Le Parti communiste Français à Paris accueille, jusqu’au 8 mars 2016, une exposition de plus de 100 affiches consacrées aux grandes causes du féminisme. Avec un double objectif : valoriser les créatrices sur la scène graphique française et internationale, et démontrer combien l’imaginaire des artistes est de nature à « fertiliser » l’action.
L’inégalité au travail, l’alignement des salaires, la maîtrise de son corps, les violences faites aux femmes font partie des grandes thématiques illustrées sur les cimaises de l’Espace Oscar Niemeyer, du nom du grand architecte brésilien qui a dessiné le célèbre bâtiment du PCF, dans le XIXème arrondissement parisien. Il y est aussi question du droit de vote et du droit à l’avortement, qui restent encore à conquérir pour les femmes dans plusieurs coins du globe. De leur rôle dans les Printemps arabes. De la lutte contre les clichés et les stéréotypes.
Le grand intérêt pour le visiteur qu’offre l’exposition "
Egalité, mon œil !" tient dans l’origine des documents exposés et la démonstration de ce que la cause des femmes prend des dimensions différentes selon les pays et le degré d’évolution des droits vitaux.
Beaucoup d’affiches sont françaises et balaient plusieurs décennies. Elles constituent parfois des séries comme celle des créations de Vanessa Vérillon pour la Journée du 8 mars, commandes de municipalités, parmi lesquelles La Courneuve.
Elles sont parfois liées à des actions militantes toutes chaudes comme celle du studio Youpi, d’Hélène Bernadat et de son collectif "
Non à la guerre du mâle" qui a manifesté contre l’instauration de l’état d’urgence voici quelques semaines.
Elles sont les créations de personnalités éminentes dans le milieu comme Claude Baillargeon et Dugudus.
Une bonne moitié des affiches proviennent du monde entier et sont visibles ainsi réunies probablement pour la première fois. Elles viennent compléter les archives du PCF et des graphistes français qui, pour le volet international, ont fait jouer leurs réseaux, leurs relations professionnelles.
De la revendication à la guérilla
Des affiches mexicaines (Mariana Garcia) et cubaines.
Des affiches argentines avec le studio El Fantasma de Heredia, en écho avec l’exposition Graphismes des Antipodes/ Buenos Aires. Portrait d’une mégapole de la Cité Internationale des Arts.
Des affiches allemandes (avec Eva Kretschmer et Anke Feuchtenberger notamment), britanniques (See Red Women’s workshop), belges (Teresa Sdralevich), espagnoles (Un Mundo feliz) et libanaises (Mowana Sabeh) .
Des affiches américaines aussi, dont celles de Luba Lukova ou du mouvement
Guerillas Girls qui n’y va pas avec le dos de la cuiller pour illustrer la question « Do women have to be naked to get into US museums ? » sous une Olympia au visage de lionne.
Ici, l’expression graphique, signée tant par des artistes hommes que femmes, joue des signes féminins, des obsessions masculines, des contrastes, des interdits dans certaines cultures, de la symbolique souvent, et de l’humour. Avec des images choc comme celle de ce squelette sexué dessiné par Alejandro Magallanes, annonçant l’organisation d’une procession dans la Ville de Juarez, pour qu’on se souvienne des 300 femmes assassinées et des 500 femmes disparues dans cette ville du Nord du Mexique (un nombre minoré selon Amnesty International).
Avec ce visage féminin sublimé autour du slogan "
La femme est l’avenir de l’Europe" proposé par le Parti Socialiste français en 1979 et signé Roman Cieslewicz. Avec l’affiche même de l’exposition, très réussie, confiée à Elsa Maillot, qui mêle les sujets apparemment champêtres (dindon, poule, poupée, vache, chienne, cochon, …) tout en ajoutant au bestiaire quelques objets qui mettent la puce à l’oreille ( la cloche, la planche, la bombe, le dragon…) et y ajoute, enfin, quelques-uns des fleurons langagiers du machisme ordinaire (potiche, pouffiasse, connasse, allumeuse, salope…).
