Education sexuelle et contraception en Haïti : Nadine Louis Similien lutte pour l'autonomisation des filles

Renforcer l'aptitude des jeunes Haïtiennes à comprendre le fonctionnement de leurs corps et à faire les choix pertinents pour réaliser leurs rêves et aspirations - tel est le credo de Nadine Louis Similien. A la tête de la fondation TOYA, cette militante, femme active et mère de famille se bat pour l'autonomisation des femmes. Dix ans après le séisme qui a ravagé l'île, avec son cortège de violences et de privations, elle dresse un état des lieux inquiétant de l'éducation sexuelle et de l'accès à la contraception.
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Nadine Louis Simien
Marche contre les violences de genre contre les mineurs en Haïti à Pétion-Ville le 30 novembre 2019. Nadine Louis-Similien en bleu au premier rang mène la marche.
©TOYA
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"Trop souvent par manque d’informations ou à cause de la précarité socioéconomique, des filles pleines d’avenir se soumettent à des choix compromettants parce qu’elles n’ont pas conscience du potentiel qu’elles représentent et des risques qu’elles encourent. 
Mon souhait est qu’un jour, les sociétés puissent prendre conscience des spécificités de la condition sociobiologique des filles et des femmes pour créer un environnement favorisant l’accès à l’information, à l’éducation et aux services de santé sexuelle et reproductive, et leur permettant de développer pleinement leur potentiel
", explique Nadine Louis Similien, directrice et fondatrice de "TOYA".

Pour Nadine Louis Similien, la maîtrise du corps est fondamentale dans la dynamique d’autonomisation des filles et des femmes. Dix ans après le séisme qui a ravagé l'île, après des années de violences et de privations, il faut donc des politiques sociales tenant compte des besoins réels et spécifiques des femmes et des jeunes filles.

Le nombre de demandes non satisfaites en planning familial est évalué à 38%.

Nadine Louis Similien, directrice et fondatrice de "TOYA"

Identifiées en créole sous le vocable "planin", les méthodes de contraception sont "davantage utilisées par les femmes, car les hommes ont encore tendance à croire qu’il s’agit d’une affaire de femmes", explique Nadine Louis Similien. Bien que le ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) vise la couverture nationale en matière de planning familial, il ne parvient pas toujours à approvisionner à temps centres de santé, dispensaires et hôpitaux.

Dans certains milieux ruraux, les femmes doivent marcher des kilomètres avant d’atteindre un centre de santé qui, bien souvent, n’est pas équipé. Une réalité qui se traduit par un nombre de demandes non satisfaites en planning familial évaluée à 38%


Planification familiale en Haïti : les chiffres

  • 38 % des femmes ont des besoins non satisfaits en matière de planification familiale
  • 34 % utilisent la contraception 
  • La demande totale en matière de planification familiale (besoins non satisfaits et satisfaits) est de 72 % et moins de la moitié de cette demande (48 %) est satisfaite.
  • Si on se limite aux méthodes modernes, le pourcentage de demandes satisfaites est encore plus faible (44 %).
  • Le pourcentage de femmes ayant des besoins non satisfaits est plus élevé chez les jeunes femmes (56 % des 15-19 ans et 45 % des 20-24 ans), en milieu rural (41 %), chez les femmes sans instruction (39 %) et celle de niveau primaire (41 %).

Enquête réalisée sur la mortalité, la morbidité, l'utilisation des Services (EMMUS VI) par le MSPP, l’Institut haïtien de l’enfance, The DHS Program ICF de 2016 à 2017 en Haïti. 

A côté des hôpitaux et centres ministériels, d'autres institutions facilitent l’accès au planning familial. Parmi elles, la FOSREF ou PROFAMIL qui propose une variété de méthodes contraceptives définitives telles que la ligature des trompes et la vasectomie, ou OHMASS, spécialisée dans la production de matériels de communication et de sensibilisation à la contraception.


