Le prochain Parlement européen sera-t-il plus féminin ? Au cours de la dernière législature, les députées étaient encore minoritaires, avec 36%. Ce scrutin va-t-il faire bouger les lignes sur la question des droits des femmes ? Durant la campagne, cette question est restée bien (trop) peu abordée, aussi bien dans les débats que dans les programmes des principales listes. Alors que les Européen.ne.s commencent à voter pour renouveler leur Parlement, petit tour d'horizon.
Un tiers / deux tiers. Le premier est féminin, les deux autres, masculins. Même si la situation s'est grandement améliorée en quarante ans, les sièges du
Parlement européen ne sont occupés qu’à 35,9 % par des femmes. Sur la législature 2014-2019, elles sont 273 eurodéputées sur les 751 membres que compte l’hémicycle européen.
L’UE n’impose pas la parité aux pays membres, qui organisent selon leurs propres règles les élections européennes. Et la faible représentation des femmes s’explique en partie par de grandes disparités entre pays du nord et du sud. Seuls huit membres sur vingt-sept ont mis en place des quotas de candidates. Premier pays à le faire en 2002 : la Belgique, suivie par la France en 2003. Toutes deux ont instauré la parité au sein des listes. L’Espagne, la Slovénie et la Croatie imposent qu’il y ait au moins 40% de femmes, 35% pour la Pologne, 32% pour le Portugal et enfin la Roumanie, elle, impose simplement qu’aucune liste ne doit être à 100% masculine.
Résultat : une situation très variable selon les États membres. Dans certains pays, les élues au Parlement européen sont nombreuses et même largement majoritaires comme en Finlande (76,9 %), en Croatie ou en Irlande (54,5 % chacun), alors qu’elles ne représentent qu’une minorité en Bulgarie (17,6 %), comme en Estonie et à Chypre (16,7 % chacun). La France compte 43,2 % d’eurodéputées, derrière l’Espagne (48,1 % de députées femmes), la Suède et Malte (50 %).
De 1952 jusqu’aux premières élections, en 1979, seulement 31 femmes ont été députées. En 1979, après les premières élections au suffrage universel direct, elles étaient 15,2 % au Parlement. Depuis, le pourcentage de femmes au Parlement européen n'a fait que progresser.
Un satisfecit au bénéfice du Parlement européen : la représentation des femmes y est supérieure à la moyenne mondiale et à la moyenne européenne des parlements nationaux. Le site du Parlement européen nous apprend que le nombre de femmes occupant des poste à haut niveau est également en augmentation. Au cours du mandat actuel, 5 des 14 vice-présidents et 11 des 23 présidents de commission sont des femmes.
Des femmes têtes de liste, et ?
Lutte contre les violences conjugales, égalité salariale, accès à l’emploi, parité en politique, congé parental, retraite, IVG ... Autant de sujets qui n'apparaissent guère en tête des priorités des principaux et principales candidat.e.s. L'égalité femmes-hommes est pourtant une priorité de l'Union européenne : c'est même l'une des valeurs fondamentales inscrites dans le traité de Rome de 1957. Plusieurs chartes ont rappelé l'engagement des États membres pour une plus grande égalité, et le Parlement européen est doté d'une commission permanente dédiée à la question. Engagement de principe car beaucoup reste à faire : la directive de 1975 interdisant la discrimination salariale n'est que peu voire pas du tout appliquée.
En France, sur les listes les plus connues, seules trois femmes mènent campagne, Nathalie Loiseau (LREM-MoDem-Agir), Manon Aubry (LFI) et Nathalie Arthaud (LO). Parmi les listes dites "petites": l'unique liste se présentant comme féministe baptisée
A voix égales est menée par l'avocate Nathalie Tomasini.
"Je pense que l'échelon des Européennes est une échelon électoral intéressant, parce qu’il y a des pays européens qui sont en avance sur le terrain de l’égalité femmes-hommes et sur les mesures de lutte contre les violences faites aux femmes. Par ailleurs, je pense que l’Europe doit être un modèle pour le reste des pays", déclare-t-elle
sur Europe 1.
Nathalie Tomasini est peut-être une inconnue sur la scène politique mais pas sur la scène judiciaire et médiatique. Elle a été l'avocate de Jacqueline Sauvage.
C'est donc sans surprise que la lutte contre les violences conjugales concentre le coeur de sa campagne. Selon elle, l'exemple de l'Espagne qui a mis en place un système de bracelet électronique pour les hommes violents est une expérience à appliquer en France,
"Si on propose le même système en France, cela va être beaucoup plus comminatoire. Un bracelet, ça veut dire que si l’homme sort du périmètre cela va sonner dans tous les commissariats qui seront alertés. En France, le problème est qu’on ne parle que des féminicides, c’est à dire quand les femmes sont tuées. Il faudrait peut-être réfléchir en amont s’il ne vaut pas mieux mettre ces hommes sous bracelet électronique voire en détention provisoire jusqu’à leur jugement pour éviter qu’ils ne tuent leur compagne", interrogée sur Europe 1.