Au-delà des cimaises, dans les vitrines de l’exposition, des documents liés aux actions féministes libanaise et algérienne y ont été réunis.
Y figure aussi, le nouveau Plan rêvé du métro parisien, conçu par Silvia Fadelli, dont toutes les stations ont été rebaptisées aux noms de femmes célèbres (Edith Piaf, Louise Michel, Virginia Woolf, Françoise Dolto, etc), tandis que la présidente du Prix Artémisia de la BD féminine, Chantal Montellier, s’est amusée à « taguer » le machisme ordinaire d’Hergé en féminisant nombre de personnages de ses albums, y compris Tintin, ou à masculiniser la Castafiore, un des très rares visages féminins du célèbre cartooniste belge, ridicule à souhait.
Le PCF a aussi sorti de ses caves, pour les donner à voir, quelques exemplaires de la revue
Elles voient rouge, parue à partir de 1979, où les ratés du Parti à l’égard du MLF sont dénoncés.
Accueillir pareille exposition au siège du PCF, en accompagner la communication : rien d’anodin pour ce parti. Le directeur de la communication du PCF, Laurent Klajnbaum avait déjà attiré notre attention à la dernière Fête de l’Humanité en présentant une exposition des travaux qu’il avait commandés à 8 graphistes en les mettant au contact des responsables en charge de différents secteurs dont la lutte contre l’austérité, l’écologie ou le rôle de régulation économique de l’Etat. Il s’est une fois encore mobilisé pour la présente manifestation et s’est investi dans le collectif d’organisation - Valérie Debure, Isabelle Jego, Alex Jordan, Laurent Klajnbaum, Guillaume Lanneau, André Lejarre, Sébastien Marchal et Vanessa Verillon.
Droit d'auteur-e
La question de la commande publique, associative, militante est en effet au cœur des préoccupations des graphistes, au-delà de la problématique des droits d’auteurs qui les mobilise au travers de la SNAP, branche de la CGT et partenaire de l’exposition, et de la SAIF. Un des porte-parole de la SNAP, Sébastien Marchal, estime que même les militants ne mesurent pas toujours la portée symbolique du travail des graphistes dans la communication et l’action. Yves Clot, titulaire d’une chaire de psychologie du travail au CNAM, va plus loin et craint que la créativité graphique ne se cantonne désormais que dans le champ de la publicité marchande, alors que « pour vivre, il lui faut se mêler de la re-création du travail ».
Vanessa Vérillon, membre elle aussi du Collectif qui a imaginé et préparé l’exposition Egalité, mon œil ! , se fait le porte-parole de ses pairs pour dire combien les graphistes sont les premières victimes des coupes budgétaires dans les collectivités locales et les institutions artistiques. Mais aussi dans la plupart des instances politiques, enclines à se tourner vers des agences de communication. Une problématique qui vient s’jouter à celle de la sous-représentation des femmes sur la scène graphique, sur celle de la BD, dans les sélections de biennales, sur les cimaises des musées et plus généralement aux postes de direction des grandes institutions artistiques.
Quant aux visiteurs soucieux de retrouver ici les traces de l’histoire des luttes sociales ils remarqueront qu’elles sont bien présentes dans l’exposition. La sénatrice Laurence Cohen, responsable du droit des femmes au sein des instances du PCF, a remarqué, avec un certain amusement, que parmi les affiches exposées, émanant de la CGT, il en est une qui montre une vendeuse de grand magasin parisien prête à se mobiliser pour refuser le travail du dimanche. C’était en 1979 !
Exposition "Egalité, mon œil !", jusqu’au 8 mars 2016
Du mardi au vendredi de 9h à 18h30
Le samedi de 10h30 à 17h
Siège du PCF-Espace Niemeyer – 2, rue Mathurin Moreau – 75019 Paris (Mo Colonel Fabien)