Fil d'Ariane
"Combien de situations insupportables seraient passées sous silence, sans les défenseurs des Droits humains ?" C'est avec cette question que la Secrétaire générale de la Francophonie Michaëlle Jean ouvre la cérémonie de remise du prix Martine Anstett, ce 29 avril 2016 au siège de l'OIF.
Pourtant, ceux qui s'engagent corps et âme pour défendre les victimes n'ont pas peur des risques très concrets qu'ils encourent - dénigrement, harcèlement, agressions verbales et physiques... Et à mesure que les financements se réduisent comme peau de chagrin et que les régimes autoritaires remettent en cause leur action à grand renfort de campagnes de dénigrement, leur situation se fait toujours plus précaire. Sans compter les pressions exercées par les
grands groupes industriels pour imposer leur pouvoir économique au détriment de l'environnement et des populations.
Comme un encouragement, un coup de pouce pour les soutenir dans leur action et les aider à encaisser les coups durs, les fondateurs de l'association Martine Anstett ont voulu ce prix annuel, créé quelques semaines seulement à peine après la disparition de celle dont il porte le nom, emportée par la maladie. Martine Anstett avait consacré sa vie à la défense des Droits humains auprès de l'ONU, puis d'Amnesty International, avant de rejoindre l'Organisation internationale de la Francophonie.
Doté de 1500 euros, le prix s'adresse aux femmes et aux hommes, sans distinction d'âge ou de religion, qui œuvrent pour corriger les injustices et apaiser les souffrances des victimes.
18 juin : création de l'asso. Martine Anstett, qui, chaque année, décernera un prix des droits de l'homme pic.twitter.com/bchCsqbP1Y
— Martine Anstett (@AnstettMartine) 19 juin 2015
Pour Michel Forst, rapporteur spécial aux Nations unies sur la situation des défenseurs des Droits humains, toutes les récompenses accordées en soutien aux personnes engagées comptent parmi les "bonnes pratiques" garantes de leur protection. "Martine était une personne droite, très exigeante, d'une fiabilité à toute épreuve. Elle faisait partie de ces femmes et de ces hommes qui ont une éthique de vie, des valeurs... et qui portent en eux ce combat," se souvient-il.
Hommage rendu à Martine Anstett par sa famille, collègues et amis lors de la 1ère cérémonie du prix Martine Anstett. pic.twitter.com/5LJ6As0wF2
— Michel Forst SR HRD (@ForstMichel) April 29, 2016
Martine Anstett était de ceux et de celles qui ne comptent pas quand il s'agit de défendre les autres avec passion : "Décalage horaire, dimanches, vacances, et même enfant malade... Elle n'arrêtait jamais de travailler sur ses dossiers. Elle pouvait téléphoner n'importe quand pour s’enquérir de la situation judiciaire d'un blogueur au Vietnam, des avancées d'une loi liberticide en Europe, de la structure d’accueil pour femmes violées en RDC... Dans le calendrier de l'injustice, il n'y a pas de jours fériés," appuie Frantz Vaillant, son compagnon.
Diplômée de l'Institut d'Etudes politiques de Paris (Science-Po), Martine Anstett s'oriente vers le droit communautaire et européen. Avec un DEA de juriste, elle affûte les armes de ce qui va devenir son combat. Prévention de la torture, condition des femmes, démocratie et droits humains sont autant de causes que, au fil de ses missions auprès de l'Union européenne et des Nations unies, elle a fait siennes : "Les larmes lui montaient vite si, par son action conjuguée avec celle de ses interlocuteurs, elle était parvenue à débloquer une situation," se souvient son compagnon.
Cette pugnacité, elle l'a communiquée autour d'elle. Après sa disparition brutale, quelques jours après son entrée à l'hôpital, Frantz Vaillant ne se résout pas à voir cette énergie perdue à jamais : "Les droits de l'Homme, c'est un combat contre l'oubli, contre l'indifférence, contre les salauds. Il fallait continuer sa lutte et poursuivre le travail de mémoire. Une action meurt-elle quand disparaît son initiateur ? Je ne le crois pas. Je ne le veux pas" explique-t-il aujourd'hui. "Je souhaite que ce prix me survive. J'espère que Jules, notre fils, aujourd'hui âgé de 7 ans, reprendra le flambeau. Il sait par les témoignages d'affection qui nous continuent de nous parvenir combien sa maman était une personne engagée dotée d'une extrême compétence..."
Plusieurs critères ont présidé au choix des cinq profils retenus : la représentation géographique, une action reconnue dans le domaine des droits de l’Homme, des circonstances particulières (situation politique, emprisonnement, etc.) et une thématique à encourager.
Le lauréat est un journaliste péruvien, membre du Red de Comunicadores Indigenas del Perú. Voici des années que César Estrada dénonce les exactions concernant des conflits fonciers entre les grands groupes et les communautés indigènes dans la région de Cajamarca. Victime de persécutions, d'intimidation, de diffamation, harcèlement, menaces, attaques et vols, il subit un acharnement judiciaire permanent et a failli perdre un œil à l’issue d’une violente agression physique. Le prix salue son action dans un domaine où les défenseurs en Amérique latine sont régulièrement menacés, et contribuera aussi à le protéger.
"Je poursuivrai ma lutte pour la défense des droits de l'Homme avec ma propre vie si c'est nécessaire," déclare César Estrada, lauréat du prix Martine Anstett, dans cette courte vidéo :
Passage à l'#OIF du formidable Dr. #Mukwege, "l'homme qui répare les femmes" violées en RDCongo. pic.twitter.com/OTVexI3Y6s
— Martine Anstett (@AnstettMartine) 31 mars 2015