Fil d'Ariane
Les Suisses ont voté ce 20 octobre pour renouveler leurs représentant.es au Conseil des Etats et au Conseil national. À l'issue de ce premier tour des élections fédérales, la représentation des femmes grimpe dans de nombreux cantons, mais l'on reste loin de la parité.
C’était le scénario idéal : retrouver la même proportion de femmes élues que celle des candidates, soit 40 %. cela aurait signifié quelque 80 femmes au Conseil national et 18 au Conseil des Etats. On n’y arrivera pas. Mais les femmes progresseront tout de même sensiblement dans les deux chambres. Ce dimanche soir 20 octobre, jour d'élections fédérales, l'objectif était tout près d'être atteint au Conseil national. Quant au Conseil des Etats, il pourrait compter 11 femmes qui sont soit déjà élues ou qui ont de bonnes chances de l'être au second tour.
Il n'y a jamais eu autant de femmes au Conseil national : avec 84 élues, soit plus de quatre sièges sur dix, elles occupent désormais 42 % des sièges, soit 20 sièges de plus qu'en 2015 - un bond inédit depuis l'arrivée des premières élues sous la Coupole en 1971. Ces chiffres pourraient encore évoluer si certains conseillers nationaux sont élus au Conseil des Etats.
C'est un grand pas vers la parité, mais les 50 % sont encore loin. "Mais c’est tout de même une journée historique. Au Conseil national, les femmes progressent dans de nombreux cantons, et même de manière spectaculaire comme à Genève et à Zurich. De plus, elles ont investi des bastions jusque-là exclusivement masculins", déclare Jessica Zuber, responsable du projet "Helvetia appelle". Dans les cantons d’Obwald et de Zoug, elles seront pour la première fois représentées grâce à Monika Rüegger (UDC) et Manuela Weichelt-Picard (verte). A l'inverse, Neuchâtel et le Jura ne comptent toujours aucune femme parmi leurs représentants au Conseil national et le Valais a perdu sa seule élue.
Ce n’est pas la journée des hommes conservateurs.
Sarah Bütikofer, politologue
"Ce n’est pas la journée des hommes conservateurs", observe la politologue de l’université de Zurich Sarah Bütikofer. A l’UDC, des politiciens aussi chevronnés que le président de l’USAM Jean-François Rime et le président de l’association des caisses maladie santé suisse Heinz Brand ont mordu la poussière. Les femmes ont bien sûr profité de la forte poussée des Verts, le parti qui présentait le plus de candidates sur ses listes. A Neuchâtel, la verte Céline Vara, âgée de 35 ans, devient l’une des plus jeunes conseillères aux Etats.
On revient de loin. Voici moins d’un an, les médias avaient tiré la sonnette d’alarme, tant la situation se présentait mal au Conseil des Etats. Comme la thurgovienne Brigitte Häberli-Joller était la seule sortante à se représenter, les femmes y risquaient l’hécatombe. C’est notamment pour éviter ce scénario catastrophe que la faîtière des organisations féminines "Alliance F" et le mouvement "Opération Libero" ont lancé l’exercice "Helvetia appelle" en comptant initialement sur un budget de 300 000 francs, qu’il a rapidement fallu réduire à 60 000 francs. Le but était d’offrir aux femmes un coaching et des possibilités de réseauter.
Qu'est-que "Helvetica appelle"
Helvetia appelle est un mouvement interpartis engagé en faveur d’un plus grand nombre de femmes au gouvernement. Il émane d’AllianceF (Alliance de sociétés féminines suisses) et d’Operation Libero.
Parce que la vie des femmes et celle des hommes ne sont pas les mêmes et que leurs vues sur des dossiers politiques varient en raison d’expériences sociales et économiques différentes. Un exemple éloquent est celui du droit matrimonial et successoral. En 1985, il a fallu Elisabeth Kopp, la première femme au Conseil fédéral, pour porter le dossier devant le Parlement. Lors de la votation populaire, les femmes étaient si clairement en faveur de ce droit que la majorité masculine, qui y était opposée, n’a rien pu faire.
