Treize hommes accusés de viol vont être jugés en Egypte. Une première dans un pays où la quasi totalité des femmes avouent avoir été harcelées ou agressées sexuellement. Au Caire, des Egyptiennes ont manifesté pour montrer leur colère face à ce fléau qui reste très souvent impuni. Non sans arrières pensées politiques.
Pour la première fois en Égypte, treize hommes vont être traduits en justice pour avoir violé ou agressé sexuellement en réunion plusieurs femmes lors de manifestations. Ils seront jugés pour "enlèvement, viol, agression sexuelle, tentative de meurtre et torture" a annoncé le procureur général. Ces accusations sont passibles de prison à vie. Plusieurs suspects ont été arrêtés pour des faits commis le 25 janvier 2013, lors de l'anniversaire des deux ans de la révolution. D'autres pour des événements ayant eu lieu les 3 et 8 juin 2014, après l'élection puis la prestation de serment d'Abdel Fattah al-Sissi. "Des agressions sexuelles horribles contre des femmes ont entaché l'élection et l'investiture du président Sissi" a affirmé dans un communiqué Rothna Begum, chercheuse à Human Right Watch. La dernière agression, celle d'une jeune étudiante, a fait le tour du monde puisque cette dernière a été filmée, probablement avec un téléphone portable, et diffusée sur Youtube. Sur les images, on voit la jeune fille couverte de bleus avec des traces de sans, nue au milieu de la foule. La colère des femmes "Le peuple demande la mort des agresseurs", scandaient les Égyptiennes lors d'un rassemblement contre le harcèlement et le viol, samedi 14 juin, au Caire. En signe de protestation, elles s'étaient enduites de peinture rouge. Qu'elles soient jeunes ou âgées, qu'elles soient voilées ou qu'elles affichent un look à l'occidental, elles portent les mêmes revendications. Et sur les pancartes, on pouvait lire : "Ne me dites pas comment m'habiller, dites leur de ne pas violer". Certaines d'entre elles n'hésitent pas à être incisives : "nous avons eu une révolution politique, maintenant, nous voulons une révolution des mœurs!" affirme une jeune femme victime de violences sexuelles.
Harcèlement sexuel en Egypte : l'indignation des femmes
99% des Égyptiennes victimes d'agressions sexuelles En Égypte, les violences sexuelles sont fréquentes. La quasi totalité des femmes disent avoir été, un jour, victimes de harcèlement : 99% selon un rapport de l'ONU paru en 2013. Le ministère de l'Intérieur égyptien, lui, affirme que 20 000 femmes sont violées chaque année : ce qui représente 55 femmes par jour. L’Égypte a adopté, ce mois de juin 2014, sa toute première législation punissant spécifiquement le harcèlement sexuel. Une série de sanctions sont prévues allant de l'amende à la prison ferme. Mais ces amendements ont été jugés "insuffisants" par un groupe de 25 associations de défense des droits humains qui ont appelé à une "stratégie globale" pour lutter contre ce phénomène.
Les manifestations : lieux des crimes Depuis le début de la révolution, dite de Papyrus, qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir en 2011, la situation a empiré pour les femmes qui sont régulièrement attaquées durant des manifestations ou des rassemblements, en particulier sur l'emblématique place Tahrir. Au moins neuf agressions se sont produites au cours des événements célébrant la victoire d'Abdel Fattah al-Sissi, selon les militants. "Entre novembre 2012 et juin 2013, environ 250 cas de harcèlement, d'agression sexuelles ou de viols sous la menace d'armes lors de manifestations au Caire ont été recensés" selon Fathi Farid, un militant de l'association "I saw Harassment" ("Jai vu le harcèlement"). Selon Human Right Watch, près de 100 femmes avaient été prises à partie lors des quatre jours de protestations pour réclamer la destitution du président islamiste Mohamed Morsi, entre fin juin et début juillet 2013 Ces exactions avaient été beaucoup médiatisées lorsque des femmes journalistes, étrangères, avaient subi les mêmes violences, sur la place Tahrir. Un communiqué de HRW explique comment les agresseurs s'en prennent aux femmes durant ces manifestations : les témoignages recueillis indiquent que les attaques ont tendance à se dérouler de manière semblable. Selon un scenario récurrent, plusieurs jeunes hommes ciblent une femme lors d’une manifestation et l’encerclent, la séparant ainsi de ses amis. Lors de l’attaque (dont la durée peut aller de quelques minutes à plus d'une heure) le nombre d'attaquants augmente alors qu’ils molestent la victime et tentent de lui arracher ses vêtements. Dans plusieurs cas, les assaillants ont traîné la femme vers un autre lieu tout en continuant à l’agresser sexuellement.
Faute des autorités ? Dans son article publié sur Orient XXI, Sonia Dridi, correspondante de France 24 en Egypte, évoque la part de responsabilités des autorités dans "l'expansion des violences sexuelles. En effet, nombre de victimes ont été découragées de porter plainte face à la réaction des policiers, dont certains dissuadent les victimes d’aller plus loin en dédramatisant les faits quand d’autres les accusent d’être la cause du harcèlement en raison de leur tenue ou de leur comportement" écrit la journaliste. Et d'ajouter : "sous l’ère Moubarak, le harcèlement sexuel était déjà utilisé pour décourager les femmes de manifester." Sur le site en ligne Mada Masr, le militant Mostafa Baghat affirme que des groupes d'hommes sont payés par des partis politiques pour commettre ces exactions sur les femmes. Ce que confirme Sonia Dridi dans son article : "Les Frères musulmans ont été accusés par des activistes d’être à l’origine d’agressions sexuelles lorsque leur pouvoir était contesté." Face à l'ambiguïté qui règne autour de ces violences sexuelles et au peu de moyens mis en oeuvre pour protéger les femmes et juger les agresseurs, certaines Egyptiennes ont pris les devants. Elles se sont inscrites à des cours de Kung-fu (voir notre article) : une manière de se sentir moins vulnérables face à des hommes souvent très violents. Si le président égyptien semble prendre au sérieux les affaires d'agressions sexuelles (il a notamment rendu visite à l'étudiante agressée récemment), la population est encore sceptique face à la réelle volonté du général Sissi d'éradiquer ce fléau.
“Une petite avancée mais une avancée quand même“
16.06.2014Propos recueillis par Mylène Girardeau
Isabelle Mayault, journaliste indépendante en Egypte (Le Caire) revient sur les derniers événements en Egypte et souligne que "le mot harcèlement sexuel est entré dans le code pénal égyptien il y a deux semaines. La peine prévue est de 6 mois de prison ferme pour quelqu'un qui serait reconnu de ces agressions".