Line Papin et Anaïs Llobet ont moins de trente ans. Ces deux jeunes femmes publient leurs premiers romans en cette rentrée littéraire 2016. Pourquoi choisir le papier à l'heure de l'édition en ligne ? Ecrit-on au féminin ? Qui sont leurs auteures de référence ? Rencontres.
L'une est la benjamine de cette rentrée littéraire 2016 qui compte plus de 560 livres. Line Papin a écrit son premier roman intitulé L'Eveil (Editions Stock) alors qu'elle n'avait que 17 ans. Trois ans plus tard, elle court les plateaux de télévision pour parler de son récit.
Dans ce triangle amoureux, la fille de l'ambassadeur d'Australie s'entiche d'un expatrié français à Hanoï, au Vietnam. Lui est hanté par une autre femme. Cette rencontre signe son "éveil" à l'amour, aux désirs, aux sentiments et aux relations tumultueuses. Faissant partis du décor, elle dépeint aussi le monde des expatriés renfermés sur eux-mêmes.
Certains critiques évoquent L'Amant de Marguerite Duras. Pourtant, elle ne l'a lu qu'après avoir fini son propre roman. Mais l'aura de l'écrivaine de Barrage contre le Pacifique et d' Hiroshima mon amour, accompagne l'écriture de Line Papin. (Lire son interview ci-dessous)
Ecrire pour dépasser le temps médiatique.
Anaïs Llobet, auteure de "Les Mains lâchées"
L'autre écrivaine que nous avons rencontrée a fait le choix d'écrire "pour dépasser le temps médiatique". Journaliste au bureau de l'AFP à Moscou, Anaïs Llobet publie sa première fiction intitulée Les Mains lâchées (Editions Plon). Elle y raconte l'après typhon Haiyan qui a ravagé les Philippines et fait plus de 5 500 morts.
Une catastrophe que l'auteure a vécue en tant que survivante et journaliste alors qu'elle était correspondante dans le pays au moment de cette tragédie. C'est par le prisme de la fiction qu'elle a décidé de revenir sur l'après-typhon. Elle y évoque avec pudeur la mort, la culpabilité et la douleur endurées par nombre de Philippins qu'Anaïs Llobet a rencontrés et évoqués dans son livre.
Toutes deux incarnent une nouvelle génération d'écrivaines. A moins de 30 ans, elles auraient pu opter pour une édition en ligne. Mais elles ont choisi le papier. Alors qu'elles débutent leur carrière, Terriennes a voulu en savoir plus sur leur manière d'écrire, les auteures qui les ont influencées, et la place des femmes dans ce monde de l'édition qu'elles découvrent. Entretiens.
Bios express:
>Anaïs Llobet : 28 ans, fille d’expatriés elle a vécu au Portugal, aux Pays-Bas, en Italie, en France, en Argentine, et au Brésil. Après des études à Science Po, elle devient journaliste à l’AFP et part sur un coup de tête en freelance aux Philippines où elle vit 8 mois. Puis, elle part pour intégrer le bureau de l’AFP à Moscou.
>Line Papin: elle a vécu jusqu’à ses 10 ans à Hanoï. Après une prépa littéraire, elle est aujourd'hui étudiante en Histoire de l’Art.
Je porte le prénom d'Anaïs Nin, parce que ma mère l'a voulu
Anaïs Llobet
Votre premier souvenir d’écriture ?
Anaïs Llobet : C’est en CE2. Il fallait écrire une petite pièce de théâtre à la manière de Ionesco. Il fallait imaginer un petit dialogue un peu absurde. Je me souviens avoir fait beaucoup de jeux de mots et avoir fait rire ma maîtresse. J’avais même eu une bonne note. Et ma mère était très fière parce qu’elle l’avait encadré au-dessus de la table à manger.
Line Papin: C'est un petit livre illustré sur une pêcheuse du Vietnam qui vivait dans une maison en pilotis. J’avais fait des petits dessins pour l'illustrer. Je devais avoir 7 ans.
Qui vous a poussées à écrire ?
A.L. : Ma mère. Elle m’a encouragée à écrire dès qu’elle a vu que ça m’amusait d’écrire des petites saynètes. Elle me poussait à écrire au moins une fois par semaine. C’était une sorte de devoir d’écriture. C’est aussi elle qui m’a appris à lire quand j’avais 4 ans parce qu'elle voulait que je commence le plus tôt possible.
La figure littéraire féminine qui m’a inspirée, c’est
Anaïs Nin. Je porte ce prénom grâce à elle. Je l'ai su après avoir tanné ma mère pendant des années pour savoir pourquoi je portais ce prénom. Quand j’ai eu 18 ans, elle m’a passé certains de ses ouvrages comme La
Maison de l’inceste, son journal.
Pour moi Anaïs Nin, c’était la femme libre par excellence, à la fois muse et écrivain, qui questionnait toujours l’écriture via la psychanalyse. Elle passait 2 à 3 heures par jour à l’écriture. J’ai toujours tenu moi aussi un journal.
C’est elle qui m’a guidée et qui m’a fait comprendre que l’écriture ce n’était pas forcément une activité noble hors du quotidien mais en fait en prise avec le réel et notre quotidien. Il n’y a pas de petit événement qui ne mérite pas d’être retranscrit et écrit.