Pour elle,
"La France est une mauvaise élève en Europe en ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes. Une femme meurt tous les 2 jours en France en 2019, c’est plus qu’en 2018. Et en Europe, ce sont 7 femmes par jour qui meurent sous les coups de leur compagnon violent".
Toujours en France,
Yes Women, une association fondée par Violaine Lucas, candidate sur la liste
Envie d'Europe, menée par Raphaël Glucksmann (rassemblant
Place Publique, le
Parti socialiste,
le Parti radical de gauche et
Nouvelle Donne) a repris le projet de la clause de l'Européenne la plus favorisée, un projet initié en 2006 par Choisir la cause des femmes (association créée en 1971 par l'avocate Gisèle Halimi et la philosophe Simone de Beauvoir).
Du côté du parti présidentiel, LREM, on défend le même principe sous un autre nom : "le pacte Simone Veil", détaillé par Nathalie Loiseau, tête de liste et Marlène Schiappa dans une
tribune publiée dans le JDD. Un principe qu’elles souhaitent également porter, dans le cadre du G7, au-delà des frontières de l’Europe.
Lire notre article ici >
L'égalité femmes-hommes, grande cause mondiale : le prochain G7 sera-t-il féministe ?
Plus original, et loin d'être anecdotique, le projet défendu par le parti de la jeunesse, Allons enfants, dont tous les membres ont moins de 30 ans. La tête de liste s'appelle Sophie Caillaud, elle a 22 ans. Outre un axe pro-environnemental, ce tout "jeune" parti entend inclure la lutte contre la précarité menstruelle et les inégalités salariales entre les femmes et les hommes parmi ses priorités, avec comme proposition concrète, la mise à disposition gratuite de protections hygiéniques gratuites dans tous les établissements scolaires, administrations mais aussi dans les entreprises.
L'IVG au coeur du débat européen ?
Martine Storti, militante féministe, avait été à l'origine avec d'autres féministes françaises, Caroline De Haas et Marie Cervetti et le soutien de Françoise Héritier de
Féministes pour une Europe Solidaire, lors des précédentes élections européennes de 2014. La liste avait recueilli quelque 30 000 voix.
L'avancée des populismes et la menace pesant sur les démocraties ont été au coeur de la campagne, mais elles concernent bien-sûr les droits des femmes.
Martine Storti
Cinq ans après ... Rien n'a changé ?
"Ce n'est pas parce qu'il y a une femme tête de liste qu'elle est féministe ! La question des femmes est complètement passée à la trappe dans cette campagne. Les droits des femmes vus comme une question de politique générale a encore bien du mal à avancer, c'est bien le problème. Et pourtant, ce qui change pour les femmes, change pour tout le monde, comme la question de l'avortement, ce ne sont pas que les femmes qui sont concernées, mais toute la société. C'est ça l'universalisation, et ça ne se dit pas du tout dans cette campagne. L'avancée des populismes et la menace pesant sur les démocraties ont été au coeur de la campagne, mais elles concernent bien-sûr les droits des femmes, justement sur le droit à l'IVG, menacé en Pologne, ou en Hongrie, ce sont des questions qui concernent tous les Européens. A ma connaissance, il n'y a toujours pas de loi fondamentale européenne garantissant le droit à l'avortement. En tant que femme, on n'a pas intérêt à ce que l'extrême droite l'emporte, que ce soit en France ou ailleurs en Europe. Et j'aimerais dire aussi que lorsqu'on est féministe, on ne peut être que pro-européenne !"Au sein de l’Union Européenne, les lois concernant l’IVG sont relativement différentes les unes des autres. Le délai limite pour avorter n’est pas le même chez tout le monde. En France, il correspond à 14 semaines après le début des dernières règles, 18 semaines en Suède, et 24 semaines aux Pays-Bas. Dans plusieurs pays de l’UE avorter reste hors la loi : c’est le cas en Pologne, à Malte et Chypre. En Italie, l’IVG est légale mais une grosse partie des médecins (70% selon de récentes enquêtes, ndlr) refusent de la pratiquer au nom de l'objection de conscience. Seul point positif récente : le vote en Irlande d'une loi en décembre 2018 autorisant l'IVG, mais le phénomène émergent dans tous les pays de l’Europe est l’avancée des mouvements "pro-vie" qui luttent, violemment parfois, contre le droit l’IVG.
Aujourd'hui, la question du genre est un critère, on cherche des femmes, on liste les femmes qui sont connues et potentiellement candidates.
