Edmonde Charles-Roux, l'aventurière des lettres

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Edmonde Charles-Roux
Edmonde Charles-Roux invitée des Écritures Croisées de la Cité du Livre d'Aix-en-Provence
(Wikicommons)
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Journaliste, romancière, Prix Goncourt cuvée 1966, Edmonde Charles-Roux est décédée à Marseille à l'âge de 95 ans. Dernier chapitre d'une vie riche en aventures...
Son père était ami de Pie XII. François Charles-Roux, père d'Edmonde, était ambassadeur de France à Prague et au Vatican. Il était le père d'Edmonde, née en 1920. Sa mère, qui aura trois enfants,  était une bourgeoise, belle et particulièrement friande de réceptions, n'hésitant jamais à préférer une soirée entre gens de la haute plutôt que de pouponner sa couvée.
Edmonde était la petite dernière.  Pourquoi Edmonde ? C'était un hommage de ses parents à l'auteur de Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand, voisin et ami de sa grand mère.

Ambulancière et blessée

Elle grandit dans un milieu privilégié à Marseille et commence des études d'infirmière. Elle fait la guerre comme ambulancière,  sera blessée deux fois, travaille dans une clinique clandestine de la Résistance puis avec le général de Lattre de Tassigny qui l'affecte à son État-major au lendemain du débarquement de Provence. 
La guerre terminée, elle se refuse à regagner cette vie bourgeoise qui l'attend. Sa liberté de mouvement et d'esprit déconcertent sa famille. Son père n'approuve pas cette vie qui n'est certes pas bohème mais qui échappe délibérément à tous les codes de la haute bourgeoisie. Edmonde hausse les épaules. Depuis sa rencontre avec les artistes réfugiés en zone libre, elle sait qu'une autre vie est possible.

Licenciée de Vogue pour ses amitiés communistes


Après la Libération, Edmonde Charles-Roux entre à la rédaction du tout nouvel hebdomadaire féminin Elle. Puis elle devient, en 1950, rédactrice en chef de l'édition française du magazine Vogue, où elle se lie avec les plus grands artistes. Elle y impose sa marque : sur 70 pages, elle en consacre autant à la mode qu’à la culture. Elle en est licenciée en 1966 pour avoir voulu imposer une mannequin noire en couverture... et cultivé des amitiés trop à gauche au goût de ses patrons américains.

On me pensait communiste à cause de mes liens d'amitié avec Aragon et Elsa Triolet, qui écrivaient dans le magazine

En mai 1966, elle commente ainsi ce renvoi du prestigieux magazine Vogue. "Quand je suis allée chercher mon salaire chez le comptable, comme il était d'usage, la maison étant menée à l'américaine, il m'a tendu l'enveloppe en disant: 'Je crains bien que ce ne soit la dernière.' J'étais très frappée. J'ai immédiatement consulté mon avocat, Georges Izard, et Pierre Lazareff. Tous deux m'ont dit de faire valoir la clause de conscience, mais de ne pas insister. Ce n'était pas rattrapable. En réalité, cette histoire de photo était un prétexte, le déclic pour justifier une décision souhaitée depuis longtemps. Je n'avais pas eu conscience que cette image allait à ce point choquer, il n'y avait aucun désir de provocation de ma part. Mais je savais que depuis un certain temps on avait envie de me renvoyer. On me pensait communiste à cause de mes liens d'amitié avec Aragon et Elsa Triolet, qui écrivaient parfois dans le magazine. Il était intolérable pour les dirigeants d'une entreprise américaine qu'une de leurs employées ait des amis communistes, donc soit soupçonnée de communisme. Mon renvoi était une manifestation de maccarthysme, quelque chose que j'aurais eu beaucoup de mal a croire, de l'extérieur, si quelqu'un me l'avait racontée. Mais je l'ai vécu, et c'était évident. C'était bien cela."
 

Gaston Defferre, un maire "très insistant"


Balthus, Giacometti, Yves Saint-Laurent, Aragon et Jean Genet sont ses amis. Dans son hôtel de la rue des Saints-Pères, défilent Visconti, Aragon, François Nourissier Maurice Rheims et Paul Morand. Membre de l'atelier de Maurice Druon, qui est alors son compagnon,   elle participe en 1955 à la rédaction de la série Les Rois maudits.

Elle reçoit le prix Goncourt en 1966 pour son premier roman, Oublier Palerme. Elle est alors la cinquième femme à recevoir la prestigieuse distinction, après Elsa Triolet , Beatrix Beck , Simone de Beauvoir  et Anna Langfus .

C'est aussi à cette période qu'elle rencontre Gaston Defferre, qui veut lui remettre la médaille de la ville. "Il était très insistant, ce maire, il faisait vraiment bien son métier. Moi, je freinais. J'étais très occupée à Paris. Après le grand rush, j'ai accepté de me rendre à Marseille, à condition que mon éditeur, Bernard Privat, m'accompagne. J'ai reçu la fameuse médaille. Puis il y a eu un déjeuner très formel. Et un dîner très formel, très sympathique, chez Gaston Defferre et son épouse. Avant de repartir pour Paris, j'ai eu envie de revisiter la ville. En repassant à l'hôtel, j'ai trouvé trois messages de la mairie. On me cherchait. Quel drôle de type, me suis-je dit." Ils ne se quitteront plus. Gaston Defferre, qui est marié, mène pendant sept ans une double vie. Il l'épouse après son divorce en 1973 : "Moi, j'étais plutôt pour l'union libre,  mais cela lui semblait impossible. Marseille... Le maire qu'il était depuis quelque vingt années... Du coup, j'ai exigé un mariage à l'église. Il était protestant, donc jamais encore marié à l'église. Nous étions cinq: Gaston Defferre, sa sœur, Bernard Privat, Hervé Mille et moi."

Présidente de l'Académie Goncourt


Elle  devient membre de l'Académie en 1983, est élue présidente en 2002. Elle ne cèdera la présidence à Bernard Pivot qu'en 2014.

Le 7 janvier dernier, elle avait démissionné de l'Académie pour raisons de santé, laissant son "couvert" à l'écrivain, dramaturge et metteur en scène Eric-Emmanuel Schmitt.

Outre "Oublier Palerme", ses oeuvres, "Elle, Adrienne" (1971, "L'Irrégulière" (1974), biographie de Coco Chanel, "Une enfance sicilienne" (1981), "Un désir d'Orient" (1989) ou "Nomade j'étais" en 1995, sont traduites en une vingtaine de langues.