Plus que jamais les femmes se sont emparées de la campagne présidentielle américaine luttant pour leurs droits malmenés par le parti républicain. Après avoir voté en masse pour Barack Obama en 2008, l’électorat féminin se rapproche des républicains et devient une cible de choix pour les deux partis dans la dernière ligne droite jusqu’au scrutin du 6 novembre.
La course à l’électorat féminin est lancée à moins de quinze jours du scrutin national. D’après le dernier sondage Gallup pour USAToday, l’écart des intentions de vote de l'électorat féminin entre les deux candidats s’est réduit à un seul point dans les Swing States ou États tangents qui feront basculer les résultats. Dans les autres États, les femmes sont toujours plus nombreuses à vouloir voter pour Obama, à 52%, contre 43% pour Romney, soit plus de 10 points d’écart. Au niveau national, le scrutin est donc très serré. Dans cette dernière ligne droite, l’électorat féminin -soit 53% de la population américaine appelée aux urnes- est plus que jamais très convoité par les deux partis. En novembre 2008, elles étaient 56% à voter pour Obama. Mais cette fois, le président sortant devra se battre davantage pour rallier les indécises à son camp. Spots publicitaires, signes de soutien à la cause des femmes, les candidats multiplient les gestes pour séduire les femmes. Depuis un mois, Barack Obama arbore un bracelet rose pour soutenir la lutte contre le cancer du sein souligne l’hebdomadaire français le Nouvel Observateur. Mitt Romney a choisi d’épingler un ruban rose sur le revers de sa veste lors d’une visite d’usine dans l’Ohio.
Miser sur l'économie Le président sortant mise sur les questions de société, avec l’Obamacare permettant le remboursement de contraceptifs ou de l’avortement par les assurances des employeurs. De son côté, Mitt Romney se concentre davantage sur l’économie. Avec un marché de l’emploi difficile - 7% de chômeurs en septembre- la balance penche pour les républicains. Un constat qu’explique Sonya Michel, professeur d’Histoire des femmes à l’université du Maryland aux États-Unis. « Même si elles savent que Romney n’est pas aussi compétent sur les questions sociales, elles pensent qu’il sera meilleur pour l’économie en créant des emplois. Ce n’est pas clair pour moi comment il va le faire mais il prétend pouvoir en créer 12 millions de plus. » Dans cette campagne présidentielle, les questions économiques deviennent bien plus préoccupantes pour les femmes, même si selon un sondage de USA TODAY du 11 octobre avait fait ressortir l'avortement comme préoccupation première des électrices. « Cela devient de plus en plus vrai car un nombre croissant de femmes travaille dans le secteur de la main d’oeuvre. Leur chiffre ne cesse d’augmenter », explique Sonya Michel. « A contrario, de moins en moins d’hommes en font partis. Les femmes sont souvent les seules ou celles qui participent le plus à la vie de leur foyer financièrement. Donc elles doivent absolument garder leurs emplois et subvenir aux besoins de leurs enfants. Donc si Romney leur promet de meilleures conditions économiques, et qu’elles y croient, elles voteront pour lui. »
Sur la toile, les mèmes (images détournées qui deviennent virales) se sont répandues.
Spots publicitaires Le parti démocrate ne ménage pas ses efforts pour répliquer contre le camp Romney à coût/coup de spots sur l’avortement diffusés 30 000 fois au niveau national. Il vise à discréditer le discours de Romney sur ce sujet devenu central dans la campagne. Après avoir été pro-choice donc pro-avortement, le candidat républicain a retourné sa veste pour s’y opposer. Depuis, ses propositions électorales remettent en cause les acquis des femmes en matière de droit : avortement, déremboursements des moyens de contraception et coupes des budgets des plannings familiaux. La « guerre des femmes » comme l’a qualifiée le parti démocrate, est déclarée. L’électorat féminin s’est d'ailleurs fortement mobilisé pour le maintien de ses droits. Et en premier lieu sur les réseaux sociaux. Lors de l’avant-dernier débat télévisé, faute de conquérir un plus large électorat féminin, des deux candidats à la présidentielle ont provoqué un séisme féministe sur la toile. Les femmes se sont déchaînées sur le web pour se moquer du candidat républicain qui a déclaré ne pas avoir reçu de candidatures de femmes pour former son cabinet lorsqu’il était gouverneur du Massachusetts. Il a alors demandé à son équipe d’aller en chercher. Résultat : un « classeur plein de femmes » lui a été remis. Rapidement, les femmes s’insurgent sur Twitter. Une page Facebook qui compte plus de 350 000 abonnés, un blog Tumblr ont été également créés pour détourner le désormais fameux « Binder full of women » (classeur plein de femmes, ndlr) de Mitt Romney. Plus généralement dans la campagne, les femmes partagent des vidéos militantes. Dernière en date, Lena Dunham, la créatrice de 26 ans de la série indépendante "Girls" aux États-Unis. Sa vidéo appelant au vote pour Barack Obama a fait rugir les républicains. Dans ce spot elle joue sur les mots et assimile son premier vote démocrate à sa première relation sexuelle. (voir en encadré) D’autres ont même décidé de faire un spot sur Internet pour défendre leur droit à l’avortement.