Amandine Crespy, professeure à l'ULB, Bruxelles
"Avec le vote légalisant l'avortement en Irlande, on a tout de même assisté à une évolution qui est entérinée par le politique et par un vote populaire, donc il n'y a pas d'ambiguïté, en revanche on peut voir que dans des pays qui sont dans des processus de déconsolidation démocratique ou démocratisation comme on peut le dire en sciences-politiques, dans le centre et l'est de l'Europe, l'avortement est remis en question", explique Amandine Crespy, professeure à l'Université Libre de Belgique et chercheure au CEVIPOL (institut d'études européennes).
"Il y a aussi des inquiétudes sur la situation en Italie. On sait qu'il y a un taux très important de médecins qui refusent de pratiquer l'avortement en dépit du cadre législatif". Selon elle, s'il y a eu des débats de fond sur l'IVG, et aussi de manière plus large sur la place des femmes dans les instances, ils ne sont pas vraiment devenus des thèmes de campagne.
"La représentation des femmes en politique, c'est un sujet en soi - estime Amandine Crespy
- ce n'est pas nécéssairement parce que les femmes vont faire de la politique autrement ou porter d'autres sujets qu'il y a forcément un écho automatique entre l'avancement de la cause des femmes et leur taux de représentation dans les instances politiques. Par principe, c'est normal qu'on aille vers plus d'égalité des genres dans toutes les représentations. Concernant les hauts postes européens, c'est devenu un facteur, ce qui n'était pas le cas avant. Aujourd'hui, la question du genre est un critère, on cherche des femmes, on liste les femmes qui sont connues et potentiellement candidates".
Les féministes interpellent les politiques
Rassemblées dans un collectif baptisé "
Avortement en Europe, les femmes décident !", des militantes féministes françaises ont décidé d'interpeller les candidats à quelques jours du scrutin, afin que le droit à l’avortement et à la santé sexuelle soient respectés dans tous les pays européens et inscrits comme droits fondamentaux pour l’égalité en Europe.
Les militantes demandent aussi aux Etats membres d'établir des règles communes concernant les sanctions au délit d'entrave physique ou numérique, les délais légaux pour avorter, la suppression des clauses de conscience spécifique à l’avortement pour les professionnels de santé. En France, le délit d’entrave, introduit en 1993 dans le code de santé publique, sanctionne de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende toute personne qui tente d’empêcher une IVG en perturbant l’accès aux établissements la pratiquant, ou en exerçant des "pressions morales et psychologiques, des menaces ou actes d’intimidation" à l’encontre du personnel de ces établissements ou des femmes venant avorter. Un délit d'entrave régulièrement contourné par les sites pro-vie qui mènent campagne contre l'IVG sur internet, via les réseaux sociaux notamment.
Moins de 1 % des fonds structurels et d'investissement de l'UE sont consacrés à l'égalité femmes-hommes !
Gwendoline Lefebvre, pdte Lobby Européen des Femmes
Le Lobby Européen des Femmes, collectif dont le siège est basé à Bruxelles et qui rassemble plus de 2 000 organisations de femmes et féministes, a publié un
manifeste en vue des élections européennes 2019. "Au niveau de l'UE, il y a eu très peu d'avancées depuis 10 ans sur les droits des femmes. Moins de 1% des fonds structurels et d'investissement de l'UE sont consacrés à l'égalité femmes-hommes, comme le soulignait l'EIGE (European institute gender equality) qui a publié à l'automne 2017 un rapport intitulé 'l'Egalité mérite plus que 1%'. Cet institut disait que l'égalité avançait "à pas d'escargot". Au niveau de l'écart de salaire, on reste à un écart de 16% mais au niveau des pensions de retraite, on est à 40%, ce qui est incroyable !"
"On aimerait par exemple qu'il existe une directive européenne sur les violences faites aux femmes, ce qui n'existe pas actuellement. On aimerait que l'UE ratifie et mette en place la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre les violences conjugales, connue sous le nom de Convention d'Istanbul. Ce serait un geste fort de l'Union européenne. Mais cela apparaît compromis actuellement avec la montée des courants réactionnaires et conservateurs défendant la famille traditionnelle, sur les droits sexuels et reproductifs", ajoute Gwendoline Lefebvre.
"On regrette aussi que les progressistes ne s'intéressent pas plus à ces débats au sein de l'Europe alors que l'UE apporte justement plein de choses dans la vie de tous les jours. Lorsqu'une directive est votée, elle est mise en place dans les droits nationaux des pays et elle a un pouvoir contraignant. L'égalité des femmes et des hommes est inscrite dans le Traité de Lisbonne, ça devrait donc être au centre des discussions", conclut-elle.
Autant de constats et d'attentes qui assombrissent le tableau d'une Europe présentée comme un espace dans lequel les femmes étaient (jusqu'ici) les mieux protégées au monde. Cette "belle" Europe, qui tire son nom de cette déesse phénicienne enlevée contre son gré et sexuellement abusée par un dieu sans scrupules... Il y a des mythes qu'on préfèrerait laisser à la mythologie.