Elections en Algérie : qui prend les candidates pour des "fraises" ?

Candidates fantômes ou "fraises bien sélectionnées" ? En Algérie, si des lois ont permis aux femmes d'être plus représentées en politique et de faire match égal (du moins sur le papier) sur les listes électorales, elles restent, une fois élues, stigmatisées dans les processus décisionnels locaux et nationaux. Quand elles ne sont pas la cible de propos sexistes... 
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Algérie manif femmes
©AP Photo/Fateh Guidoum
24 millions d'électeur-trice-s sont attendu-e-s aux urnes le 12 juin 2021, la loi impose aux partis politiques de présenter des listes électorales composées à moitié d'hommes et à moitié de femmes. Le 8 mars 2021, les femmes défilent dans les rues d'Alger pour réclamer plus d'égalité. 
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elections algérie rue
©AP Photo/Toufik Doudou
Combien de femmes seront élues députées lors des législatives anticipées en Algérie, dimanche 12 juin 2021 ? Malgré des lois plus inclusives, leur marge de manoeuvre et pouvoir de décision restent limités sur le terrain politique. 
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Selon une récente enquête, 72% des Algérien-ne-s pensent (encore...) que les hommes font de meilleurs dirigeants politiques. Ceci expliquant sans doute cela. Propos sexistes et visages de candidates floutés sur des panneaux électoraux sont venus, hélas, animer une campagne électorale plutôt morne dans cette ère post-Bouteflika. 

panneau algérie
Panneau d'affichage électoral de Bordj Bou Arreridj, dans le centre de l'Algérie, plusieurs candidates aux législatives ont le visage flouté sur leur photo. 
©capture ecran

C'est notamment dans le centre du pays, comme par exemple dans la commune d'El Menia, ou encore à Bordj Bou Arreridj, en région kabyle, que ces affiches étranges ont (ré)apparu sur les murs, gâchant quelque peu l'image d'égalité défendue par la loi imposant la parité parfaite sur les listes électorales. N'y sont reconnaissables que les visages des candidats masculins, alors que ceux des candidates sont floutés. "Des candidates fantômes", une pratique rétrograde vivement critiquée sur les réseaux sociaux, mais aussi par certain-e-s habitant-e-s. "Si ces femmes sont candidates, pourquoi se cachent-elles ? Est-ce que ces femmes, si elles sont élues, vont pouvoir rester cachées ? Elles vont aller au Parlement, elles seront sous les projecteurs, et pour que les gens aient confiance, il faut qu'elles se montrent" s'insurge une habitante de Bordj Bou Arreridj devant un panneau électoral. Cette pratique avait déjà créé la polémique en 2017 ; plusieurs listes avaient été épinglées. 

Voilà pour l'affichage, mais il y a aussi des mots. Comme ceux prononcés par le président du Front de la bonne gouvernance, Aïssa Belhadi : "Nos beautés sont des médecins, des ingénieurs, des mariées, des directrices… Nous vous avons ramené des fraises, mais sélectionnées, pas celles destinées à l’Afrique du Sud. Nous avons réuni des compétences et des élites, conformément à l’objectif de notre parti, qui est de distinguer les élites populaires", a-t-il lancé en parlant des candidates de sa formation lors d'un meeting fin mai. Applaudissements de la salle, l'histoire ne précise pas si des femmes étaient présentes... 

Et comme si cela ne suffisait pas, voici que le même leader politique en remet une couche en affirmant être passé d'un Parlement de "coiffeuses" à une Assemblée de "fraises". 

Ces propos ont enflammé la toile en Algérie, où de nombreux internautes ont exprimé leur colère, qualifiant ce genre de discours de dérive misogyne, et la déclaration elle-même d'irrespectueuse à l’égard les femmes, s'amusant à ajouter des photos de fraises dans leurs posts. 

Si j’étais candidate au sein d'un parti dont le président tient de tels propos, j’aurais certainement quitté ce parti.
Fatima Zohra Zerouati, présidente du parti TAJ

Quelques représentant-e-s politiques ont pris la parole dans les médias pour dénoncer ces déclarations. "Si j’étais candidate au sein d'un parti dont le président tient de tels propos, j’aurais certainement quitté ce parti", a réagi la patronne du parti TAJ (Le Rassemblement de l'espoir pour l'Algérie), Fatima Zohra Zerouati, lors d’une émission radio de la chaine 3, ajoutant : "Nous sommes là pour parler des programmes et non pas des sexes. En principe, on est ici pour partager des idées et faire murir un projet de société". 

Des politiques inclusives insuffisantes ?

Ces deux controverses ont ravivé le débat sur la place des femmes au sein de l'Assemblée populaire nationale (APN) : largement plus présentes grâce à plusieurs lois, elles restent néammoins bien moins visibles que leurs collègues masculins. Les Algériennes bénéficient pourtant d'un cadre juridique favorable permettant leur inclusion au sein des assemblées élues. En 2008, la révision constitutionnelle a permis de reconnaître leurs droits politiques et la loi adoptée en 2012 a instauré des quotas de représentativité allant de 30% à 40% selon les circonscriptions électorales. 

