ce suffisant ? Éléments de réponse. 

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Femme au Sénégal

Selon le Code de la famille du Sénégal, le père d'un enfant est le seul détenteur de l'autorité parentale.

AP Photo/Jane Hahn
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Criminalisation du viol, renforcement de la parité, accès au foncier… Depuis 2012, le président sénégalais Macky Sall a agi sur différents axes pour faire évoluer la parité hommes-femmes. La romancière et féministe sénégalaise Ndeye Fatou Kane raconte qu'au moment de sa première élection, “il avait une posture inclusive, assez en décalage avec celle de plusieurs hommes politiques sénégalais.”

Des actions axées sur la parité

Je pense qu’il y a plusieurs faits majeurs qui sont à retenir de son magistère : la continuité de la loi sur la parité, mais aussi le vote du texte pour la criminalisation du viol en 2019” poursuit la romancière. La loi sur la parité a été promulguée en 2010 par le prédécesseur de Macky Sall, Abdoulaye Wade. Ce texte vient exiger la “parité absolue” entre les sexes dans toutes les institutions électives, avec des listes de candidats alternant hommes et femmes. 

Avant la loi sur la parité, on n’avait même pas 10% de femmes à l’Assemblée nationale.

Jaly Badiane, militante féministe sénégalaise

Qu’a fait Macky Sall pour renforcer la parité ?

  • En plus de l’application de la loi sur la parité de 2010, le président sénégalais s’est attaché à œuvrer pour une meilleure représentation des femmes au sein des institutions. 

  • Il y a eu le renforcement du PASNEEG (projet d’appui à la stratégie nationale pour l’équité et l’égalité de genre), qui est adossé au PSE (plan Sénégal émergent). 

  • Adopté en 2006, le PASNEEG est entré en 2016 dans sa deuxième phase. Il vise à “renouveler et à renforcer ses actions en matière de promotion de l’égalité de genre et d’empowerment (NDLR : empouvoirement) des femmes conformément aux priorités identifiées dans le processus de l’agenda post-2015.

(Re)voir Sénégal : les femmes dans l'arène politique

La militante féministe Jaly Badiane rappelle que durant la présidence de Macky Sall, il y a eu “deux élections de représentativité locale, que ce soit les élections législatives ou les élections locales.” Elles ont eu lieu en 2017 et en 2022. “La parité a été respectée lors de l’établissement des listes et consorts, détaille la militante. On a réussi à relever le taux de femmes présentes à l’Assemblée, on est passé de 42 à 44% par rapport à la précédente magistrature.” Ces chiffres sont bien plus élevés que  la moyenne mondiale, située à 24 %. Elle rappelle également “qu'avant la loi sur la parité, on n’avait même pas 10% de femmes à l’Assemblée nationale.”

Le viol est-il réellement criminalisé ? 

La loi criminalisant le viol, promulguée en 2019, était “une doléance importante des associations féministes”, raconte Jaly Badiane. “C’est un acquis sur lequel on ne crache pas, mais les discussions laissent encore à désirer”, poursuit la militante. Selon elle, “la mise en œuvre de cette loi est très problématique.”

L’accusation de viol, qui est à l’origine du procès, a été transformée en “corruption de la jeunesse”

Ndeye Fatou Kane, romancière sénégalaise

Ndeye Fatou Kane rappelle que l’opposant sénégalais Ousmane Sonko a comparu devant la justice car il faisait l’objet d’accusations de viols à répétition de la part d'Adji Sarr, ancienne masseuse. “Ça aurait pu être l’occasion d’appliquer cette loi, d’autant que le viol a été scientifiquement et médicalement prouvé, estime la romancière. Mais l’accusation de viol, qui est à l’origine du procès, a été transformée en “corruption de la jeunesse””, poursuit-elle. Ousmane Sonko a toujours nié les accusations portées contre lui et dénoncé un complot pour l'écarter de la course présidentielle. Le 1er juin 2023, Ousmane Sonko est condamné à deux ans de prison ferme pour "corruption de la jeunesse", tout en étant acquitté des accusations de viols. 

Des chantiers plus importants laissés de côté

Jaly Badiane regrette que Macky Sall ne soit pas allé plus loin dans l’évolution des droits des femmes au Sénégal. “Durant ces douze ans, il aurait pu faire énormément de choses et surtout changer les lois, mais ça n’a pas vraiment été fait”, regrette-t-elle.  

(Re)voir Droits des femmes en Afrique 1/3 : Fatou Sow, une "défricheuse" du féminisme africain

Elle cite l'exemple du Code de la famille, dont la réforme est réclamée par de nombreuses militantes féministes. Tel qu’il est écrit, le Code de la famille donne l’autorité parentale uniquement au père. En cas de divorce, seul le père peut prendre des décisions pour l’enfant. La reconnaissance de la filiation est également interdite par ce Code. Autre point de crispation : l'âge légal du mariage. Il est de 6 ans pour les petites filles et de 18 ans pour les garçons.

Non seulement la réforme du Code de la famille serait un grand chantier, mais il y a de réels sujets de discorde.

Jaly Badiane, militante féministe sénégalaise

Le Code de la famille, c’est quoi ? 

  • Au Sénégal, le Code de la famille est appliqué depuis 1972, soit 12 ans après l’indépendance du pays. 

  • Il s’agit d’un consensus entre le droit des autorités religieuses, musulmanes comme chrétiennes, les chefs coutumiers et les juristes de l’époque. 

  • La codification de cette loi pour la famille débute sous le président du Conseil, Mamadou Dia, avec le décret du 12 avril 1961. 

  • En 1965, Léopold Sédar Senghor, le premier président du Sénégal, désigne de nouveau le Comité des options pour le Code de la famille. 

  • Cette commission avait en charge l’unification des différentes formes de lois, car comment faire coexister les lois relevant des différentes coutumes avec le Code napoléonien, hérité de la colonisation. 

  • Ce travail prit six ans. 

  • Les principales caractéristiques de ce Code sont l’unification de la loi, l’affirmation affichée du caractère laïc de la société, la reconnaissance des principes des droits individuels et le principe de l’égalité de tous les citoyens.

“Je pense que Macky Sall n’a pas voulu y toucher parce que ça implique beaucoup de choses” poursuit Jaly Badiane. Déjà, au moment où il a été instauré, “il fallait que toutes les différentes sensibilités soient prises en compte, poursuit-elle. Et maintenant, une réforme du Code de la famille signifierait de trouver un consensus entre toutes ces sensibilités.” Selon la militante, “non seulement ce serait un grand chantier, mais il y a de réels sujets de discorde.”