Elections aux Etats-Unis : peu à peu, le Congrès se féminise

Démocrates ou républicaines, aspirantes sénatrices ou représentantes à la Chambre, les candidates aux élections américaines du 3 novembre 2020 ont percé dans plusieurs Etats. Des femmes transgenres, mais aussi une proche de QAnon, font leur apparition dans les instances législatives du pays. Tour d'horizon.
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©AP Photo/J. Scott Applewhite

Conférence de presse à Washington le 15 juillet 2019. De gauche à droite : Ayanna Pressley, Ilhan Omar, Alexandria Ocasio-Cortez, Rashida Tlaib - The squad.

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©AP Photo/Damian Dovarganes

Virginia Elwood-Akers vote par anticipation le 24 octobre 2020 à Los Angeles. Cette octogénaire votait pour la première fois en 1960. En vertu du 19e amendement adopté par le Congrès en vigueur depuis le 18 août 1920 : "Le droit de vote ne pourra être dénié ou restreint à aucun citoyen des États-Unis du fait de son sexe, ni par les États-Unis, ni par un État."

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Voici un siècle très exactement que les Américaines peuvent voter. En matière de parité parlementaire, toutefois, les États-Unis ont encore des progrès à faire. Ils arrivent au 76e rang sur quelque 200 pays, selon les données de l'Union interparlementaire, ex-aequo avec l'Afghanistan.

A l'issue des élections du 3 novembre 2020, toutefois, la situation continue à évoluer : de toutes sensibilités politiques, des femmes percent, tandis que d'autres s'installent dans leur mandat. En 2018, déjà, dans le sillage du mouvement #MeToo, un nombre record de femmes avaient été candidates à la Chambre des représentants des Etats-Unis. Pour ce scrutin du 3 novembre 2020, elles n'ont jamais été plus nombreuses à se présenter, et à être élues, à l'issue de ce scrutin agité de novembre 2020. Parmi elles, des femmes issues de minorités - amérindiennes, noires, transgenres - mais aussi de jeunes étoiles montantes qui cristallisent les espoirs d'une partie de l'électorat.

Elues des minorités

Ainsi le Nouveau-Mexique, dans le sud-ouest, des Etats-Unis, a-t-il choisi un trio de femmes issues de minorités pour siéger à la Chambre des représentants. Les trois élues sont Deb Haaland, une démocrate devenue en 2018 l'une des deux premières femmes amérindiennes à siéger au Congrès, la républicaine Yvette Herrell, elle aussi amérindienne, et la démocrate Teresa Leger Fernandez, qui a des origines latino-américaines.

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Teresa Leger Fernandez, suit les résultats de l'élection du 3 novembre sur son écran avec ses fils, chez elle, à Santa Fe, au Nouveau-Mexique. Elle se présentait contre le républicain Alexis Johnson.
©AP Photo/Cedar Attanasio

Au nord-ouest du pays, le Wyoming a élu pour la première fois de son histoire une femme au Sénat, la républicaine Cynthia Lummis. Dans le Missouri, Cori Bush est devenue la première femme noire à représenter cet Etat au Congrès.

LGBTQ : un peu plus de visibilité

Quant aux Etats du Vermont et du Delaware, ils ont élu des femmes transgenres, Taylor Small à la Chambre des représentants et Sarah McBride au Sénat, réputé plus conservateur. Une première dans l'histoire politique du pays. 

"Nous avons réussi. Nous avons remporté l'élection", a tweeté la démocrate Sarah McBride, militante de longue date pour les droits des LGBTQ. Elle a battu son adversaire républicain haut la main, avec 86% des voix. "J'espère que cette victoire aura montré aux jeunes LGBTQ qu'ils ont leur place dans notre démocratie", poursuit-elle. De nombreux internautes ont salué cette victoire, dont l'actrice Charlize Theron, qui a une fille transgenre.

Si Sarah McBride est la première femme transgenre élue sénatrice, c'est Danica Roem, élue en Virginie en novembre 2017, qui fut la première personne transgenre à intégrer la chambre basse d'un Etat américain. Elle félicite Sarah McBride : "Elle était prête. Elle a fait campagne. Et elle vient de gagner".


Sarah McBride, 30 ans, est originaire de Wilmington, le fief du candidat démocrate à la présidentielle Joe Biden. Comme Kamala Harris, candidate démocrate à la vice-présidence, elle a travaillé avec son fils, Beau Biden, lorsqu'il était procureur général de l'Etat, puis à la Maison-Blanche sous le mandat de Barack Obama. Porte-parole de la campagne pour les droits humains (HRC), principale organisation de défense des droits des LGBTQ aux Etats-Unis, Sarah McBride milite depuis 2013 contre les discriminations de genre dans la législation du Delaware. En 2016, en prenant la parole à la convention démocrate, elle devenait la première transgenre à participer à la convention d'un grand parti.

Le Victory Fund, une organisation qui milite pour l'élection de personnes transgenres, a qualifié sa victoire de "rappel puissant que les électeurs rejettent de plus en plus la politique d'intolérance et favorisent des candidats qui se battent pour la justice et l'égalité". Selon le Victory Fund, 9 personnes transgenres sont, pour l'instant, élues dans les Etats américains à l'issue du scrutin du 3 novembre.

L'homme blanc discriminé ?