Entrée en vigueur en mars 2021, une nouvelle loi portant sur le régime électoral impose 50% de femmes sur les listes des scrutins législatifs ou locaux. Un bémol, cependant, et pas des moindres, cette législation ne garantit pas pour autant une plus large présence féminine dans la prochaine assemblée car elle supprime les quotas obligatoires de femmes députées.

Des mesures qui avaient fait considérablement augmenter le nombre d'élues : de 7,7% des sièges de l'APN en 2007 (29 femmes) à 31,6% en 2012 (146 femmes sur 462 élus). En 2017 néammoins, on observe un recul de près de 6% avec 25,8% des sièges attribués à des femmes.

Le pouvoir algérien est masculin et exclusif. Il allie logique autoritaire et instruments démocratiques.
Louisa Dris Aït Hamadouche, chercheuse 

Pour la chercheuse Louisa Dris Aït Hamadouche, cette inclusion apparente des femmes est "sélective". Elles "obtiennent de plus en plus de droits en politique, mais restent absentes des postes de prise de décision" au sein des instances dirigeantes des partis ou de l'exécutif, par exemple, écrivait-elle en 2016 dans la revue algérienne d'anthropologie et de sciences sociales Insaniyat. Selon elle, le pouvoir algérien "est masculin et exclusif. (...) Il allie logique autoritaire et instruments démocratiques" et puise dans "les revendications des femmes pour combler un déficit démocratique", expliquait-elle encore.

algériennes manif
Les femmes, les étudiantes, en tête des cortèges lors du mouvement de contestation réclamant le départ d'Abdelaziz Bouteflika, comme ici à Alger, la capitale, le 9 avril 2019.
©AP Photo/Mosa'ab Elshamy

36 ministres dont 6 femmes

Selon une étude du Programme des Nations unies pour le développement réalisée en 2018, "sur les 32 postes à responsabilité existant au sein de l'APN, seuls 6,3% étaient occupés par des femmes". 

"Suite aux élections de 2012, 146 femmes ont été élues à l’Assemblée populaire nationale, ces dernières occupant ainsi 31,6% des 462 sièges (soit une augmentation de 21%). L’Algérie devint le premier pays de la région Afrique du Nord – Moyen-Orient en termes de représentation des femmes dans les instances élues (et le 40ème au niveau mondial)", lit-on dans ce rapport. 

"Aucune disposition n’est prise pour garantir la participation effective des femmes aux assemblées élues, les électeurs pouvant voter pour les personnes de leur choix sur la liste (système de liste ouverte). Or, en l’absence de mécanismes réservant un nombre minimum de sièges aux femmes au sein des instances élues elles-mêmes, l’impact de cette loi risque d’être limité", regrettent les rapporteurs de cette étude. 

Autre constat négatif : aujourd'hui, aucune femme ne préside un des groupes parlementaires et les représentantes se concentrent surtout dans les commissions traitant "des thématiques traditionnellement assimilées aux préoccupations des femmes" comme les affaires sociales et culturelles, la santé et l'éducation. Sur les 36 postes que compte le gouvernement actuel, seuls six sont attribués à des femmes.

manif alger 1960
Les femmes ont pris une part importante à la manifestation du 11 décembre 1960 à Alger, un an et demi avant l'indépendance de l'Algérie.
©Revue Naqd, animée notamment par Daho Djerbal, avec leur aimable autorisation
L'avocate et militante Nadia Aït Zai se félicite de la parité visible sur les listes des législatives de 2021, mais rappelle que cela ne garantit pas une parité dans les résultats. Les élues n'ont pas su porter les revendications en faveur des droits des femmes, regrette la présidente de la Fondation pour l'égalité.
 
Nous n'avons pas vu les femmes présentes à l'APN émerger ou se rendre visibles par des positions en faveur de l'égalité, de la justice. Elles se sont fondues dans la masse.
Nadia Aït Zai, présidente de la Fondation pour l'égalité

"Nous n'avons pas vu les femmes présentes à l'APN émerger ou se rendre visibles par des positions en faveur de l'égalité, de la justice. Elles se sont fondues dans la masse", affirme-t-elle. Or il est nécessaire de "sensibiliser à l'intérieur du Parlement à la question du genre pour qu'on tienne compte de la place des femmes dans les lois qui sont élaborées. Il faut créer des passerelles pour arracher de petites choses", insiste la militante. 

Quelque 24 millions d'électeur-trice-s sont appelé-e-s à élire les 407 nouveaux députés de l'Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse du Parlement) pour un mandat de cinq ans. Le principal enjeu de ce scrutin sera la participation, puisqu'il est rejeté par une partie de l'opposition et le mouvement contestataire du Hirak. Au total sont en lice près 13 000 candidat-e-s inscrit-e-s sur près de 1500 listes, dont plus de la moitié s'affichent comme "indépendantes".