Election présidentielle en Biélorussie : trois femmes contre Loukachenko

Trois opposantes unies face à un dirigeant cultivant son image d’homme viril. Leur but : déloger de la présidentielle du 9 août en Biélorussie Alexandre Loukachenko, dont le régime est accusé de pressions "misogynes" sur les dissidentes.

Image
3 candidates belarusses

Maria Kolesnikova (à droiteà, Svetlana Tikhanovskaya (au centre), Veronika Tsepkalo (à gauche) lors d'un meeting électoral pour Svetlana Tikhanovskaya à Minsk, au Belarus, le 19 juillet 2020.

©AP Photo/Sergei Grits
Partager 4 minutes de lecture

La candidate Svetlana Tikhanovskaïa, 37 ans, annonçait le 16 juillet dernier avoir été rejointe par les équipes de deux opposants privés de scrutin, Viktor Babaryko, un ancien banquier emprisonné depuis juin, et Valeri Tsepkalo, un ex-diplomate passé à l'opposition.

Mais sur la photo scellant cette alliance, c'est aux côtés de deux autres femmes qu'elle apparaît : Maria Kolesnikova, la directrice de campagne de Viktor Babaryko, et Veronika Tsepkalo, l'épouse de Valeri. La première a le point levé, la seconde les mains en coeur, la troisième fait le "V" de la victoire.

conf de presse 3 femmes

Maria Kolesnikova, Svetlana Tikhanovskaya et Veronika Tsepkalo en conférence de presse le 17 juillet 2020. 

©AP Photo/Sergei Grits

"Nous avons décidé de nous unir pour montrer ce qu'est la solidarité féminine", explique Veronika Tsepkalo, une ancienne employée de Microsoft, au cours de sa conférence de presse avec ses deux complices. "Nous ne sommes pas des citoyennes de second rang, nous sommes égales aux hommes et pensons que nous allons gagner !", ajoute-t-elle.

Le symbole est fort dans cette ancienne république soviétique d'Europe de l'Est dirigée depuis 1994 par Alexandre Loukachenko, un habitué des mises en scène pour entretenir son image de dur à cuire, qui vise un sixième mandat.

Objectifs : "changer le pouvoir" et libérer "les prisonniers politiques"

"Nous voulons que la Biélorussie se réveille", résume Maria Kolesnikova, 38 ans, qui a travaillé dans la banque Belgazprombank, auparavant dirigée par l'opposant Viktor Babaryko.

Au départ, Svetlana Tikhanovskaïa ne se destinait pas à devenir candidate. Mais son époux, Sergueï, un vidéo-blogueur de renom, a été emprisonné en mai alors qu'il prévoyait de se présenter. Elle l'a ensuite remplacé au pied levé. "Tout le monde sait que je suis ici par amour pour mon mari", affirme-t-elle. Et puis après l'arrestation des principaux rivaux de Alexandre Loukachenko, tous des hommes, Svetlana Tikhanovskaïa est finalement devenue la rivale numéro un du président sortant.

Svetlana Tikhanovskaya

Svetlana Tikhanovskaya montre sa carte de candidate à l'élection présidentielle du 9 août 2020.

©AP Photo/Sergei Grits
lukaschenko

Le président Alexander Lukashenko en marge du Conseil intergouvernemental de l’Union économique eurasiatique à Minsk, au Belarus, le 17 juillet 2020. 

© Dmitry Astakhov, Sputnik, Government Pool Photo via AP

Le président biélorusse Alexandre Loukachenko semble ne pas prendre au sérieux cette concurrence. Il juge que la Biélorussie n'est "pas encore prêt à voter pour une femme". Aujourd'hui, il déclare haut et fort que "si une femme veut être candidate, on l'enverra d'abord dans une unité militaire (...) pour qu'elle soit formée et sache faire la différence entre un transport de troupes et un char."

Ancien directeur de ferme soviétique, Alexandre Loukachenko aime s'afficher en uniforme, jouant au hockey sur glace avec Vladimir Poutine ou en pleine récolte dans les champs. Bien souvent, il est entouré de jeunes femmes, ou alors de l'acteur de film d'action Steven Seagal.

Misogynie d'Etat

Plus grave, pour Amnesty international, la Biélorussie verse aussi dans une "misogynie promue par l'Etat", selon un communiqué diffusé ce 17 juillet dénonçant la multiplication des pressions visant spécifiquement les opposantes biélorusses. L'ONG signale, entre autres, le cas de la compagne d'un militant de l'opposition disant avoir été récemment menacée de viol au cours d'un interrogatoire dans un commissariat. Selon Amnesty, les autorités "visent délibérément des femmes impliquées en politique ou membres de la famille d'opposants, y compris en usant de discriminations ouvertes et de menaces de violences sexuelles".

L'image de trois femmes s'opposant à l’indéboulonnable Alexandre Loukachenko a dès lors suscité de nombreux soutiens sur les réseaux sociaux. "Il semble que toute la société attendait cette union", se réjouit le politologue Alexandre Fedouta, dans une tribune pour le média d'opposition Belsat.

Malgré l'arrestation d'un grand nombre de manifestants et d'opposants, cette campagne présidentielle a été dynamisée par l'arrivée de nombreux nouveaux visages dans un pays où les élections sont d'habitude une formalité pour le pouvoir.

Alibis démocratiques ?

L'analyste Alexandre Klaskovski, du centre Belapan, juge malgré tout les détracteurs du régime affaiblis par l'élimination des principaux candidats. Selon lui, les autorités voient en Svetlana Tikhanovskaïa un alibi démocratique pour dire qu'elles ne sont pas "aussi répressives" qu'on le dit. Si l'opposante se muait en menace réelle pour le président, le pouvoir trouverait un prétexte légal en vue de l'évincer, juge-t-il.

"Le régime agit brutalement que vous soyez une femme ou un homme. La photo est belle, bien sûr, mais il ne faut pas se faire d'illusions", prévient Alexandre Klaskovski.