L.P. : Mon père lit beaucoup. J’ai toujours été entourée de livres et j’ai toujours beaucoup lu. Quand j’ai eu 16 ans, je me suis plus renfermée et j’ai davantage lu. J’ai voulu aussi davantage écrire à ce moment-là. Marguerite Duras m’a inspirée. Elle reste pour moi une figure tellement forte de la littérature.
Etait-ce important pour vous d’incarner un personnage féminin ?
A.L. : Je n’arrivais pas à trouver une voix masculine. Dans le deuxième livre que j’ai écrit, je me demandais si je n’allais pas créer enfin un personnage masculin mais j’ai cette sensation de ne pas être complètement légitime. J’ai l’impression que ça sonne faux. Peut-être parce que je n’ai pas assez d’imagination pour comprendre ce que c’est qu’être un homme, quelles sont les problématiques d’être un homme au quotidien.
L.P. : J’aime bien incarner les deux, parler de ces deux voix : au féminin et au masculin. C’est pour ça que dans mon livre je passe de l’un à l’autre. Ce n’est pas moi que je mets en scène, c’est un personnage nourri de mes lectures. C'est pour ça que je peux écrire avec la voix d’un homme.
On peut écrire au masculin et être femme. Mais ce qui compte c’est nous, le fait d’être femme et d’écrire
Line Papin
Ecrit-on au féminin ?
A.L. : On ressent au féminin. Face à un événement, on a peut-être des sensations plus féminines, une sensibilité plus ancrée. Pour raconter le typhon, j’ai voulu incarner pas mal de personnages de mères alors que je n’ai jamais connu la maternité. Cela aurait été peut-être plus difficile pour un écrivain d’incarner une mère en deuil. En tant que femme, on a une sorte d’instinct maternel qui fait que l’on comprend peut-être mieux à quel point un deuil d’enfant peut être dévastateur.
Ecrit-on au féminin ? Dans le journalisme oui, il y a une écriture féminine parce qu’on s’intéresse à des sujets qui sont différents, peut-être plus intimes alors que des journalistes hommes se concentreront peut-être davantage sur les faits ou les conséquences des faits. En tout cas, c’est ce que j’ai observé avec mes collègues.
L.P. : On peut écrire au masculin et être femme. Je prends la voix d’un homme dans mon livre. Marguerite Yourcenar dans Les Mémoires d’Hadrien prend la voix d’un homme mais ce qui compte c’est nous, le fait d’être femme et d’écrire.
On parle beaucoup de l’inégalité homme-femme dans le monde du cinéma. Terriennes a beaucoup écrit à ce propos. Mais qu’en est-il dans le milieu de l’édition?
A.L. : J’ai l’impression qu’il y a autant de femmes que d’hommes écrivains. Je pense qu’il y en a autant qui comptent au final. Mais si on regarde les Prix Nobel de Littérature, c’est sûr qu’il y a moins de femmes. Il y a une préférence dans les médias pour les hommes. Peut-être aussi parce qu’en tant que femme, on est toujours en train de s’excuser de faire quelque chose. J’ai remarqué en publiant ce livre que j’avais vraiment du mal à le montrer en étant fière. Alors que c’est souvent différent pour les hommes.
C’est peut-être aussi pour ça que les femmes sont sous-représentées dans les médias. C’est une lutte pour ne pas s’excuser d’avoir accompli quelque chose. On ne nous a pas éduquées comme ça.
L. P. : Annie Ernaux disait que c’était toujours un combat de plus pour une femme d’écrire. Je n’en ai pas encore fait l’expérience. Mais elle disait que c’était encore un domaine où il fallait se battre et s’affirmer face aux hommes qui sont prédominants dans le milieu.
Votre lieu d’écriture ?
A.L. : Siargao aux Philippines. C’est une île toute ronde, peu connue sauf des surfeurs. J’aime beaucoup y aller pour avoir cette routine : le matin tu te réveilles, tu vas surfer pendant trois heures et l’après-midi tu écris. C’est l’île la plus à l’Est des Philippines, donc la plus proche du Pacifique. Après il n’y a plus rien. On n’est jamais aussi près de la nature que sur cette île là. Il y a une quiétude incroyable.
L.P. : Toute seule chez moi. Je n’arrive pas à écrire dans un café ou quand il y a des gens autour. Il faut que j’entre dans ma bulle.
Votre livre de chevet ?
A.L. : J’aime vraiment feuilleter régulièrement le journal d’Anaïs Nin. Mais Le Carnet d’or de Doris Lessing m’a vraiment marquée, parce qu’elle incarne aussi une grande figure de femme. Vassili Grossman Vie et destin, … Mais je relis rarement les livres parce que j’en ai beaucoup trop à découvrir...à part justement Anaïs nin. J’ai l’impression de pouvoir toujours lui demander conseil.
L.P. : C’est difficile d’en choisir un… Disons que Le Marin de Gibraltar et Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras font partie de mes favoris. J’aime la voix de cette écrivaine. Elle est reconnaissable entre toutes, un peu comme celle aussi de Marguerite Yourcenar. C’est comme quand on entend le timbre de la voix de quelqu’un que l'on reconnaît