La mallette merveilleuse
Voici ce qu'écrivait le décrypteur des images et des mots Daniel Schneidermann sur le site Arrêt sur images, ce lundi 30 juin 2014, juste après l'intervention du ministre de l'Education nationale sur les ondes de France Inter, radio française publique : "il y aura donc "une mallette" à disposition des enseignants. Dans la merveilleuse mallette, les baguettes, les foulards, les colombes, qui permettront de répandre partout la poudre invisible d'égalité : en maths, en histoire, en gym. Peut-être aussi de belles images de petits garçons jouant avec des camions (mais roses), et de Barbies plombières ou footballeuses. Mais si l'on a bien compris, pour les enseignants, se saisir de la "mallette", et a fortiori l'ouvrir, ne sera pas obligatoire.
Au total ? Cette mallette est-elle une extension du système, ou une capitulation ? La Manif pour tous, qui conclut à l'extension, appelle déjà à une manif (pour tous) de rentrée en octobre. Le collectif Droit des femmes, qui a noté que l'enseignement ne serait pas obligatoire, conclut à la reculade. Dans l'Education, conclut un Sage sur Twitter, quand le gouvernement veut enterrer un problème, il crée une mallette."
Dans cet entretien en direct, le ministre a beau rappelé que "Nous voulons éviter que dans l'école, on considère qu'il y a des matières pour les garçons et pour les filles" ou encore que "Nous voulons que les élèves se respectent entre eux, ce qui n'est plus le cas dans certaines écoles", au mieux ces déclarations sonnent creux, au pire, elles marquent une démission sur un sujet porté par la gauche.
Les "ABCD de l'égalité" avaient été mis en place dans 10 académies en 2013-2014 à grand renfort de communication conjointe par les ministres de l'Education d'alors Vincent Peillon et des Droits des femmes Najat Vallaud Belkacem. Il s'agissait surtout de proposer des outils aux enseignants pour déconstruire les stéréotypes masculins/féminins afin de favoriser l'égalité dans la progression éducative entre filles et garçons, mais aussi de veiller au respect entre les sexes.
Depuis, la "manifestation pour tous" contre le mariage homosexuel est passée par là et après le vote de la loi autorisant l'union entre personnes du même sexe (bien après la Belgique, les Etats-Unis ou la très catholique Espagne par exemple), ses opposants ont enfourché un nouveau cheval de bataille, contre la "théorie" du genre, dont ces ABCD auraient été les vecteurs.
Quand Benoît Hamon, ministre de l'Education, tente de justifier l'abandon des ABCD de l'égalité
Dans leur évaluation, voici ce que les inspecteurs d'académie écrivent en guise de préambule : "Le rapport propose une analyse du phénomène de contestation marqué par les « journées de retrait des élèves » qui a profondément interféré avec l’expérimentation. On ne peut minimiser la violence symbolique pour les enseignant (e)s qu’ont constituée ces journées ainsi que les polémiques persistantes autour de ce que l’école est accusée de mettre en œuvre dans cette expérimentation. Si quelques professeur(e)s ou équipes pédagogiques ont été stimulé(e)s par ces oppositions, beaucoup d’autres qui étaient engagé(e)s sans réelle conviction dans l’expérimentation ont vu leurs interrogations renforcées."
Ce qui domine dans ces lignes, c'est la crainte. Une peur rarement bonne conseillère qui s'est donc répercutée au niveau ministériel et qui entraine tout en même temps un retrait effectif et une extension affirmée, deux postulats auxquels ni les opposants de toute obédience (des intégristes catholiques et musulmans aux ultra laïcs réactionnaires) ni les mouvements féministes ou simplement émancipateurs ne donnent crédit, comme en témoignent les réactions sur la toile, malgré les auto-congratulations ministérielles.
Découvrez le plan d’action pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école http://t.co/hxaL26brET cc @benoithamon
— Najat Belkacem (@najatvb) 30 Juin 2014
Nous lançons un plan d'action sans précédent pour l'égalité filles-garçons à l'école. A lire dans Le Parisien : http://t.co/um7dCln78E
— benoithamon (@benoithamon) 30 Juin 2014
#ABCDegalite : on en revient à ce qui existait avant : seules les personnes très motivées feront des actions en faveur de l'égalité !
— Coll. Droits Femmes (@coldroitsfemmes) 30 Juin 2014
apparemment, les opposants à l'égalité F/H ont compris que les #ABCDegalite étaient maintenus, les partisans qu'ils étaient amoidris
— IsabelleGermain (@IsabelleGermain) 30 Juin 2014
@franceinter @benoithamon pas uniquement entre fille/garçon: il faut donc éduquer au respect et communication non violente en général!
