Elections de mi-mandat aux Etats-Unis : défaite de Kari Lake, égérie des républicains trumpistes

Trump en jupons et dangereuse hypocrite pour les uns, authentique et salut de l'Amérique pour les autres... L'ancienne journaliste se présentait comme favorite pour devenir gouverneure de l'Arizona, après une ascension telle que certains la voient déjà vice-présidente de Donald Trump en 2024. Sa défaite est un cinglant revers pour les républicains MAGA.
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Kari Lake
Kari Lake, candidate républicaine au mandat de gouverneure de l'Arizona, lors d'un rassemblement électoral, le 9 octobre 2022, à Mesa, aux Etats-Unis.
 
©AP Photo/Matt York
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Elle martèle que Joe Biden est illégitime, promet de changer le système électoral et tape inlassablement sur les fake news : Kari Lake, candidate républicaine au poste de gouverneure en Arizona, Etat clé du sud-ouest des Etats-Unis, s'est imposée comme lieutenante revendiquée de Donald Trump durant la campagne des élections de mi-mandat qui se tiennent le 8 novembre 2022.

Trump et Lake
Accolade entre l'ancien président Donald Trump et Kari Lake, le 22 juillet 2022, à Prescott, en Arizona, aux Etats-Unis.
©AP Photo/Ross D. Franklin

A l'issue d'une compétition serrée et tendue, il s'avère que Kari Lake a échoué à s'emparer du siège de gouverneure de l'Arizona. C'est un nouveau revers très remarqué pour Donald Trump, candidat à la présidentielle de 2024.

C'est la démocrate Katie Hobbs qui l'a emporté sur le fil face à cette figure emblématique du trumpisme. Or Kari Lake, qui continue à clamer que l'élection présidentielle de 2020 a été volée à Donald Trump, avait refusé d'indiquer clairement qu'elle accepterait le résultat de son propre scrutin. Pour toute réaction, la candidate malheureuse a tweeté : "Les habitants de l'Arizona savent quand on les arnaque".

L'ancien président a de son côté immédiatement dénoncé la validité du scrutin sur son réseau Truth Social. "Ouah! Ils viennent de voler l'élection à Kari Lake. C'est vraiment grave!"

La meilleure apprentie de Donald Trump

Comme l'ex-président américain, longtemps vedette de télé-réalité, Kari Lake vient de la télévision. Présentatrice du journal sur l'antenne locale de Fox News pendant vingt-deux ans, elle a présenté sa démission en mars 2021, expliquant qu'elle ne se sentait plus à sa place au milieu des "médias corrompus". 

Coupe courte impeccable et croix ostensiblement pendue autour du cou, cette mère de deux enfants, divorcée de son premier mari, cultive une image de rebelle touchée par la grâce, qui a abandonné les médias pour lutter pour l'âme de l'Amérique dans l'Arizona. "Je ne prends pas d'ordres des 'fake news'", raille la candidate de 53 ans, en pointant les journalistes qui couvraient sa campagne sous les quolibets. 

Arizona First

Depuis sa démission, Kari Lake a transformé sa notoriété audiovisuelle en capital politique. Loin des prompteurs, son discours était parfaitement rodé pour les élections de mi-mandat du 8 novembre 2022. "Nous nous rassemblons ici (...) pour nous assurer de reprendre notre pays", lançait-elle, dans une église évangélique pleine à craquer de Scottsdale, en banlieue de Phoenix. Immigration, criminalité, déclin, élection soi-disant truquée de 2020... Sous le slogan "Arizona First", cette ex-journaliste qui revendique le sobriquet de "Trump en jupon" dont l'a affublé la gauche, a repris tous les thèmes de son mentor et "ami".

De démocrate à coqueluche MAGA

Incessantes, ses saillies envers la presse sont systématiquement filmées par son mari, Jeff Halperin, chargé de les compiler sur les réseaux sociaux. Une stratégie qui la rend immensément populaire auprès de la base républicaine. 

"Elle a quitté une carrière de trente ans pour servir le peuple d'Arizona, c'est quelque chose", admire John Mendibles, 60 ans. Directeur d'une organisation d'anciens militaires, il se fiche des anciennes affinités démocrates de la candidate, qui a contribué financièrement aux campagnes de Barack Obama et John Kerry.

"Une fois que nous aurons sauvé l'Arizona, nous allons sauver l'Amérique", lançait Michelle Meglio, agente immobilière de 56 ans à Scottsdale, dans l'Arizona. Cette fervente admiratrice de la candidate républicaine au poste de gouverneure s'inquitait de "l'énorme crise à la frontière" dans cet Etat frontalier avec le Mexique, où les interpellations de migrants ont largement augmenté ces derniers mois.

"Elle est authentique", confiait Barbara Jo Glabman, une sexagénaire pro-avortement, qui a voté pour elle par courrier malgré l'opposition de l'ex-journaliste à l'IVG. "Je crois à tout ce qu'elle veut... Elle est contre l'éducation 'woke' dans les écoles, elle veut construire le mur" à la frontière avec le Mexique.

