Fil d'Ariane
« J’ai quitté mon pays car la vie de ma fille était menacée. Elle avait trois ans. Ma belle-mère avait décidé de la faire exciser… Avant elle, j’avais eu trois autres filles. Elles ont toutes les trois été excisées en même temps. Elles avaient sept, cinq et trois ans. La plus jeune est décédée suite à une hémorragie après l’excision ».
Dans l’exposition itinérante, « Fuir l’excision : parcours de femmes réfugiées », proposée par l'association ‘Excision, parlons-en’, avec les clichés de la photographe Anaïs Pachabézian, Doussou, visage caché, raconte son combat contre l’excision.
‘Excision, parlons-en’, à l’origine de ce projet, a souhaité, à travers photographies et récits, mettre en lumière les difficultés des femmes à fuir l’excision et à obtenir l’asile en France, pour elles et pour leurs enfants.
Lors du vernissage de l’exposition, mardi 12 avril 2016 à la mairie du XIXè arrondissement (Paris), Moïra Sauvage, présidente de ‘Excision, parlons-en’, rappelle que 20% des demandes d’asiles en France sont celles de femmes fuyant l’excision. Et épargner à leurs filles les mutilations génitales féminines est l'une des principales raisons qui poussent aujourd'hui les migrantes sur les routes de l'exil.
Je ne voulais pas être excisée une seconde fois, alors que j’avais déjà failli perdre la vie la première fois
Salimata Kone
Salimata Kone, aujourd'hui membre de l’association ‘SOS Africaines en danger’ a vécu voulu fuir son excision, quittant sa famille. Partie de Côté d’Ivoire en 2013 pour la France, elle raconte : « A 12 ans, on m’a excisée, mais on ne m’a pas tout coupé. Je saignais tellement, qu'on m’a laissée. A la mort de la mère, à 14 ans, on a dit "il faut qu’on termine le boulot pour te donner en mariage". J’ai fui pour ne pas être mariée à quelqu’un que je ne voulais pas et je ne voulais pas être excisée une seconde fois, alors que j’avais déjà failli perdre la vie la première fois ».
« Arrivée en France, j’ai beaucoup dormi dehors, enceinte. Je pleurais », poursuit Salimata, entre timidité, gène et volonté de témoigner.
«Une femme m’a vue et m’a dit d’appeler le 115. Le 115 m’a dit d’aller à l’Haye-les-roses voir une assistante sociale. Elle m’a dit de retourner chez moi en Côte d’Ivoire car je n’avais pas de papiers et que j’allais faire un enfant qui n’aurait pas de papier. »
« Elle m’a alors donné l’adresse du Comede (comité médical pour les exilés). Je suis arrivée trop tard, poursuit Salimata. Devant mes larmes, le médecin a bien voulu me voir deux minutes. Elle a appelé l’hôtel pour moi. Le propriétaire n’a pas voulu me prendre, mais elle a dit qu’elle était responsable moi. Elle m’a ensuite conseillé de demander l’asile et m’a envoyé à France terre d’asile et j’ai obtenu mon statut de réfugiée, en 2015. »
En France, le statut de réfugiée est accordé aux enfants, plus rarement aux parents
Judith Coronel Kissous, avocate
L’avocate Judith Coronel Kissous, spécialiste du droit d’asile, rappelle qu’une fois leur demande de protection internationale rejetée par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), les femmes qui fuient l’excision « ont un recours administratif possible devant la Cour nationale du droit d’asile (la CNDA) ».
Selon elle, « les dossiers pour ces femmes se plaident bien. Ils peuvent se gagner. En revanche, c’est beaucoup plus compliqué pour les demandes d’asile des parents qui s’opposent à l’excision de leur enfant. La jurisprudence française est très hésitante à donner un statut de réfugiée dans ces cas ».
Les juges français ne leur reconnaissent pas la condition de persécutée, alors que, comme le rappelle l’avocate, ils sont tenus, depuis la réforme du droit d’asile du 29 juillet 2015, de prendre en compte le « genre », qui a pour conséquence d’accélérer les procédures, et d'intégrer dans l'élaboration de leurs décisions les situations de vulnérabilité (grossesses, stress post-traumatique, etc…).
Pour une demande de statut de réfugié, le travail d’avocate de Judith Coronel Kissous consiste à déceler ce qui est important dans le récit de vie de ses clients.
Dans le public du débat, un juge de la CNDA intervient pour rappeler combien les juges sont influencés par la crédibilité des récits de vie qui leur sont faits : « lorsque les gens n’arrivent pas à parler, les juges peuvent penser que le récit n’est pas circonstancié, il n’y a pas de dates, la personne s’embrouille ».
La médecin légiste Judith Trinquart, secrétaire générale de l’association ‘mémoire traumatique et victimologie’, répond que le silence des personnes est lié au stress post-traumatique « la mémoire devient morcelée, il est difficile de se souvenir des choses qui ont traumatisé, comme le viol, la violence ».
Judith Coronel Kissous rappelle que l’excision n’est souvent « que le prélude à des violences » auquel s’ajoutent « le mariage forcé, parfois le mariage précoce, les grossesses précoces, les violences domestiques et familiales ». Dans les pays où sont pratiquées les mutilations sexuelles, les femmes sont considérées comme « des mineures à vie ».
L'avocate cite le rapport de l’Unicef 2015 dans lequel il est dit que « 80% des femmes subissent des violences domestiques et familiales avec l’assentiment de l’entourage. Et la moitié d’entre elles considèrent que ces violences sont normales ».
Mutilations génitales féminines (Mgf) et droit d'asile dans l'Union européenne :
Dans son bilan 2016, l’Unicef estime qu’elles seraient 200 millions à être excisées dans le monde, dont près de la moitié vivent en Egypte, en Ethiopie et en Indonésie.
Selon les données récoltées par le Haut commissariat aux réfugiés en 2013, près de 20 000 femmes, fillettes et jeunes filles originaires de pays dans lesquels les Mgf sont pratiquées cherchent l’asile au sein de l’Union européenne chaque année. Ce chiffre est resté relativement constant entre 2008 (18 110) et 2011 (19 565) en dépit de l’augmentation du nombre total de demandeuses d’asile, qui est passé de 65 125 en 2008 à 93 350 en 2011. En chiffres absolus, les pays principaux d’asile pour ces femmes, fillettes et jeunes filles étaient, en 2011, la France (4 210), l’Italie:(3 095), la Suède (2 610), le Royaume-Uni (2 410), la Belgique (1 930), l’Allemagne (1 720), et les Pays-Bas(1 545). Entre 2008 et 2011, à l’exception des pays-Bas et de la Suède, tous ces Etats membres ont dû faire face à une augmentation du nombre total des demandes d’asile venant de femmes originaires de pays dans lesquels les Mgf sont pratiquées.
Ce photoreportage itinérant, accueilli à la mairie du XIXè arrondissement (Paris) du 12 au 15 avril 2016, partira ensuite du 23 au 27 mai à Saint-Lô (Normandie), au festival « cinéma et migrations » qui met cette année les femmes migrantes à l’honneur, et en septembre à l’assemblée nationale (Paris).
Il est soutenu par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR France), France terre d’asile, le fonds de dotation Betto Seraglini et SOS Africaines en danger.