A l'autre extrémité du spectre politique, où une femme peut proclamer que "l'homme blanc est la population la plus discriminée" aux Etats-Unis, Marjorie Taylor Greene est la première élue proche de QAnon, un mouvement d'extrême droite complotiste apparu en 2017, qui soutient la "guerre secrète" menée par Donald Trump contre une "secte mondiale composée de pédophiles satanistes". Réagissant à l'élection de deux musulmanes en 2018 à la Chambre des représentants, Marjorie Taylor Greene dénonçait "une invasion islamique". Dans la même veine, elle nie le racisme aux Etats-Unis : "Le racisme, c'est fini... Les Noirs ont les mêmes droits", affirmait-elle dans une vidéo publiée par Politico.

Elle représentera un bastion républicain de l'Etat de Géorgie. Un siège que, après sa victoire à la primaire républicaine, la républicaine de 46 ans ​était quasiment assurée de remporter. En août dernier, Donald Trump l'avait chaleureusement félicitée : "Marjorie est solide à tous égards et elle n'abandonne jamais - une vraie GAGNANTE !". Ce 4 novembre, c'est aussi sur Twitter que l'élue confirme sa "grande victoire" :

Pour Marjorie Taylor Greene, comme pour tous les adeptes de la mouvance QAnon, les Etats-Unis sont dirigés par "l'Etat profond", une organisation secrète rassemblant de hauts responsables du gouvernement, les Clinton, les Obama, les Rothschild, le puissant investisseur George Soros, des vedettes d'Hollywood et d'autres membres de l'élite mondiale. "C'est l'occasion d'une vie d'éliminer cette cabale mondiale de pédophiles satanistes et je pense que nous avons le président qu'il faut pour cela", proclamait la candidate pendant sa campagne.

Etoiles montantes du parti démocrate

En voilà une que les républicains auraient tout fait pour écarter : la jeune star démocrate du Congrès Alexandria Ocasio-Cortez et sa "bande" ont été facilement réélues au Congrès, bien décidées à continuer à tirer le parti démocrate vers la gauche. Celle que tout le monde surnomme "AOC" l'a emporté face républicain John Cummings avec 68,8% des voix contre 30,6%.

Leur duel a été l'un des plus couteux du scrutin national : grâce à l'aide de républicains de tout le pays, l'ancien policier sexagénaire avait réuni plus de 10 millions de dollars pour reprendre la 14e circonscription new-yorkaise, couvrant une partie du Queens et du Bronx où habite la jeune femme aux origines portoricaines. Mais l'élue de 31 ans l'a devancé, forte de plus de 17 millions de dollars récoltés. 

Alexandria Ocasio-Cortez

Alexandria Ocasio-Cortez entourée de son équipe et de bénévoles qui l'ont aidée à faire campagne, le 3 novembre 2020, devant ses bureaux du Bronx borough, à New York. 

©AP Photo/Kathy Willens

En 2018, déjà, la benjamine du Congrès avait causé la surprise en évinçant aux primaires un ténor démocrate. En 2020, elle s'impose comme une vedette de la Chambre des représentants. Incarnation d'une aile gauche du parti démocrate en pleine ascension, elle bouscule aussi la cheffe de file des démocrates, Nancy Pelosi, mais surtout, les conservateurs. Au point qu'elle et la "bande" qu'elle forme avec Ayanna Pressley du Massachusetts, Ilhan Omar du Minnesota et Rashida Tlaib du Michigan - surnommées par les républicains The Squad ou "AOC +3 - sont l'une des cibles préférées de Donald Trump - l'incarnation parfaite de la dérive "gauchiste" du parti démocrate.

Toutes trois ont été réélues facilement dans leurs circonscriptions respectives. "Avec mes consoeurs, nous sommes résistantes", s'est félicitée Ilhan Omar. "Je crois en notre pouvoir. Et nous ne faisons que commencer", affirme pour sa part Ayanna Pressley, prête à jouer les trublions au Congrès.

"Me battre pour les familles des classes ouvrières au Congrès est un honneur, un privilège et la responsabilité de ma vie... Merci de m'avoir réélue malgré les millions dépensés contre nous," tweete Alexandria Ocasio-Cortez, qui compte près de 10 millions d'abonnés sur ce media social.

AOC se bat aussi contre le sexisme ordinaire au Congrès des Etats-Unis : "Traitée de fucking bitch ("putain de salope") par le républicain Ted Yoho, elle ripostait avec un discours qui a fait date : "Nous avons toutes dû faire face à cette situation d'une manière ou d'une autre à un moment donné de notre vie", déclarait cette ancienne serveuse. "J'ai jeté des bars des hommes qui utilisaient le même vocabulaire que Ted Yoho et j'ai rencontré ce genre de harcèlement dans le métro de New York", se souvient-elle.

La popularité de la jeune femme est telle que certains la voient promise à une brillante carrière - gouverneure de New York, sénatrice, future candidate à la présidentielle ? En 2024, prochaine échéance présidentielle, cette fan de Bernie Sanders aura atteint l'âge légal de 35 ans pour se présenter. En attendant, elle continue à dynamiser les rangs de la gauche radicale au Congrès, galvanivée par l'arrivée trois nouveaux élus démocrates new-yorkais, eux aussi issus de l'aile gauche démocrate et prêts à bousculer les habitudes : Ritchie Torres, 32 ans, et Mondaire Jones, 33 ans, premiers représentants noirs et ouvertement homosexuels, et Jamaal Bowman, 44 ans, ancien proviseur et néophyte en politique.