Egalité filles garçons en France : au revoir les ABCD, bonjour les mallettes pédagogiques

Le moins qu'on puisse dire, c'est que quel que soit le sujet, la communication gouvernementale française semble peu efficace. Sur l'égalité entre les garçons et les filles à l'école de la République, sur la déconstruction des stéréotypes et le respect entre les sexes, sujets en apparence consensuels et évidents, surtout pour les socialistes au pouvoir, la valse hésitation entraine un nouveau pas de côté du ministère de l'Education et de celui des Droits des femmes, en cette fin de mois de juin 2014.
Image
Egalité filles garçons en France : au revoir les ABCD, bonjour les mallettes pédagogiques
Garçon en bleu, fille en rose, pourquoi ne pas inverser ? Photo AFP
Partager 9 minutes de lecture
Eut-ce été différent si le comité chargé de "l'évaluation du dispositif expérimental des abcd de l'égalité" avait été strictement paritaire. Le reproche peut sembler anecdotique et pointilleux mais dans un tel débat, il aurait sans doute été plus judicieux de confier cette tâche à six inspectrices et six inspecteurs et non cinq et sept... Et voici donc que ce qui apparaissait comme l'une des innovations advenues avec l'élection de François Hollande à la présidence de la République française en mai 2012, est désossée tout en étant maintenue. Une confusion sémantique à l'heure des alphabets de l'égalité qui fâche tout le monde.

La mallette merveilleuse

Voici ce qu'écrivait le décrypteur des images et des mots Daniel Schneidermann sur le site Arrêt sur images, ce lundi 30 juin 2014, juste après l'intervention du ministre de l'Education nationale sur les ondes de France Inter, radio française publique : "il y aura donc "une mallette" à disposition des enseignants. Dans la merveilleuse mallette, les baguettes, les foulards, les colombes, qui permettront de répandre partout la poudre invisible d'égalité : en maths, en histoire, en gym. Peut-être aussi de belles images de petits garçons jouant avec des camions (mais roses), et de Barbies plombières ou footballeuses. Mais si l'on a bien compris, pour les enseignants, se saisir de la "mallette", et a fortiori l'ouvrir, ne sera pas obligatoire.
Au total ? Cette mallette est-elle une extension du système, ou une capitulation ? La Manif pour tous, qui conclut à l'extension, appelle déjà à une manif (pour tous) de rentrée en octobre. Le collectif Droit des femmes, qui a  noté que l'enseignement ne serait pas obligatoire, conclut à la reculade. Dans l'Education, conclut un Sage sur Twitter, quand le gouvernement veut enterrer un problème, il crée une mallette."

Dans cet entretien en direct, le ministre a beau rappelé que "Nous voulons éviter que dans l'école, on considère qu'il y a des matières pour les garçons et pour les filles" ou encore que "Nous voulons que les élèves se respectent entre eux, ce qui n'est plus le cas dans certaines écoles", au mieux ces déclarations sonnent creux, au pire, elles marquent une démission sur un sujet porté par la gauche.

Les "ABCD de l'égalité" avaient été mis en place dans 10 académies en 2013-2014 à grand renfort de communication conjointe par les ministres de l'Education d'alors Vincent Peillon et des Droits des femmes Najat Vallaud Belkacem. Il s'agissait surtout de proposer des outils aux enseignants pour déconstruire les stéréotypes masculins/féminins afin de favoriser l'égalité dans la progression éducative entre filles et garçons, mais aussi de veiller au respect entre les sexes.

Depuis, la "manifestation pour tous" contre le mariage homosexuel est passée par là et après le vote de la loi autorisant l'union entre personnes du même sexe (bien après la Belgique, les Etats-Unis ou la très catholique Espagne par exemple), ses opposants ont enfourché un nouveau cheval de bataille, contre la "théorie" du genre, dont ces ABCD auraient été les vecteurs.
 

Quand Benoît Hamon, ministre de l'Education, tente de justifier l'abandon des ABCD de l'égalité


Le principe de précaution poussé à l'extrême

Dans leur évaluation, voici ce que les inspecteurs d'académie écrivent en guise de préambule : "Le rapport propose une analyse du phénomène de contestation marqué par les « journées de retrait des élèves » qui a profondément interféré avec l’expérimentation. On ne peut minimiser la violence symbolique pour les enseignant (e)s qu’ont constituée ces journées ainsi que les polémiques persistantes autour de ce que l’école est accusée de mettre en œuvre dans cette expérimentation. Si quelques professeur(e)s ou équipes pédagogiques ont été stimulé(e)s par ces oppositions, beaucoup d’autres qui étaient engagé(e)s sans réelle conviction dans l’expérimentation ont vu leurs interrogations renforcées."

Ce qui domine dans ces lignes, c'est la crainte. Une peur rarement bonne conseillère qui s'est donc répercutée au niveau ministériel et qui entraine tout en même temps un retrait effectif et une extension affirmée, deux postulats auxquels ni les opposants de toute obédience (des intégristes catholiques et musulmans aux ultra laïcs réactionnaires) ni les mouvements féministes ou simplement émancipateurs ne donnent crédit, comme en témoignent les réactions sur la toile, malgré les auto-congratulations ministérielles.






