Back to top
Le pire est sans doute dans cette apathie : le cyberharcèlement contre les femmes politiques est devenu tellement banal et massif que certaines ne s'en aperçoivent même plus et refusent d'en parler. C'est un article du New York Times qui tire, une nouvelle fois, la sonnette d'alarme : "Pour les candidates, le harcèlement et les menaces, c'est tous les jours". Le fléau se répand en particulier contre celles qui sont issues d'une minorité "ethnique" ou "sexuelle", juives, noires, musulmanes, hispaniques, autochtones, homosexuelles, queers...
Le scrutin du 6 novembre 2018 a fait émerger un afflux massif de candidatures féminines, dont nombre d'Africaines-Américaines. Selon le Center for American Women and Politics de l'Université Rutgers (une vraie mine d'informations ce site de l’Université d’Etat du New Jersey pour comprendre les midterms de novembre 2018 par le biais du genre), un nombre record de femmes se présentent aux élections de mi-mandat - Sénat, Chambre des représentants, ou briguent le mandat de gouverneure, tandis que beaucoup visent les fonctions électives locales. Les chercheur.es ont mis au jour cette constatation sinistre en parallèle : le harcèlement et les menaces, en particulier via Internet, déjà courants contre les femmes, sont encore amplifiés à l’occasion des élections - surtout si la candidate est membre d'un groupe minoritaire.
I'm proud to be a woman, to run for office, to share with @NYTimes about that experience. I'm not proud of the response to female/minority candidates. "I didn’t see the sexist comments or remarks as out of the ordinary…which in and of itself is an issue." https://t.co/wfMkygoU6K pic.twitter.com/zFC2Gl7JnB
— Erin Schrode (@ErinSchrode) 24 août 2018
Tu ne sais pas si c'est quelqu'un assis dans le sous-sol de sa mère en Floride ou si c'est un suprémaciste blanc qui te déteste et qui vit à côté de toi
Kim Weaver, ex candidate dans l'Iowa
Kim Weaver, 53 ans, a été plongée dans le même enfer sexiste et antisémite en 2017 lorsqu'elle a affronté dans l'Iowa l'élu républicain de la Chambre des représentants Steve King. Une nuit, quelqu'un s'est glissé dans sa propriété et a mis une pancarte "à vendre". Le site néonazi The Daily Stormer a publié un article (retiré de l'Internet depuis) intitulé "Meet the Whore Who's Running Against Steve King" ("A la rencontre de la putain qui s'oppose à Steve King"), ce qui lui a valu une nouvelle déferlante d'intimidations. Une de ses relations au sein du gouvernement allemand l'a même appelée pour l'avertir d'une conversation menaçante sur un forum de discussion extrémiste et lui demander si elle disposait d'une sécurité rapprochée.
"Normalement, je suis une personne assez courageuse, mais quand vous avez l'impression d'être dans un aquarium et que vous ne savez pas qui vous jette des pierres, c'est déconcertant. Tu ne sais pas si c'est quelqu'un assis dans le sous-sol de sa mère en Floride ou si c'est un suprémaciste blanc qui te déteste et qui vit à un pâté de maisons." a expliqué cette communicante au New York Times pour justifier sa défection.
DEEDRA ABBOUD isnt the first example of a political candidate being intimidated online
— Red T Raccoon (@RedTRaccoon) 19 juillet 2017
Remember KIM WEAVER in Iowa#ProtectCandidates pic.twitter.com/vfydz6WX6k
Hi, people with piercings: where do you get good-quality earrings made from titanium or implant-grade metal? I got my ears pierced in May, and I haven't changed out my piercings. I'm scared to go with cheap costume jewelry bc my skin is sensitive to all the things.
— Emily Ellsworth (@editoremilye) 25 août 2018
This Labor Day I’m in the workshop bc I have bills to pay and sometimes work and orders can’t wait. I know a lot of hardworking people in our community can relate. Thank youall for the hard work you put in throughout the year and have a happy, well-deserved Labor Day! pic.twitter.com/LDd4kDBAt2
— Morgan Zegers (@morganzegers) 3 septembre 2018
Être une femme noire et exister, dans certains cas, cela est suffisant pour énerver les gens.
