Fil d'Ariane
La princesse Haya Bint al-Hussein quitte le tribunal à Londres , le 30 juillet 2019.
En juin 2019, Haya bint al-Hussein, épouse de l'émir Mohammed ben Rached al-Maktoum, gouverneur de Dubaï et vice-président des Emirats arabes unis, quitte Dubaï avec ses deux enfants, Jalia, 11 ans, et Zayed, 7 ans, emportant avec elle près de 35 millions d'euros pour "refaire sa vie". Destination : l'Allemagne, où elle demande l'asile politique, disant craindre pour sa vie après avoir quitté son mari.
"Ta plus grande erreur a été de me mentir... Vivante ou morte, peu m’importe. Tu n’as plus ta place dans ma vie. Pars avec qui tu veux," publie alors l'époux sur Instagram. Une accusation d'adultère à peine voilée, qui jette le discrédit sur la princesse. Elle annonce son intention de divorcer, déclenchant une crise diplomatique entre l'Allemagne et les Emirats arabes unis. Le souverain émirati réclame l'extradition de sa famille. Les autorités allemandes refusent.
Le 30 juillet 2019, c'est en Grande-Bretagne que se poursuit le bras de fer juridique. Un pays dont la princesse détient la nationalité par sa mère. Un pays où l'émir a fait ses études et possède plusieurs propriétés. Au tribunal, à Londres, la princesse Haya arrive accompagnée de l'avocate Fiona Shackleton, qui avait défendu le prince Charles lors de son divorce avec la princesse Diana. Son époux, Mohammed ben Rached al-Maktoum, est représenté par Helen Ward, conseil du réalisateur britannique Guy Ritchie lors de son divorce avec la chanteuse américaine Madonna. Devant le tribunal aux affaires familiales, la guerre est déclarée.
Sur le parvis de la Haute Cour de justice, une poignée d'opposants et de militants attendaient le souverain de pied ferme, brandissant des pancartes le traitant de "sponsor de la prostitution et de l'esclavage".
Manifestants contre l'émir Mohammed ben Rached al-Maktoum devant la Haute Cour de justice à Londres ce 30 juillet, alors que l'émir est venu remplir les formulaires de divorce d'avec la princesse Haya après 15 ans de mariage.
D'emblée, la princesse fait sensation en demandant devant le juge aux affaires familiales la mise en place d'une mesure de protection contre un mariage forcé "concernant les enfants" - probablement sa fille de 11 ans, même si cela n'a pas été explicitement formulé. Elle requiert aussi une mesure de protection contre des violences, ainsi que la garde de ses enfants, lors d'une audience à laquelle seule la presse britannique a pu assister.
Aujourd'hui âgée de 45 ans, la princesse Haya, est la demi-soeur du roi de Jordanie Abdallah II et la fille du défunt roi Hussein de Jordanie et de la reine Alia, fervente partisane de l’émancipation de la femme arabe. De cette mère disparue dans un accident d’hélicoptère alors qu’elle-même n’avait pas encore 3 ans, elle a hérité un esprit libre, le sens de l’engagement pour les démunis et un passeport britannique.
Elle a épousé l'émir, de 25 ans son aîné, en 2004. "La passion pour les chevaux a été la première chose qui nous a rapprochés lors de notre rencontre, mais très vite nous avons réalisé que nous partagions le même intérêt pour la poésie, ainsi que pour la culture musulmane et arabe", confiait-elle en 2005 dans sa première interview à un média international après ses noces.
La princesse se disait alors admirative des femmes des Emirats arabes unis, qui ont réussi à "joindre le modernisme aux traditions arabes et musulmanes... Beaucoup d'entre elles travaillent, sont modernes, mais restent respectueuses de leurs traditions et de leurs valeurs", assurait-elle, estimant que les Emiraties pouvaient "servir d'exemple de la femme musulmane moderne au reste du monde arabe et musulman".
Elle-même se veut l'incarnation de cette modernité. Cavalière de niveau olympique, engagée dans des projets liés à l'éducation et la jeunesse, la princesse Haya se présente comme l'incarnation de la femme musulmane moderne. "Les femmes doivent prendre conscience de leur force", confiait-elle en 2016 à un magazine féminin émirati. "Tant de femmes avant nous et parmi nous ont souffert pour se faire une place dans une société moderne", ajoutait-elle, plaidant pour que ces dernières puissent "faire valoir leur potentiel".
Née et élevée en Jordanie, Haya s’est envolée pour l’Angleterre à 11 ans pour y être éduquée dans les écoles privées de l'élite britannique. Elle reviendra à Amman diplômée d’Oxford en philosophie, sciences politiques et économiques. En 2007, elle a été nommée ambassadrice de la paix des Nations unies ; elle a été la première Arabe et la première femme ambassadrice de bonne volonté du Programme alimentaire mondial, entre 2005 et 2007.
Grande sportive, la princesse Haya a été l'une des premières femmes à représenter son pays au niveau international aux jeux équestres panarabes en 1992, d'où elle est revenue avec la médaille de bronze. Sa passion pour les chevaux l'a également rapprochée de la famille royale britannique. Dans un entretien au magazine Emirates Woman, elle raconte pratiquer la fauconnerie et le tir. A la BBC, elle confie son goût pour les bolides, qu'elle adore conduire, à commencer par l’Aston Martin de James Bond. Elle affirme aussi être la seule femme à avoir le permis poids lourd en Jordanie
A Dubaï , la princesse est aussi engagée dans des projets sociaux pour l'éducation et de la santé - "pour être en contact avec le peuple", explique-t-elle en 2005.
