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Élections européennes : les droits des femmes, pas un enjeu politique

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Qui pour défendre les droits des femmes dans cette campagne pour les élections européennes ? Militantes féministes et mouvements de défense des droits humains s'inquiètent d'une montée des partis d'extrême droite à l'issue du scrutin du 9 juin 2024.

©Equipop/Wilfrid Crenel
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Du 6 au 9 juin, 450 millions d'électeurs - dont environ la moitié sont des électrices - sont appelé.e.s aux urnes pour renouveler le parlement européen. Les droits des femmes, parfois menacés parmi les 27, n'ont pourtant pas vraiment été au coeur de la campagne. Entretien avec Agnès Hubert, politologue.

Le scrutin s'étale sur quatre jours et débutera le 6 juin 2024. Une majorité de pays (dont la France) votera dimanche 9 juin, et les résultats de l'ensemble du scrutin dévoilés dans la soirée. Un scrutin à l'issue duquel 720 élu.e.s siègeront à l'assemblée européenne pendant 5 ans. 

Voilà pour rappeler l'objectif de ce scrutin auquel pas moins de 450 millions de personnes sont appelées à participer. Petite précision nécessaire qui nous intéresse particulièrement ici, la moitié de ces électeurs sont des ... électrices. Autre précision : tous les sondages prédisent un recul des trois grands partis européens (PPE de droite, S&D de gauche et Renew au centre) au profit de la droite radicale. Et cela risque d'avoir de lourdes conséquences en terme de droits des femmes. 

Combien de femmes élues au Parlement ?

Au fil des années, le pourcentage de femmes députées au Parlement européen a augmenté. De 1952 jusqu'aux premières élections en 1979, seulement 31 femmes ont été élues. En 1979, après les premières élections au suffrage universel direct, il y avait 15,9% de femmes au Parlement. Depuis, le pourcentage de femmes au Parlement européen augmente à chaque élection. En février 2024, 39,8% des députés européens étaient des femmes.

En France, la moitié des députés européens sont des femmes tout comme au Luxembourg. En Belgique, elles représentent 38%.

Le Parlement européen n’a été présidé qu’à trois reprises par des femmes : Simone Veil (1979-1982), Nicole Fontaine (1999-2002) et aujourd’hui la Maltaise Roberta Metsola (depuis 2022). Soit trois présidentes pour 14 présidents. Ursula von der Leyen est présidente de la Commission européenne.

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©Parlement européen

Les droits des femmes européennes : pas un enjeu politique ?

De quoi alerter militantes féministes et mouvements de défense des droits humains, à l'instar d'Equipop qui publiait mi-mai une enquête au titre parlant : "Quand l'extrême droite avance, les droits des femmes reculent".  "La probabilité d’un score historique des partis politiques d’extrême droite étant forte, les acquis féministes et les avancées en matière de droits des femmes sont en péril", estime l'association féministe de solidarité internationale. L'issue de ce scrutin "pourrait non seulement bouleverser l’équilibre politique au Parlement européen, mais aussi avoir une influence sur les politiques nationales et internationales pour les années à venir", lit-on dans ce rapport.

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Droit et accès à l'avortement, lutte contre les violences sexuelles, définition du viol, consentement, égalité salariale, égalité de genre, droits LGBTQI+ : des thématiques qui font régulièrement la Une des médias et alimentent le débat sur les réseaux sociaux, mais totalement occultées dans les discours des candidats en campagne électorale. Et ce n'est pas tout ... Phénomène de "backlash", montée en puissance des idées masculinistes, cyberharcèlement ; et des femmes, toujours parmi les catégories sociales les plus pauvres en Europe ... Mais qui en parle sur la scène européenne, qui pour les défendre ? 

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Autant de questions que Terriennes a posé à Agnès Hubert, experte en politique européenne et en droits des femmes. Après une carrière à la Commission européenne largement consacrée à la politique européenne d’égalité des femmes et des hommes, Agnès Hubert est actuellement chercheure associée à PRESAGE, le Programme de REcherche des Savoirs sur le Genre Science Po Paris, OFCE. 

Entretien avec Agnès Hubert

Agnès Hubert

Agnès Hubert a été journaliste puis a suivi une carrière à la Commission européenne où elle a occupé des postes de responsabilité dans la politique de coopération au développement puis comme responsable de la politique européenne d’égalité entre les femmes et les hommes.

©Margot Hutton / Terriennes

Terriennes : En quoi la montée en puissance annoncée des partis d'extrême droite peut-elle représenter une menace pour les droits des femmes ?

Agnès Hubert : La poussée de l'extrême droite dans tous les pays européens, c'est véritablement la grande crainte à l'heure actuelle. On a vu comment ça faisait régresser les droits des femmes en Pologne, par exemple, où du jour au lendemain, il n'y avait plus de droits à l'avortement, il n'y avait plus de droits à la contraception. Comment ça fait régresser aussi les droits des femmes en Hongrie. Et dans toutes les déclarations et les promesses des partis politiques, je dois dire que c'est la grande inquiétude à l'heure actuelle.