Mya Whitaker, candidate démocrate à Oakland
Ce que subissent ces jeunes Républicaines reste très modeste, même si on ne doit pas le passer sous silence. Serait-ce parce qu'elles sont blanches et qu'elles affectionnent la musique Country et le monde de l'entreprise ? "Cela devient tellement normalisé, ce genre de choses que les gens disent à notre égard, commente avec lassitude Mya Whitaker, 27 ans, une jeune démocrate africaine-américaine qui se présente aux élections municipales d'Oakland, en Californie. "Être une femme noire et exister, dans certains cas, cela est suffisant pour énerver les gens."
"There's no parks, no grocery stores, there's nothing for us here to raise our children." Said District 6 candidate Mya Whitaker. A 27 year old mother and foster youth counselor for Alameda county. Whitaker said District 6 is massively under resources and the fight to bring more pic.twitter.com/NxVmaOTIu8
— Mya Whitaker (@whitfordist6) 3 septembre 2018
Mais il y a un autre risque, beaucoup plus pervers : c'est lorsque le harcèlement devient si vicieux et constant qu'il annihile toute capacité à réagir. Brianna Wu, autrefois développeuse de jeux vidéos, un univers ultra masculin, sait de quoi le sexisme en ligne est le nom, elle en a été une cible de choix lors du #Gamergate ce grand déballage impulsé en 2014 par des fans de jeux vidéo qui sous couvert de liberté d'expression ont déversé leur horreur des femmes ou des homosexuels.
Je sais que je devrais avoir peur, être en colère ou stressée. Mais voilà c'est à un point où je ne ressens plus rien.
Brianna Wu, candidate démocrate au Congrès
Aujourd'hui engagée aux côtés des Démocrates, elle a délaissé l'univers du jeu (mais la politique est-ce si différent?) et elle brigue le siège du 8ème district du Massachusetts au Congrès. Brianna Wu avoue au New York Times que les menaces de mort et de viol sont si courantes qu'elles la laissent désormais de marbre. Même quand les gens jettent des objets contre sa fenêtre. Même quand ils vandalisent la voiture de son mari. Même quand ils lui ont envoyé des photos prises à la dérobée dans sa propre maison. "Je sais que je devrais ressentir quelque chose. Je sais que je devrais avoir peur, être en colère ou stressée. Mais voilà c'est à un point où je ne ressens plus rien. C'est presque comme si la peur était un muscle tellement sollicité qu'il en est paralysé."
Et pourtant les discriminations en tout genre sont aussi au coeur de sa campagne parce que "Les femmes qui tentent de vaincre le sexisme sont étiquetées 'activistes'. Les personnes de couleur qui tentent de vaincre le racisme sont étiquetées 'activistes'. Les personnes handicapées qui tentent de vaincre le handicap sont étiquetées 'activistes'."
Agree. And, they do this to everyone.
— Brianna Wu (@Spacekatgal) 30 août 2018
Women trying to overcome sexism get labeled “activists.”
People of color trying to overcome racism get labeled “activists.”
Disabled people trying to overcome ableism get labeled “activists.”
We could do this all day. https://t.co/xpUSycVjAL
Brianna Wu et d'autres ont donc décidé d'opposer un silence méprisant à leurs détracteurs. Au grand dam d'autres candidates comme Erin Schrode citée plus haut, ou du Women's Media Center qui en 2017 a demandé à des politiciennes américaines chevronnées (dont la formidable texane Wendy Davis) de raconter leurs expériences de harcèlement. Le résultat est une vidéo décapante, accompagnée du mot dièse #NameItChangeIt (NommeLeChangeLe)... L'une après l'autre elles rappellent les mots abominables qui ont accompagné, et accompagnent encore, leur carrière : "Barbie avorteuse", "tueuse de bébés", "on ne veut même pas entendre votre voix", "ce sont des femmes comme vous qui me donnent des envies de viol et de meurtre", etc, etc...
The moment when @AyannaPressley learned she won. No commentary needed. #ChangeCantWait #mapoli #ma7 #electwomen #electionday pic.twitter.com/SLLlQTI1Sj
— Jesse Mermell (@jessemermell) 5 septembre 2018