5 septembre 2018 : le prince Charles et son épouse Camilla avec la princesse Haya Bint Al Hussein lors d'une visite à Londres.
5 septembre 2018 : le prince Charles et son épouse Camilla avec la princesse Haya Bint Al Hussein lors d'une visite à Londres.
Alors pourquoi un tel revirement en quelques mois ? Il semble que la défection de la princesse Haya soit liée à la fuite d'une autre princesse, Latifa, fille de l'émir et de l'une de ses autres épouses, en 2018. Latifa avait tenté de quitter les Emirats arabes unis en mars 2018. Dans une vidéo diffusée sur Youtube, la jeune femme de 32 ans expliquait en anglais avoir fui les mauvais traitements imposés par sa famille, à commencer par son père. Elle avait alors fait appel à Me David Haigh, qui est aussi l'un des avocats de la princesse Haya - c'est lui qui a annoncé sa fuite à la presse.
En février 2021, la princesse Latifa Al-Maktoum appelle au secours via des messages vidéo. Elle affirme être retenue “en otage” et craindre pour sa vie.
Disparue depuis 2018, la princesse Latifa Al-Maktoum est parvenue à envoyer des appels au secours à ses amis via des messages vidéo, dévoilés par la BBC. Elle affirme être retenue “en otage” et craindre pour sa vie. pic.twitter.com/ObfmgElf8W
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) February 17, 2021
Le 9 avril 2021, le Haut-Commissariat aux droits humains des Nations unies s'est dit très inquiet du sort de la princesse, affirmant n'avoir toujours reçu aucune preuve de vie réclamée depuis plusieurs mois.
Capturée à bord d'un voilier au large des côtes indiennes un mois après sa disparition, Latifa avait été ramenée à Dubaï manu militari, les autorités de Dubaï arguant que la princesse, "vulnérable à l'exploitation", devait être ramenée "en sécurité à Dubaï". Les défenseurs des droits de l'homme affirmaient au contraire qu'elle avait été enlevée. A l'époque, la princesse Haya déclarait encore qu'il s'agissait d'une affaire familiale.
26 mars 2016, la princesse Haya et son époux Mohammed Ben Rached Al Maktoum aux courses à Dubaï .
Le fait est que, depuis sa rencontre avec Mary Robinson, la princesse Latifa n'a plus été vue. Entre-temps, la princesse Haya aurait de nouveaux éléments sur cette affaire, d'où l'hostilité et des pressions croissantes de la famille de son mari, au point qu'elle ne se sente plus en sécurité à Dubaï et décide de partir. Radha Stirling estime que la princesse Haya est à la fois victime et témoin : "Nous espérons donc qu'elle restera en sécurité et qu'elle coopérera avec les autorités internationales pour révéler les abus présumés perpétrés derrière les portes du palais royal de Dubaï".
Avant Latifa, sa demi-soeur, la princesse Shamsa avait tenté d'échapper à son père en 2000, alors qu'il séjournait dans le Surrey, en Grande-Bretagne. La jeune fille de 19 ans s'était cachée pendant six semaines, avant d'être rattrapée dans une rue de Cambridge et embarquée dans un avion privée à destination de Dubaï. Depuis, plus de nouvelles...
La princesse Haya est la seule qui sache ce qui leur est arrivé.
Marcus Essabri, neveu de l'émir de DubaÏ
Autre témoignage à charge pour l'émir de Dubaï, celui de son neveu Marcus Essabri, 48 ans, qui vit en exil et est premier membre de la famille à comparaître dans le procès de Londres. Lui aussi affirme que Latifa la jeune femme a été droguée, détenue et torturée. A une chaîne de télévision australienne, il dit espérer que ce divorce fasse la lumière sur le sort de ses cousines Latifa et Shamsa : "La princesse Haya est la seule qui sache ce qui leur est arrivé. J’espère qu’elle profitera du procès pour parler au monde de la manière dont elles ont été traitées. Elle a l’occasion de faire quelque chose de bien pour ces pauvres femmes".
Marcus Essabri is one of few people who understands what the secretive Dubai royal family is really like – because he’s a part of it, and spent years living inside the palace. #60Mins pic.twitter.com/bZIF6MqJQP
— 60 Minutes Australia (@60Mins) July 21, 2019
Le frère cadet de la princesse, Ali de Jordanie, affiche lui aussi son soutien à sa soeur sur Twitter, avec une photo les montrant tous deux à Londres assortie de la légende : "Avec ma soeur et la prunelle de mes yeux" :
اليوم مع أختي و قرة عيني هيا بنت الحسين pic.twitter.com/kWRXx1J1M3
— Ali Al Hussein (@AliBinAlHussein) July 31, 2019
L'un des enjeux du divorce de la princesse Haya et de l'émir de Dubaï porte sur une fortune chiffrée à plus de près de 5 milliards d'euros. Ce divorce, qui devrait être l'un des plus chers de l'histoire britannique, peut aussi coûter cher à l'omnipotence du patriarcat dans les Emirats arabes unis, fragilisés par l'onde de choc internationale. Toujours est-il que, ce 5 mars 2020, la justice britannique émet ce jugement embarrassant pour la cité-Etat stratégique du Golfe : "L'émir de Dubaï a commandité l'enlèvement de deux de ses filles et "intimidé" l'une de ses épouses au point de la forcer à fuir pour le Royaume-Uni."
Les seules "gagnantes" de cette affaire aux allures rocambolesques, avec fuites en bateau, enlèvements en hélicoptère et princesses droguées et enlevées, pourraient ainsi être les femmes émiraties... à moins que le scandale qui secoue les hautes sphères ne se solde par un repli de la société sur ses traditions.
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