Et puis il y a la fondation "TOYA", structure d’encadrement de femmes et de jeunes filles qui propose des formations et des causeries éducatives sur des thématiques liées à l’éducation sexuelle, à commencer par la planification familiale.

L'un des défis majeurs reste l'accès à l'information sur la santé sexuelle et reproductive, à commencer par la contraception, qui permet aux femmes de décider de la période à laquelle elles veulent avoir ou non des enfants. 
 

filles toya
Les filles des 14 LitClubs de la fondation TOYA en Haïti, samedi 11  décembre 2019. Les LitClubs réunissent les filles de 8 à 15 ans pour les encadrer en vue d'en faire des leaders de leur communauté.
 

La directrice et fondatrice de TOYA explique que : "L’usage de la contraception présente des avantages pour les utilisatrices et leurs familles, mais il permet aussi aux pays de contribuer à certains objectifs de développement durable (ODD), comme la réduction de l’avortement clandestin et de la mortalité infantile, ainsi que la promotion de l’autonomisation des filles et des femmes. La contraception contribue, poursuit-elle, à favoriser l'accès des filles aux niveaux supérieurs à l’école ou à l’université, ainsi que la motivation des femmes à accéder à des carrières professionnelles et politiques". 
 

L’accès à l’information sur la santé sexuelle et reproductive incluant la planification familiale reste un défi majeur.


Nadine Louis Similien, directrice exécutive et fondatrice de "TOYA"

Nadine Louis Similien souligne que  les femmes et les jeunes filles ont des informations plutôt globales et non spécifiques des méthodes contraceptives. Informations qu'elles obtiennent bien souvent de leurs paires, dont les idées sur certaines méthodes restent approximatives. Elle avance : "Beaucoup de femmes tiennent des discours erronés, faisant l’apologie des inconvénients et des effets secondaires des méthodes de contraception, sans tenir compte de leurs avantages".

Video Mithra – Gyn&co


D'un autre côté, Nadine Louis Similien reconnaît que d'autres jeunes femmes, elles, peuvent s'informer grâce à la lecture, certaines ont aussi la chance de suivre des séances de formation ou de sensibilisation sur la question, même si l’accès à l’information sur la santé sexuelle et reproductive incluant la planification familiale reste un défi majeur. 

"Très jeunes, les filles et les garçons doivent apprendre à connaître le fonctionnement de leurs corps et les manifestations liées à la période pubertaire". 
Nadine Louis Similien, directrice et fondatrice de "TOYA"
 

En Haïti, nombreuses sont les institutions et organisations de femmes et féministes à s’investir dans la formation des femmes et des jeunes filles sur la santé sexuelle et reproductive. Celles qui se rapprochent de ces structures associatives sont davantage susceptibles de recevoir des informations sur la santé sexuelle et reproductive.

"Ces institutions font de leur mieux pour rendre disponibles des informations sur l'éducation sexuelle, mais ce n'est pas suffisant, juge Nadine Louis Similien. Il faut tenir compte des besoins spécifiques des jeunes qui représentent plus de 50% de la population globale." Elle appelle à une intervention de l’Etat à un niveau plus stratégique, car pour toucher cette majorité de manière efficace, l’éducation sexuelle doit commencer le plus tôt possible. Nadine Louis Similien poursuit : "L'intégration de l'éducation sexuelle dans le curriculum scolaire doit être une priorité, afin que très jeunes, les filles et les garçons puissent apprendre à connaître le fonctionnement de leurs corps et les manifestations liées à la période pubertaire". 

filles formatrices toya
Jeunes femmes formées par TOYA qui, à leur tour, animent les clubs de filles de 8 à 15 ans.

