Fil d'Ariane
J’ai décidé de me concentrer sur les femmes noires parce que pour moi, ce sont elles qui ne sont pas suffisamment représentées.
Elie Akadia, photographe
Terriennes : Vous vous dites panafricaniste alors pourquoi photographiez-vous seulement les femmes noires et pas les hommes ?
Elie Akadia : En 2017 pendant l’un de mes cours sur la femme noire et la diaspora, j’ai pu voir leur dynamisme et implication dans la libération de l’Afrique, que ce soit l’Afrique précoloniale ou postcoloniale mais aussi leur souffrance durant l’esclavage. Comment l’image et sa réputation ont été détournées au cours de l’histoire. J’ai décidé de me concentrer sur elles parce que pour moi, ce sont elles qui ne sont pas suffisamment représentées. Elles sont les moins privilégiées en termes de représentation sociale. C’est même quelque chose qu’aux états unis l’on appelle le « Double jeopardy », c’est-à-dire un double handicap. Celui d'être femme et noire.
Vous faites beaucoup de photos de nus. Pourquoi vous concentrez vous sur cet aspect de la femme ?
Elie Akadia : On a l’impression que je me focalise sur le nu alors qu’il n’y en a pas autant que ça. Les gens ne sont pas habitués à la nudité donc dès qu’ils en voient ils ont l’impression d’en voir partout. Je dessinais et c’était plus facile pour moi de dessiner des femmes nues plutôt que habillées. Au fur et mesure, j’ai commencé à trouver ça beau. Pourquoi ça ne choque pas de voir un homme torse nu sur les réseaux spciaux et lorsque il s’agit une femme tout le monde est outré ?
Le harcèlement sexuel envers les femmes m’a toujours touché. Je me suis rendu compte de ce phénomène à partir de 2010 en Côte d’Ivoire.
Elie Akadia, photographe
« Louder than words » est votre série de photographies sur le harcèlement sexuel, pourquoi avoir choisi ce sujet ?
Elie Akadia : Le harcèlement sexuel envers les femmes m’a toujours touché. Je me suis rendu compte de ce phénomène à partir de 2010 en Côte d’Ivoire. Mes amies se confiaient à moi. Certaines femmes se faisaient toucher gratuitement alors qu’elles n’avaient rien demandé. Elles n’en parlaient pas. Dans leurs têtes, elles se disaient « ce sont des garçons, c’est normal ». Je voulais exprimer à travers ces photos les conséquences du harcèlement et des agressions sexuelles sur une femme. Ce que ça fait à son âme. Les couleurs fluorescentes expriment le surnaturel, comment est-ce que l’âme se sent touchée par toutes ces mains et la douleur de ne pas pouvoir en parler.
Vous imaginez devoir régler votre agression à l’amiable avec votre agresseur ? C’est le quotidien de la majorité des Ivoiriennes.
Elie Akadia, photographe
#MeToo a eu de l’écho dans le monde. Vous êtes ivoirien, en Côte d’Ivoire y a-t-il eu un soubresaut ?
Elie Akadia : Ce n’est pas aussi actif qu’aux Usa ou en France avec des manifestations ou sittings mais sur les réseaux sociaux on voit beaucoup plus d’Ivoiriennes en parler. Des féministes ivoiriennes comme Laetitia Ky ou encore Betty Aziallo en parlent ouvertement et sensibilisent sur la question. J’essaye moi aussi d’inciter mon entourage féminin à en parler. Il y a une nouvelle génération qui tolère de moins en moins le harcèlement sexuel même s’il existe encore un grand pourcentage qui ne voit pas du tout d’inconvénient du côté des hommes. Aucun dirigeant ivoirien ne parle du harcèlement ou des agressions sexuelles que subissent les ivoiriennes. En Côte d’Ivoire, on parle encore à voix basse de ce genre de choses, tant qu’il n’y a pas viol ou meurtre ce n’est pas grave. J’ai une amie qui s’est faite violer par son copain et l’affaire a été réglée à l’amiable. Pareil pour une autre tabassée par son ex copain. Elle est allée porter plainte couverte de bleues, les policiers lui ont dit « c’est une histoire de cœur, ça arrive, il faut régler cela entre vous ». Vous imaginez devoir régler votre agression à l’amiable avec votre agresseur ? C’est le quotidien de la majorité des Ivoiriennes. Elles n’ont pas confiance au système.
Tous les grands mouvements panafricanistes ont eu des femmes à leurs têtes mais une fois qu’ils ont accédé au pouvoir, elles ont été oubliées.
Elie Akadia, Photographe
Quelle place peuvent avoir les hommes africains dans la lutte contre les violences faites aux femmes ?
Elie Akadia : Les hommes africains doivent comprendre que les Africaines ont longtemps luttés avec eux. Tous les grands mouvements panafricanistes ont eu des femmes à leurs têtes mais une fois qu’ils ont accédé au pouvoir, elles ont été oubliées. Nous devons les aider à lutter et à se soulever parce que quand elles sont libres cela profite à toute la communauté noire. Si on améliore la situation des femmes africaines, si on les traite comme il se doit et luttons avec elles pour leurs droits et toute la dignité dont un humain a besoin, on finira par se soulever en tant que peuple et continent. Au final nos destins sont liés.