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Election présidentielle en Tunisie : où sont les femmes ?

Après l'espoir suscité par la révolution de 2011, l'heure, pour les Tunisiennes, est au désenchantement. Militantes, élues ou ouvrières, elles disent ne pas attendre "grand-chose" du scrutin présidentiel dont le premier tour se déroule ce 15 septembre 2019. Vingt-six candidats sont en lice, dont seulement deux femmes.

"Les hommes promettent beaucoup aux femmes. Mais lorsque 'monsieur Moustache' arrive au pouvoir, il ne se passe plus rien." Feryel Charfeddine a le sourire las. Dirigeante d'une association de lutte contre les violences, elle se dit alarmée par ce qu'elle constate tous les jours sur le terrain : augmentation des violences, recul des droits, conservatisme de la société. "Les femmes ne s'intéressent plus à la politique. Inconsciemment, elles savent que c'est le même système patriarcal qui perdure, avance-t-elle. Je ne suis pas pessimiste, je suis réaliste", affirme la jeune femme.

24 candidats, 2 candidates

En bonne place dans les manifestations qui ont fait tomber le dictateur Zine el Abidine ben Ali en 2011, électorat courtisé lors des précédentes élections dans la Tunisie post-révolutionnaire, les femmes sont largement absentes de la campagne de 2019, qui privilégie les thèmes sécuritaires ou économiques.

Sur 26 candidats, on compte seulement deux candidates : une avocate anti-islamiste Abir Moussi, et une ancienne ministre Salma Elloumi. "On est dans l'alibi", soupire l'avocate Bochra Belhaj Hmida, élue au Parlement depuis 2014, qui se retire de la politique. "J'ai vécu une expérience très très riche, mais je quitte la politique sans regret", confie cette figure du combat féministe en Tunisie.

Les hommes attendent des femmes en politique qu'elles ne débattent pas et surtout qu'elles ne décident pas.
Bochra Belhaj Hmida

Sans s'étendre sur la violence en politique, celle qui fut au coeur d'une campagne d'insultes et de dénigrement en raison de son combat pour l'égalité successorale femme-homme, sujet hautement inflammable dans le pays, raconte : "Les hommes attendent des femmes en politique qu'elles soient le moins dérangeantes possible, qu'elles ne débattent pas et surtout qu'elles ne décident pas. J'ai perdu beaucoup d'amitiés masculines". Elle évoque aussi le manque de solidarité féminine, "comme s'il n'y avait qu'une place à décrocher et qu'il fallait écarter les autres". Ce climat parfois éprouvant dissuade l'engagement. "Les femmes ne se sentent pas soutenues et il n'y a pas de volonté des partis politiques de changer ça", affirme Zyna Mejri, une jeune militante.

Une société 'schizophrène'

La Tunisie est pourtant considérée, depuis son indépendance, comme une pionnière des droits des femmes dans le monde arabe et musulman, avec l'adoption en 1956 du code du statut personnel qui a notamment aboli polygamie et répudiation.

C'est vrai que nous sommes mieux loties, mais entre avoir de bonnes lois et les faire appliquer...
Zyna Mejri, militante féministe tunisienne

Ces dernières années, le défunt président Beji Caïd Essebsi, qui se vantait d'avoir été porté au pouvoir par les électrices, a fait voter plusieurs textes importants, comme une loi contre les violences faites aux femmes ou l'abrogation d'une circulaire leur interdisant d'épouser un non-musulman.

"C'est vrai que nous sommes mieux loties, mais entre avoir de bonnes lois et les faire appliquer...", nuance Zyna Mejri, pour qui le combat passe par un "changement des mentalités".  Feryel Charfeddine, elle, déplore la "schizophrénie" de son pays, pointant le décalage entre l'image progressiste de la Tunisie et le conservatisme de la société.

De l'importance de maintenir le dialogue

Bochra Belhaj Hmida s'est souvent heurtée à l'agressivité de jeunes hommes qui ne comprenaient pas son combat pour l'égalité. Elle reste convaincue de la nécessité de débattre, y compris dans la violence, et admet avoir elle-même nuancé son point de vue : "Quand j'ai réussi à établir le dialogue avec certains de ces jeunes, ça m'a aussi ouvert les yeux. J'ai pris conscience de leur frustration, du regard qu'ils pensent que les 'bourgeois' portent sur eux".

Yosra Frawes, présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD),cite, pêle-mêle, les difficultés croissantes en matière de droits sexuels et reproductifs, la dégradation de l'accès aux soins, notamment dans les zones rurales, et l'appauvrissement des femmes. Selon une récente étude de l'ATFD, plus de 80 % de la main d'oeuvre agricole en Tunisie est composée de femmes et l'association a dénoncé la précarité de cette main d'oeuvre "corvéable à merci".

La société tunisienne est-elle prête à davantage d'égalité ? La question fait rugir Yosra Frawes. "La question ne se pose même pas. L'égalité est un principe universel", rétorque-t-elle - même si elle constate "un recul énorme" des droits des femmes sur le terrain.