Fil d'Ariane
Des cris de joie, des acclamations, des salutations, la nuit saoudienne du samedi 23 au dimanche 24 juin 2018 a retenti de liesse à l’entrée effective du permis de conduire pour les saoudiennes. Une étape décisive pour beaucoup, au delà du pays lui même... "Aujourd'hui, les femmes peuvent enfin prendre le volant sur les routes saoudiennes. C'est un pas important vers la normalité après des décennies d'interdiction de conduire."
Today, women are finally able to take the wheel on Saudi Roads. Such a significant step towards normality after a decades-long ban on driving. #Joy @TERRIENNESTV5
— Coralie Lolliot Bright (@LolliotCoralie) 24 juin 2018
Et quelques belles images publicitaires, accompagnées du mot dièse #SaudiWomenDriving :
La police saoudienne célèbre #SaudiWomenDriving pic.twitter.com/BO4MUcm4R0
— saoudite en français (@ksa_france_m) 23 juin 2018
Mais cette avancée motivée principalement par des arrières pensées économiques ne peut faire oublier le brutal rappel à l’ordre qui s’abat au même moment sur les militantes des droits des femmes. Une évolution donc, pas encore une révolution.
Amnesty International a beau s'émouvoir, une pétition être mise en ligne, gageons que le monde réagira peu à cette attaque frontale aux droits humains menée par les autorités saoudiennes contre les militantes des droits des femmes. L'Arabie Saoudite occupe une place économique et stratégique trop centrale et nécessaire aux puissances occidentales pour que celles-ci se risquent à la moindre critique de la dynastie des Saoud. Dix ou douze personnes, peut-être plus, ont pourtant été arrêtées en moins d'une semaine, dix militant.es, dont plus des deux tiers sont des femmes, œuvrant depuis des années à l'émancipation des Saoudiennes. Et qui selon Amnesty International ne bénéficient d'aucun droit minimum à la défense.
Comme ces deux nouvelles activistes interpellées à la toute fin de ce mois de juillet 2018 : Samar Badawi et Nassima al Sada toutes deux régulièrement prises pour cibles et harcelées en raison de leurs activités en faveur des droits humains, et font l’objet d’une interdiction de voyager. La première est la sœur du blogueur Raif Badawi, condamné à 1 000 coups de fouet et 10 ans de prison pour avoir créé un site Internet dédié au débat public. La deuxième fait depuis longtemps campagne en faveur des droits civils et politiques, ceux des femmes en particulier mais aussi et ceux de la minorité chiite dans la province de l'Est. Elle s’était présentée aux élections municipales en 2015, mais sa candidature avait été rejetée. Ces derniers temps, elle se battait pour que le système répressif de tutelle masculine soit aboli.
#Arabiesaoudite: Purge toujours...la soeur de #RaifBadawi arrêtée...@djemilaben @miss9afi #Amnesty @ActuElles @TERRIENNESTV5 @Terrafemina @A_De_Corato @VDEBUISSON @tfsalomon @JamaisSansElles @PFDMedias @tfsalomon @midatlantic61 @ https://t.co/nR4g37vMjp
— Clarence Rodriguez (@ClarenceArabie) 1 août 2018
Le "crime" de ces militantes est ainsi présenté dans les médias "officiels", en accord avec le communiqué de la Sécurité du Territoire (lien en arabe) : "elles/ils sont accusés de former une 'cellule', constituant une menace pour la sécurité de l'Etat en raison de leurs liens avec des entités étrangères dans le but de saper la stabilité et le tissu social du pays". Un hashtag (en arabe) les décrivant comme "agents d'ambassades", ainsi qu'un graphique montrant les visages des activistes, ont également circulé sur les médias sociaux, pour que la population comprenne bien à quel point ces personnes étaient malveillantes.
"Agents de l'étranger", "traitres", des adjectifs si souvent utilisés par les dictateurs ou les autocrates pour couper court à toute velléité d'ouverture au monde...
Prominent #Saudi activists who have campaigned for women’s right to drive in the kingdom have been arrested.
— Mete Sohtaoğlu (@metesohtaoglu) 23 mai 2018
Their detention comes weeks before Saudi Arabia lifts the driving ban.
State-backed media branding them as traitors and "agents of embassies"
pic.twitter.com/9qRHPkAFLL
"En dépit du tollé international et des appels à la libération de ces militantes, elles sont toujours détenues à cause de leur activité pacifique pour les droits humains", a déclaré Samah Hadid, directrice des campagnes d'Amnesty International pour le Moyen-Orient. "Les autorités saoudiennes ne peuvent pas continuer à déclarer publiquement qu'elles sont en faveur de réformes, et en même temps traiter les militant.es pour les droits de la femme de cette façon cruelle".