Reste qu'au final, l’opération est plutôt réussie : "Helvetia appelle" a soutenu 600 femmes de 21 cantons et 11 partis différents dans toutes les régions linguistiques du pays. Les initiantes ont aussi contacté toutes les sections cantonales des partis représentés sous la coupole fédérale pour les inciter à faire figurer les femmes en bonne place sur les listes principales. là aussi, le but a été atteint, puisqu’elles ont été 40 % à se situer en position favorable.
C’est la première fois que certaines personnes m’ont dit spontanément qu’elles n’allaient voter que pour des femmes.
Isabelle Chevalley, vice-présidente des Vert'libéraux
Presque tous les partis ont connu une forte progression de femmes élues. Celle-ci est marquée chez les Verts et les Vert'libéraux, les deux grands gagnants de l'élection, qui comptent désormais davantage d'élues que d'élus, avec respectivement 60,7% et 52,9% de femmes.A droite, elles ont également fait un bond au PLR (+13 points) et à l'UDC (+7,6 points). Avec seulement un quart d'élues, ce dernier reste le parti où les femmes sont les moins représentées au Conseil national. Au final, seul le PDC, qui compte deux élues de moins qu'en 2015, affiche une baisse et n'atteint plus que 28%.
Avec 42 % de femmes, la Suisse devrait passer de la 38e à la 15e place du classement des Parlements féminins et atteindre le niveau de la Belgique ou du Sénégal. Ce classement ne prend en considération que la chambre basse, car beaucoup pays n'ont pas de chambre haute.
Premier de tous, le Rwanda, avec plus de 60% de femmes ! Dans le top 10, on trouve deux pays africains, quatre d’Amérique latine et des Caraïbes et quatre pays européens. Après le génocide le Rwanda a adopté une série de lois instaurant la parité, c'est le cas aussi dans certains pays d'Amérique latine, même s'il y a des discrimination envers les femmes à d’autres niveaux…
Parmi les mauvais élèves au niveau européen, la Grèce ou la Slovaquie, à peine 20% de femmes au Parlement, la Hongrie (12,5%). Les Etats-Unis font également pâle figure, avec 23 de femmes à la chambre des représentants. (RTS)
Suite aux élections de ce jour, 42% des députés suisses seraient des femmes. Le pays devient le 3e en Europe à le mieux représenter ses citoyennes.
— Paul Cébille (@Ellibec) October 20, 2019
La Suisse n'a accordé le droit de vote à ses femmes qu'en 1971, soit 65 ans après la Finlande et 52 ans après la Suède. pic.twitter.com/9pCi55JUjy
Tout au long de la préparation de la grève des femmes du 14 juin dernier, tous les collectifs qui sont parvenus à faire descendre 500 000 personnes dans la rue ont insisté sur l’urgence d’agir. "Mais ce degré d’urgence est encore moins largement reconnu sur la question de l’égalité que dans le combat contre le réchauffement climatique", relève Adèle Thorens (Les Verts/Vaud).
"Cette grève a contribué à révéler des discriminations dont certaines femmes ne se rendaient pas toujours compte", constate pour sa part Isabelle Chevalley (Vert’libéraux/Vaud), qui avoue avoir été surprise par l’ampleur prise par l’événement. "Durant cette campagne électorale, c’est la première fois que certaines personnes m’ont dit spontanément qu’elles n’allaient voter que pour des femmes".
Ce témoignage est corroboré par plusieurs élues et candidates. "La thématique de l’égalité a été beaucoup plus présente que voici quatre ans, confirme Claudine Esseiva (PLR/Berne). Nous nous sommes profilées avec d’autres solutions que la gauche". Quotas de femmes ou non, là n’est plus l’essentiel. "La nouveauté de cette campagne, c’est que le mouvement en faveur de l’égalité a dépassé la frontière gauche-droite", relève pour sa part Lisa Mazzone (Les Verts/Genève), sortie en tête dans la course au Conseil des Etats.
Pour les Suissesses, les chantiers restent nombreux en vue de réaliser l’égalité. les collectifs de la grève n’ont pas été dissous. ils s’apprêtent même à frapper un grand coup en 2021, à l’occasion de la commémoration des 50 ans du suffrage féminin.
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