— Thérèse Hargot (@theresehargot) 30 Juin 2014
Alors que l’égalité femmes-hommes est un objectif sociétal central depuis des décennies, le gouvernement cède face à une offensive des plus minoritaires, ouvertement patriarcale, dont les relais se recrutent au sein des franges les plus radicales de l’extrême droite et d’activistes fondamentalistes. L’usage de la « novlangue » ne permettra pas de transformer en subtilité tactique ce qui apparaît clairement comme une débandade. Ainsi, les promesses de la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem et de Benoît Hamon, expliquant que les ABCD de l’égalité contre les stéréotypes filles-garçons à l’école ont un bilan positif et qu’on ne les abandonne qu’au profit d’un programme « très ambitieux », sonnent comme autant d’arguties pitoyables. En choisissant de faire le dos rond, en plaidant pour qu' « on remette un peu de calme, qu’on arrête d’en faire une bataille politicienne », le gouvernement crée les conditions au mieux de l’immobilisme, au pire de la régression."
Toutes les religions unies
Il n'y a guère que Farida Belghoul, essayiste passée de l'extrême gauche à l'extrême droite, pour s'enthousiasmer de cette décision : "Hommage aux quartiers populaires qui ont souffert pour obtenir cette victoire ! Hommage aux mères de France ! Vive la JRE ! Vive la convergence islamo-catholique ! Vive la convergence de toutes les forces vives de la nation combattantes pour sauver la pudeur et l’intégrité des enfants." Son amie, la politicienne très catholique Christine Boutin est, elle, beaucoup plus sceptique.
Je n'ai aucune confiance dans l'annonce du retrait des #ABCDegalite,ils vont changer le nom mais vont continuer!Cf #Belcacem hier!Resistance
— Christine Boutin (@christineboutin) 30 Juin 2014
Au Nom de tous les 'tits Garçons sauvés des stéréotypes que l'on voulait forcer à faire Pipi assis, Merci! pic.twitter.com/ZjuU3cLImL #ABCD
— Manin ARCOS (@CyberManin) 30 Juin 2014
Il n'y a pas qu'en France qu'on réagit. Depuis la Suède, élève européenne modèle en matière d'égalité des sexes, les internautes témoignent de leur étonnement. Dans ce pays, cela fait près de vingt ans que les autorités ont mis en place des méthodes visant à traiter les enfants en individus, en non en fonction de leur sexe. La loi suédoise sur l’enseignement de la petite enfance de 1998 préconise de combattre dès la maternelle la réparation traditionnelle entre les sexes, de promouvoir l’égalité et laisser les enfants se forger librement leur propre identité. Les enseignants ont poussé leurs expériences jusqu'à la linguistique : "Pour désigner l’enfant on n’emploie pas de termes sexués comme “garçon” ou “fille”. On se sert du prénom ou des termes “personne” ou “kompis” [copain : désigne un garçon ou une fille]. Les pronoms personnels “han” [il] et “hon” [elle] ne sont pas proscrits, mais ils sont employés en alternance avec le pronom neutre “hen”."
Les réactions avaient alors été très vives, voire menaçantes, contre ce qui apparaissait comme une tentative d'empêcher les enfants d'être "sexués". (La confusion entre égalité et indifférenciation est toujours soigneusement entretenue par les défenseurs de la différence...).
Le 14 septembre 2014, les Suédois sont appelés aux urnes pour élire leurs député-e-s. Les sociaux-démocrates sortants (et favoris) ont fait de l'égalité entre les femmes et les hommes, la pierre angulaire de leur programme. Les socialistes français se sont inspirés du modèle suédois pour changer leurs lois sur la prostitution. Dommage qu'ils n'aient pas fait de même pour lutter contre les stéréotypes...
“En Suède, il y a un très large consensus sur le fait que l'école doit être le lieu ou s'ancre l'égalité entre les sexes“
02.07.2014propos recueillis par Isabelle Mourgère, montage Arnaud ChauvetCe qu'il y aura dans les mallettes pédagogiques...
"Pour les enseignants déjà en exercice, nous l'intègrerons dans la formation continue", ce qui pourrait représenter "potentiellement 330.000 enseignants du premier degré", a-t-il ajouté dans un entretien croisé avec Najat Vallaud-Belkacem.
Une "mallette pédagogique" sera également mise en ligne pour aider les enseignants sur "la base des modules des ABCD évalués par l'inspection générale comme étant les plus pertinents", selon le ministre de l'Education.