Vue sur la pulsion sexuelle

Une étude, intitulée Obstacles culturels et psychosociologiques à l'utilisation des contraceptifs en Haïti, réalisée en 2008 par Wiza Loutis et Albert Rochet, révèle que faute d’éducation sexuelle, les jeunes ont tendance à céder à la pulsion sexuelle. Filles et garçons adoptent des comportements à risque sans être nécessairement conscient.e.s. et l’éducation sexuelle proposée par les associations de jeunesse sur la sexualité arrive trop tard.

Nadine Louis Similien se sert de cette étude pour poser le problème de l'absence d'éducation sexuelle chez certains parents qui, devenus adultes, sont incapables d'aborder la question avec leurs enfants. Certains n'ont engagé le dialogue sur la sexualité qu'à partir du secondaire, alors que les signes des grossesses précoces commencent à la fin du primaire vers l’âge de 12 ou 13 ans, regrette la directrice de TOYA. 

La majorité des adolescent.e.s et des jeunes femmes, tout en étant actif.ve.s sexuellement, ignorent tout sur la contraception. 


Nadine Louis Similien, directrice exécutive et fondatrice de "TOYA"

Pour Nadine Louis Similien, il est du devoir des prestataires de soins d'encadrer et de tout expliquer aux personnes qui sollicitent des informations sur une méthode contraceptive en vue de leur permettre de choisir la méthode la mieux adaptée. Toutefois, ce tableau ne traduit pas la réalité de la majorité des adolescent.e.s et des jeunes femmes qui, tout en étant actif.ve.s sexuellement, ignorent tout de la contraception. Parallèlement, les prestataires de santé n’ont pas tous reçu la formation permettant d’accueillir et d’accompagner les jeunes pour faire des choix qui répondent à leurs besoins spécifiques.

Portrait Nadine louis similien
©Fotomatik Haïti

Nadine Louis Similien  intervient auprès du ministère de la Jeunesse, des Sports et de l'Action publique dans le domaine de la jeunesse, du genre et du renforcement organisationnel ;  elle dirige la fondation TOYA depuis 2007.

Elle a étudié la communication sociale à la Faculté des sciences humaines de l'université d'Haïti, puis les sciences de l’animation au Cameroun. Après l’expérience africaine, elle a fait une formation en genre et développement en Belgique.

Elle est l'autrice d'une étude en population et développement et d'une maitrise en politique de l’enfance et de la jeunesse axée sur les grossesses précoces . Elle est mariée et mère de deux filles de 13 et 7 ans.

Ci-contre, Nadine Louis Similien (TOYA) devant une bibliothèque jeunesse de TOYA, créée pour développer la lecture chez les jeunes.

La contraception limitée par les tabous

Un tableau inquiétant - tel est le constat de la réalité en Haïti sur le terrain de la santé sexuelle et reproductive. La directrice de "TOYA" a identifié quelques-uns des blocages à l'utilisation des méthodes de contraception par les femmes. L'analphabétisme évalué à plus de 60%, les croyances religieuses sur la conception et la vie, les croyances culturelles faisant des enfants un facteur économique pour les plus pauvres - "Pitit se richès" : les enfants, c'est la richesse - comptent parmi les entraves à l'utilisation des méthodes de contraception par certaines femmes, selon la directrice de la fondation "TOYA", Nadine Louis Similien. A cela s'ajoute l’absence de stratégies viables au niveau de l’Etat pour assurer une couverture au niveau national, comme le préconise le Plan Directeur de santé 2018-2022 du MSPP


Enfin Nadine Louis Similien pointe aussi la stigmatisation des jeunes filles qui utilisent les méthodes de contraception, parfois vues comme des prostituées ou immorales. Alimentée par les tabous sur la sexualité et les stéréotypes sur la contraception, cette stigmatisation est un obstacle non négligeable à la contraception en Haïti. 

Dix ans après le séisme qui a ravagé l'île, avec toutes les violences et les privations que la catastrophe a entraîné dans son sillage, les filles d'Haïti veulent remonter la pente. Une volonté que Nadine Louis Similien, elle, continue à encourager sans compter son énergie et son engagement.