En Égypte, la hausse alarmante des agressions et du harcèlement sexuels poussent de plus en plus de femmes vers la pratique des arts martiaux. Reportage auprès de quelques unes de ces téméraires
Noor, 19 ans, se tient debout, les yeux fermés, les mains derrière la tête, sous la lumière des projecteurs qui éclairent la piste de course. Il est huit heures du soir. Derrière elle, une trentaine de jeunes hommes et femmes l’observent alors que Ahmed Kenawy, la cinquantaine, s’approche de Noor avec un long bâton de bois. Bam ! Ahmad frappe Noor dans le ventre avec son bâton. Le coup est violent. La jeune femme grimace. Les coups cessent au bout de quelques répétitions. Noor se repose. Le groupe l’applaudit. Noor Ahmed Ali est l’une des quelques jeunes femmes qui s’entrainent avec Ahmed Kenawy, un expert en Kuo shu, une forme de Kung Fu (aussi appelé boxe chinoise). "J’aime me battre. Je veux être forte, surtout parce que j’en ai besoin pour me défendre", explique-t-elle. La jeune femme pratique le Kuo shu depuis dix ans. Mais avec l’augmentation dramatique des agressions sexuelles depuis la révolution de "papyrus" de 2011, de plus en plus de femmes éprouvent le besoin de savoir se défendre et s’intéressent à ce sport.
55 femmes violées par jour Selon les Nations Unies, 90% des Égyptiennes disent avoir été victimes de harcèlement sexuel. Le ministère de l’Intérieur affirme quant à lui que 20 000 femmes sont violées chaque année, une moyenne de 55 par jour. Dalia Sami a rejoint le club il y a trois mois, après avoir été attaquée par un chauffeur de taxi. "J’ai vu du Kung Fu à la télévision et j’ai décidé de me mettre à cette technique d'auto-défense. J’aime apprendre à donner des coups de poings et des coups de pied", raconte-t-elle. "Grâce à mon entrainement, je me sens beaucoup plus en confiance lorsque je marche dans la rue. Ma famille aussi est rassurée", explique quant à elle Ferial Fawzi, une adolescente agitée qui a également un faible pour les techniques de combat. Elle doit cependant garder secrète sa nouvelle passion. Elle craint le regard des autres et que les familles de la plupart de ses amis n’approuvent pas la pratique des arts martiaux pour une femme. Alors que l’écho du chant des mosquées annonce le début de la prière du midi dans la ville, les étudiants d’Ahmed Kenawy interrompent leur entrainement et se divisent en deux groupes. Une douzaine d’hommes se regroupent pour prier. Noor et une autre élève s’assoient en retrait. Vingt minutes plus tard, les exercices reprennent.
"Je veux changer le fait que les filles ont toujours l’air faible" Tarek, qui est né et a grandi aux États-Unis, se rend régulièrement en Égypte. Il enseigne aujourd’hui aux élèves d’Ahmed comment vaincre un adversaire. "Le viol et les agressions contre les femmes sont très répandus en Égypte. Surtout depuis la révolution. C’est donc très important que les femmes apprennent à se défendre", explique-t-il. Noor répète minutieusement les nouveaux mouvements appris dans la journée. Sous l’œil attentif de son entraineur, elle bloque le coup de pied de son adversaire et la fait trébucher en lui fauchant la jambe. La jeune fille s’écroule sur le matelas dans un bruit qui résonne dans tout le gymnase. L’entraineur lui fait un signe approbateur de la tête. "On dit que les garçons sont plus forts que les filles. Je veux changer cela. Je veux changer le fait que les filles ont toujours l’air faible", insiste Noor en tendant la main à sa partenaire étendue au sol.