Parmi ces détenues figurent, selon Human Rights Watch, Loujain al-Hathloul - détenue en 2014 pendant 73 jours après avoir tenté de traverser en voiture la frontière entre les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite -, Aziza al-Youssef, professeure retraitée de l'université Roi-Saoud à Ryad, et Hatoon Al-Fassi dernière victime, le 29 juin 2018, de la campagne menée par les autorités de Riyad contre les défenseures des droits des femmes dans le royaume.
Tandis qu'une journaliste de Dubaï, la Saoudienne Shireen al-Rifaie, était obligée de quitter le pays, précipitamment le 26 juin pour avoir commenté l'avènement des femmes aux volant, vêtue d'une abaya trop décolletée.
Shereen al-Rifaie has fled #SaudiArabia after she discovered authorities were after her for wearing these clothes. What will be interesting is whether western journalists will report this or stick to thes pun story about #WomensRights advancing, re driving licence. pic.twitter.com/oSaq2UASuB
— Martin Jay (@MartinRJay) 27 juin 2018
Jointe grâce à skype, par Radio Canada, Atiya Jaffar l’une des amies de Loujain al-Hathloul, déjà détenue en 2014 pour avoir pris le volant, réagit à cette arrestation. Elle connaît bien l'activisme de Loujain, elles ont étudié ensemble au Canada, et elle apprécie son sens des risques mesurés aux bénéfices de leur combat.
UPDATE:
— WHRD- MENA (@whrdmena) 24 mai 2018
Dr. Aysha al-Manea has been released! #NotATraitor #ReleaseSaudiWHRDs pic.twitter.com/iDpOg752yJ
Women’s human rights defenders Dr. Madeha al-Ajroush and Dr. Hessa al-Sheikh have been released. The conditions of their release remain unknown.#SaudiArabia-n authorities must free all prisoners of conscience immediately and unconditionally.
— Samah Hadid سماح (@samahhadid) 24 mai 2018
Tout gouvernement qui croyait que le prince héritier saoudien est un champion des femmes devrait exiger la libération immédiate et inconditionnelle des militantes des droits humains
Sarah Leah Whitson, directrice de Human Rights Watch pour le Moyen-Orient
Restent donc incarcérées : Loujain al-Hathloul éminente défenseure des droits humains et pionnière du volant, Iman al-Nafjan blogueuse, militante du droit de conduire, Aziza al-Yousef pourfendeuse du système de tutelle masculine en Arabie saoudite et la journaliste Mayya al-Zahrani, arrêtée le 9 juin, pour avoir publié des commentaires attristés et critiques après l'arrestation, déjà, de l'activiste des droits humains Nouf Abdulazi pour son soutien à Loujain al-Hathlou. Et le 20 juin on apprenait que Nouf Abdelaziz et Mayaa al-Zahrani avaient été mise aux arrêts dans le courant du mois de juin. "Les autorités saoudiennes ont arrêté encore deux militantes (...) dans le cadre de ce qui apparaît comme étant une répression implacable du mouvement pour les droits des femmes", souligne HRW.
UPDATES:
— Prisoners of Conscie (@m3takl_en) 9 juin 2018
Saudi authorities have arrested two new female activists:
1- Noof Abdulaziz (because of her support to Lojain Al-Hathloul, Eman Al-Nafajan, and Aziza Al-Yousef)
2- Miaa Al-Zahrani (because of objecting to the detention of Noof) pic.twitter.com/rd8xvuDMGF
Tandis que leurs proches aussi sont sommés de se taire. Et tout cela, alors même que le Royaume se targue de délivrer ses premiers permis de conduire à des femmes. Mais pas de permis de parler...
#ArabieSaoudite: Suite répression...Fahad Albutairi comédien très populaire parmi les jeunes saoudiens a été interdit de voyager & doit observer le silence. Son épouse @LoujainHathloul militante au droit de conduire reste en prison. @AlyaaGad @TERRIENNESTV5 @Geopol_Analisi pic.twitter.com/Ju2diPudOF
— Clarence Rodriguez (@ClarenceArabie) 28 mai 2018
"Tout gouvernement qui croyait que le prince héritier saoudien est un réformateur et un champion des femmes devrait exiger la libération immédiate et inconditionnelle de tous les militant.es des droits humains", a lancé Sarah Leah Whitson, directrice de Human Rights Watch pour le Moyen-Orient. "Parce qu'une vraie réforme ne peut se dérouler dans un climat de dystopie où les militant.es des droits sont emprisonné.es et où la liberté d'expression n'existe que pour ceux qui les maltraitent publiquement."
A suivre, parce que #yaduboulot...
Suivez Sylvie Braibant sur Twitter @braibant