L'avortement en question : les référendums du 8/11/22

Ce 8 novembre 2022, les Américains sont appelés à élire sénateurs, représentants et gouverneurs, mais aussi à trancher par référendum des questions variées, allant du port d'arme aux champignons hallucinogènes, en passant par l'avortement.

L'IVG est un sujet récurrent soumis à référendums, mais l'année 2022 est forcément particulière, depuis que, en juin, la Cour suprême a dynamité le droit fédéral à l'avortement, laissant la main aux Etats, qui, pour beaucoup, l'ont interdit.

Six référendums liés à l'avortement sont organisés cette année, un record, selon le site Ballotpedia. L'un d'entre eux a déjà eu lieu : en août, le Kansas a conforté l'accès à l'IVG. En Californie, dans le Michigan et dans le Vermont, les mesures proposées permettraient d'inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution de l'Etat.

A l'inverse, dans le Kentucky, l'initiative a pour but de préciser qu'il n'est pas protégé par ce texte. Enfin, le Montana décidera si un foetus "né vivant" doit être légalement considéré comme une personne "quel que soit son stade de développement" et doit recevoir des soins médicaux pour le sauver y compris "après une tentative d'avortement", une mesure très critiquée par les professionnels de santé.

Notre dossier ► DROIT DES FEMMES À L'AVORTEMENT AUX ETATS-UNIS : UNE AFFAIRE PUBLIQUE

Le nouveau visage du trumpisme

Kari Lake est "le nouveau visage des républicains MAGA", la mouvance Make America Great Again de Donald Trump, résume Gina Woodall, politologue à l'université d'Etat d'Arizona. Cette fille d'enseignant et d'infirmière, benjamine d'une fratrie de neuf enfants élevée dans l'Iowa rural, "assoit le trumpisme comme mouvement dominant... Elle le fait passer pour moins extrême grâce à sa manière de parler". Ainsi, c'est d'une voix suave, mais ferme, que l'ex-présentatrice anti-masques assure sans ciller que le vaccin contre le Covid-19 est une "piqûre expérimentale".

Kari Lake promet de "se débarrasser des failles permettant de tricher" lors des élections : selon les sondages, environ deux tiers des électeurs républicains pensent toujours que la présidentielle de 2020 a été truquée, malgré les multiples audits et recomptages qui ont validé les résultats. En août 2022, elle qualifiait encore Joe Biden, qui a remporté la présidentielle d'à peine 10 000 voix en Arizona, d'"idiot illégitime à la Maison Blanche" dans un entretien au New York Times. Elle assure qu'en tant que gouverneure, elle n'aurait pas certifié son élection. Sa radicalité lui vaut d'être qualifiée de "menace pour la démocratie" par une large partie de la presse américaine, qui l'imagine déjà comme possible vice-présidente de Donald Trump en 2024. 

Relooking républicain

En Arizona, son ancien entourage reste encore stupéfait par sa fervente conversion. "C'est du théâtre politique... Kari Lake, la guerrière chrétienne, c'est un relooking", veut croire Richard Stevens, un drag queen de la ville de Phoenix qui l'a côtoyée pendant plus de vingt ans. Connu sous le nom de scène Barbra Seville, le quadragénaire a publié des photos cet été pour révéler leur amitié, après un tweet anti-LGBT de la candidate, qu'il dénonce comme une "dangereuse hypocrite".

Le 23 août dernier, Richard Stevens souhaitait un joyeux anniversaire à une "présentatrice ratée, piètre amie, opportuniste politique..." 

2018 : le revirement

"J'ignore si elle croit vraiment que Trump a gagné l'élection (de 2020), ou bien si c'est juste une posture pour devenir gouverneure... Cela reste un mystère pour moi", glisse Steve Krafft, ex-reporter politique de Fox 10, qui a travaillé avec elle durant l'essentiel de sa carrière. Parti de la chaîne en 2019, il se souvient d'une "fan de Barack Obama" qui affichait en coulisses des opinions "de centre gauche" et maintenait une présence assidue sur les réseaux sociaux. Avant de multiplier les publications incendiaires à partir de 2018, lorsqu'elle a notamment accusé les professeurs grévistes d'Arizona de vouloir contribuer à légaliser le cannabis. "C'est à ce moment-là qu'elle a commencé à se plaindre de notre couverture 'trop dure' des républicains", retrace-t-il.

La nouvelle Kari Lake se montre elle peu encline à l'introspection. "Beaucoup de gens ont changé d'opinions, et 10 millions d'électeurs d'Obama ont voté pour le président Trump", rétorque-t-elle. Comme son mentor, elle a prféré faire campagne en ridiculisant son opposante démocrate Katie Hobbs, "trop lâche" pour débattre avec elle et qui lui offrait, pensait-elle, un boulevard pour conquérir l'Arizona : donnée perdante tout l'été, la républicaine avait rattrapé son retard et menait d'une courte tête à la veille du scrutin, selon l'agrégateur de sondages FiveThirtyEight

Près d'une semaine après la tenue des votes, tous les résultats des élections de mi-mandat ne sont pas encore connus, mais pour Kari Lake, la défaite se confirme, et c'est la démocrate Katie Hobbst qui s'impose comme future gouverneure de l'Arizona.