La Ligue des droits de l'homme, au ton souvent plus modéré, soutien indéfectible des valeurs de la gauche laïque et républicaine, s'emporte elle aussi contre ce renoncement : " L’annonce du gouvernement d’abandonner la généralisation des enseignements à partir des ABCD de l'égalité, après son expérimentation positive en 2013, signe une capitulation honteuse pour lui, un recul inquiétant pour la démocratie, dramatique pour cette pierre de touche républicaine qu’est l’égalité, inacceptable pour ceux qui sont du côté des droits de l’Homme...
Alors que l’égalité femmes-hommes est un objectif sociétal central depuis des décennies, le gouvernement cède face à une offensive des plus minoritaires, ouvertement patriarcale, dont les relais se recrutent au sein des franges les plus radicales de l’extrême droite et d’activistes fondamentalistes. L’usage de la « novlangue » ne permettra pas de transformer en subtilité tactique ce qui apparaît clairement comme une débandade. Ainsi, les promesses de la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem et de Benoît Hamon, expliquant que les ABCD de l’égalité contre les stéréotypes filles-garçons à l’école ont un bilan positif et qu’on ne les abandonne qu’au profit d’un programme « très ambitieux », sonnent comme autant d’arguties pitoyables. En choisissant de faire le dos rond, en plaidant pour qu' « on remette un peu de calme, qu’on arrête d’en faire une bataille politicienne », le gouvernement crée les conditions au mieux de l’immobilisme, au pire de la régression."

Toutes les religions unies

Il n'y a guère que Farida Belghoul, essayiste passée de l'extrême gauche à l'extrême droite, pour s'enthousiasmer de cette décision : "Hommage aux quartiers populaires qui ont souffert pour obtenir cette victoire ! Hommage aux mères de France ! Vive la JRE ! Vive la convergence islamo-catholique ! Vive la convergence de toutes les forces vives de la nation combattantes pour sauver la pudeur et l’intégrité des enfants." Son amie, la politicienne très catholique Christine Boutin est, elle, beaucoup plus sceptique.


On trouve aussi quelques perles sur les réseaux sociaux, proférées par de farouches défenseurs des rôles séculaires assignés aux hommes et aux femmes par des siècles de culture monothéiste. 


Le modèle suédois, encore une fois

Il n'y a pas qu'en France qu'on réagit. Depuis la Suède, élève européenne modèle en matière d'égalité des sexes, les internautes témoignent de leur étonnement. Dans ce pays, cela fait près de vingt ans que les autorités ont mis en place des méthodes visant à traiter les enfants en individus, en non en fonction de leur sexe. La loi suédoise sur l’enseignement de la petite enfance de 1998 préconise de combattre dès la maternelle la réparation traditionnelle entre les sexes, de promouvoir l’égalité et laisser les enfants se forger librement leur propre identité. Les enseignants ont poussé leurs expériences jusqu'à la linguistique : "Pour désigner l’enfant on n’emploie pas de termes sexués comme “garçon” ou “fille”. On se sert du prénom ou des termes “personne” ou “kompis” [copain : désigne un garçon ou une fille]. Les pronoms personnels “han” [il] et “hon” [elle] ne sont pas proscrits, mais ils sont employés en alternance avec le pronom neutre “hen”."

Les réactions avaient alors été très vives, voire menaçantes, contre ce qui apparaissait comme une tentative d'empêcher les enfants d'être "sexués". (La confusion entre égalité et indifférenciation est toujours soigneusement entretenue par les défenseurs de la différence...).

Le 14 septembre 2014, les Suédois sont appelés aux urnes pour élire leurs député-e-s. Les sociaux-démocrates sortants (et favoris) ont fait de l'égalité entre les femmes et les hommes, la pierre angulaire de leur programme. Les socialistes français se sont inspirés du modèle suédois pour changer leurs lois sur la prostitution. Dommage qu'ils n'aient pas fait de même pour lutter contre les stéréotypes...

“En Suède, il y a un très large consensus sur le fait que l'école doit être le lieu ou s'ancre l'égalité entre les sexes“

02.07.2014propos recueillis par Isabelle Mourgère, montage Arnaud Chauvet
Via Skype, le journaliste suédois Magnus Falkehed constate que les jeunes Suédois, éduqués dans des écoles qui ont mis en place des méthodes pour "apprendre" l'égalité, sont aujourd'hui les plus vigilants à veiller à la parité réelle entre les hommes et les femmes. Les enseignants acceptent par ailleurs d'enrichir en permanence leurs approches de leur métier.
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Ce qu'il y aura dans les mallettes pédagogiques...

L'ensemble des enseignants seront formés à partir de la rentrée à transmettre les valeurs d'égalité entre filles et garçons, ont annoncé les ministres de l'Education et des Droits des femmes, en lançant un "plan d'action" pour remplacer le dispositif expérimental des ABCD de l'égalité. "Dès la rentrée (...), la formation initiale de tous les professeurs s'enrichira d'un module consacré à l'égalité" entre les sexes, a déclaré Benoît Hamon au Parisien de lundi, en estimant que cela concernerait 30.000 personnes.
"Pour les enseignants déjà en exercice, nous l'intègrerons dans la formation continue", ce qui pourrait représenter "potentiellement 330.000 enseignants du premier degré", a-t-il ajouté dans un entretien croisé avec Najat Vallaud-Belkacem.
Une "mallette pédagogique" sera également mise en ligne pour aider les enseignants sur "la base des modules des ABCD évalués par l'inspection générale comme étant les plus pertinents", selon le ministre de l'Education.