Cour suprême conservatrice Outre le projet de Romney d’abroger l’Obamacare, s’il remporte l’élection il devra nommer de nouveaux juges à la Cour suprême qui pourront se liguer contre l’avortement ou remettre en cause d’autres droits fondamentaux des femmes. Alors que de son côté, Obama a toujours montré qu’il n’oublie pas son électorat féminin : « Le fait qu’Obama ait beaucoup de femmes dans son équipe de Cabinet, pour certaines femmes c’est un symbole fort, un signe qu’il se soucie de la cause des femmes », souligne l’universitaire Sonya Michel. « Mais pour certaines femmes, le fait que la situation économique soit si mauvaise, Obama n’a pas réussi à retourner la tendance si vous regarder bien. Même si il a fait de bonnes choses. » Avec la place de plus en plus importante des femmes dans le débat politique, les médias ne sont pas en reste. Ils se mettent parfois à véhiculer des études saugrenues. Ainsi, la chaîne d’information CNN a relayé une étude qui sera publiée dans Psychological Science. Selon une chercheuse de l’université du Texas, « les hormones des femmes ont une influence sur leurs choix électoraux ». A croire que les neurones ne suffisent pas à une femme pour voter.
Pour en savoir plus sur le vote des femmes, réponse de Sonya Michel, universitaire spécialiste des femmes.
Pour qui votent les femmes traditionnellement aux États-Unis ? Les femmes avaient l’habitude de voter comme leurs maris mais elles sont devenues de plus en plus indépendantes. C’était dans les années 80 qu’un chercheur en politique a identifié ce qu’il a appelé le « gender gap » (fossé entre les sexes, ndlr). Il a réalisé que les femmes votaient différemment des hommes. Et maintenant, les gens qui étudient le vote des femmes ont réalisé que les femmes votaient en fonction de certains problèmes spécifiques comme l’avortement par exemple, qui les poussaient donc à ne pas voter comme leurs maris. Pendant l’ère Reagan, beaucoup d’ouvriers ont changé leur fusil d’épaule. De démocrate, ils sont devenus républicains. On les a appelé les « Reagan démocrates ». Les ouvrières n’ont pas eu tendance à suivre ce revirement. Elles sont restées du côté des démocrates. Typiquement, depuis les années 60/70, elles ont davantage opté pour les démocrates parce qu’ils se sont saisis des questions sociales comme l’avortement ou l’égalité des salaires qui sont importantes pour les femmes.
Les dessinateurs de presse croquent les femmes
Egalité des salaires aux Etats-Unis (AFP)
L'écart de salaires homme-femme commence tout de suite après le diplôme. Même si les femmes sont plus nombreuses que les hommes à aller à l'université, les hommes qui y vont auront plus tard un salaire plus élevé. Après une licence, les femmes gagneront 82% de ce que gagnent les hommes, écart réduit à 93% si l'on compare des cursus et le choix d'un métier identiques. Une femme titulaire d'une licence gagne, un an après l'obtention de son diplôme, 82 cents contre un dollar pour son homologue masculin Ces 7% d'écart restant sont "inexpliqués", indique une étude publiée en 2009 qui estime que "les préjugés et la discrimination par le sexe" -impossibles à mesurer- peuvent en être un des motifs. Les hommes ont également plus tendance à négocier leurs salaires que les femmes. Ils se spécialisent davantage en ingénierie ou en informatique, qui conduisent à des emplois mieux payés, et les femmes dans les sciences sociales, qui le sont moins. Le nombre d'heures travaillées a également un rôle. Ainsi, un an après la fin de la fac, une femme travaille en moyenne 43 heures par semaine contre 45 pour un homme. Mais, à spécialité égale, l'écart demeure. Ainsi, une diplômée d'école de commerce gagnera 38.000 dollars contre 45.000 pour un jeune homme. Un problème qui doit être "publiquement reconnu" En prenant l'exemple d'un jeune homme et d'une jeune femme diplômés de la même université, avec la même spécialité, le même nombre d'heures travaillées, le même métier et le même secteur économique, la femme gagnera 7% de moins. Ces écarts de salaire signifient également que la charge de la dette étudiante, très importante aux États-Unis où nombre d'étudiants empruntent pour payer leurs études, est plus lourde pour les femmes. En 2009, près de 47% des filles, un an après leur sortie de l'université, consacraient plus de 8% de leur salaire à payer leur dette, contre 39% des hommes. Quand le chiffre se monte à 15% du salaire, elles sont 20% contre 15% des hommes.