 
L'"anti-gender", c'est véritablement le fer de lance des mouvements d'extrême droite, d'être anti-femme, anti-progression des femmes, pour les femmes dans la famille, et anti-LGBTQI. Agnès Hubert
L'"anti-gender", c'est véritablement le fer de lance des mouvements d'extrême droite, d'être anti-femme, anti-progression des femmes, pour les femmes dans la famille, et anti-LGBTQI.
 
Et ce qu'on peut craindre, c'est que les propositions soient simplement bloquées par l'extrême droite. Donc, ils ne vont pas faire de propositions progressistes, ils ne vont pas faire de propositions régressives non plus, qui je pense ne passeraient pas. En revanche, toutes les propositions qui pourront être faites par les autres partis, ils essaieront j'imagine de les bloquer.
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Où en sont les droits des femmes dans l'UE, des progrès sont à mettre sur le compte de l'UE ?
 
L'Union européenne a toujours été un levier pour les droits des femmes en Europe, elle a été un pouvoir normatif aussi et a toujours essayé de faire progresser les droits des femmes au-delà de ce qui existe dans les États nationaux, y compris en France qui est un des pays qui est dans le peloton des pays qui sont en tête. 
 
Dans les cinq dernières années, grâce en particulier à la présidente de la Commission européenne, ça fait une différence d'avoir une présidente plutôt qu'un président, Ursula von der Leyen, donc, a véritablement mis l'égalité au rang de ses priorités et elle a poussé l'égalité en nommant une commissaire à l'égalité, en ayant une "task force" à l'intérieur de la Commission qui s'occupe d'intégrer l'égalité dans toutes les politiques et en faisant passer toute une série de directives, de programmes, de stratégies, non seulement sur l'égalité homme-femme, mais également sur l'égalité LGBTQI+, sur les hommes, sur les handicapés, enfin, disons, sur l'égalité au sens large.
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Ce sujet n'a pas été au coeur de la campagne, qu'en est-il dans les programmes des partis en lice ? 
 
J'ai essayé de regarder dans les sept grands groupes de partis politiques européens, donc les Verts, la Gauche-Unie, les Socialistes et les Démocrates, le PPE, le Parti Populaire Européen, et puis l'ECR, c'est-à-dire là où il y a notamment Jordan Bardella, et ID, Identité et Démocratie, là où il y a le parti de Zemmour notamment. Dans ces sept, j'ai essayé de donner des notes en quelque sorte, et on voit de manière très grossière que les Verts et la Gauche-Unie ont un A, les Socialistes et les Démocrates ont un B. Les centristes, le Parti Renaissance notamment, du président Macron, ont un C, et le PPE serait aussi près du C, et les partis ECR et ID n'ont rien sur les droits des femmes. 
 
Ça se traduit peut-être de manière un peu différente au niveau national. On pourrait citer ce que dit par exemple Marion Maréchal, sur les questions, pas vraiment des droits des femmes, mais elle défend véritablement une vision très maternaliste des femmes. 
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En vigueur depuis le 1er octobre 2023 pour l’Union européenne, la Convention d’Istanbul établit un cadre général pour lutter contre les violences sexistes. Peut-on aller plus loin ?
 
La Convention d'Istanbul, non seulement elle est d'actualité, mais en plus de ça, grâce à la persévérance et le combat qui a été mené par la Commission et le Parlement, maintenant l'Union européenne est membre à part entière de la Convention d'Istanbul, malgré le fait qu'il y a encore, je crois, 6 États membres qui ne sont pas membres de la Convention d'Istanbul, ou qui ne l'ont pas ratifiée. Et donc l'idée c'est d'essayer de voir dans quelle mesure ces États membres pourront ratifier la Convention d'Istanbul. 
 
À l'heure actuelle, la directive violence de l'UE est totalement inspirée de la Convention d'Istanbul. Alors on peut se demander pourquoi avoir fait une directive en plus de la Convention d'Istanbul, qui est un excellent texte ? C'est parce que la directive européenne et la législation européenne, en particulier quand elle va être transcrite par les parlements nationaux, est une législation contraignante. Et ça veut dire qu'on peut aller en Cour de justice pour se réclamer des dispositions de la Convention d'Istanbul. 
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Sur la question de l'avortement, quel impact a eu l'inscription de ce droit dans la Constitution française a eu un impact ? Et, comme le promet Emmanuel Macron, est-il possible de l'inscrire dans la Charte européenne ? 

Sur la question de l'avortement, c'est vrai, l'inscription dans la Constitution française a fait marque. Il est bien évident que ça a vraiment dynamisé cette problématique au niveau de l'agenda politique, et c'est important. L'inscrire dans la Charte européenne des droits fondamentaux, ça veut dire réouvrir les traités, ce qui n'est déjà pas totalement évident, mais qui devra être fait avant les prochains élargissements.
 
Réouvrir les traités, tant qu'on a des pays comme la Hongrie ou la Slovaquie, à l'heure actuelle, qui sont systématiquement, comment dire, fermés à tout progrès européen, ça va être très difficile. Agnès Hubert
Donc, je pense que c'est parmi les choses qu'il faudra faire. Ceci dit, réouvrir les traités, tant qu'on a des pays comme la Hongrie ou la Slovaquie, à l'heure actuelle, qui sont systématiquement, comment dire, fermés à tout progrès européen, ça va être très difficile.
 
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