Fil d'Ariane
"Cette Constituante va transformer le Chili !", a lancé l'universitaire mapuche Elisa Loncón, en tenue traditionnelle, après être montée sur l'estrade et avoir salué l'assistance en mapudungun, la langue du peuple mapuche. Elle a souligné que c'était là un rêve partagé par toutes les communautés du Chili dans leur diversité, le rêve de prendre soin de la Terre Mère, d'accéder aux droits sociaux et au droit à l'eau.
La nouvelle présidente, linguiste de métier, occupait jusque là l'un des dix-sept sièges réservés aux peuples originaires. Elle a été élue au deuxième tour en obtenant 96 voix sur les 155 de l'assemblée à l'issue d'une journée marquée par une suspension de près de trois heures, en raison des tensions et des affrontements qui ont éclaté à l'extérieur de l'ancien parlement. Ce choix représente un signal fort pour les différents peuples dits “originels”.
Felicitamos a la hermana @ElisaLoncon por haber sido elegida presidenta de la #ConvenciónConstitucional de #Chile.
— Andrónico Rodríguez (@AndronicoRod) July 5, 2021
Hoy, los pueblos indígenas con solidaridad y hermandad construyen una #AméricaPlurinacional. pic.twitter.com/WHgsHfdpz2
Agée de 58 ans, Elisa Loncón est née dans une famille pauvre de la région d’Araucanie, celle du peuple mapuche. "Elle a appris à lire à l’âge de 17 ans", nous apprend le site Ex-ante,cité par Courrier International. "Son histoire personnelle autant que sa carrière d’enseignante et son travail en faveur des peuples traditionnels lui valent le respect de plusieurs membres de la Convention", précise l'article. Actuellement professeure à l’université de Santiago, elle est titulaire de trois doctorats, au Chili, mais aussi au Mexique et aux Pays-Bas.
"Je m'appelle Elisa Loncón Antileo, je suis née dans la communauté de Lefweluan, qui signifie « endroit où courent les guanacos (les lamas, ndlr) ». Ma communauté est située dans la commune de Traiguén, un beau territoire, de plus en plus menacé par la forêt, à l'intérieur du Wallmapu. C'est pourquoi je parle mapudungun depuis ma naissance et j'ai toujours eu le souci de la parole car je crois que la langue habite l'âme d'un peuple", écrit l'élue sur son site.
"Nous devons lutter pour une société dans laquelle la diversité des peuples est respectée. Que notre combat soit de reconnaître et de garantir les droits fondamentaux tels que l'autonomie et l'autodétermination", ajoute-t-elle encore dans cette profession de foi.
C'est donc dans un climat de tension que le processus de rédaction de la nouvelle constitution chilienne a démarré dimanche 4 juillet à Santiago, mais aussi avec la détermination de changer l'histoire du pays en élisant une aborigène Mapuche comme présidente de l'assemblée constituante. Celle-ci a pour mission de plancher sur la nouvelle Loi fondamentale pendant les neuf prochains mois.
Une partie des 155 citoyens élus pour rédiger la nouvelle constitution à l'issue de plusieurs mois d'une vive contestation sociale est sortie pour exiger le retrait des forces spéciales du centre de la capitale. Des bagarres avec la police ont éclaté et une suspension a dû avoir lieu. Certains des élus, qui ont finalement tous pu prêter serment, avaient lancé à la rapporteuse: «Plus jamais de répression !».
«Nous voulons une fête de la démocratie et non des problèmes, donc nous allons suspendre temporairement la session», avait alors annoncé la rapporteuse, Carmen Gloria Valladares, se disant «inquiète».
«C'est la première fois que les citoyens ont pu élire un corps pour écrire» une Constitution, souligne auprès de l'AFP Claudio Fuentes, professeur à l'Université Diego Portales (UDP). Cette assemblée, qui va plancher sur la nouvelle Loi fondamentale pendant neuf mois minimum, douze maximum, est aussi paritaire. A l'issue du vote des 15 et 16 mai, les nouveaux Constituants sont apparus comme très hétérogènes. Les candidats indépendants représentent 40% des élus, au détriment des listes montées par les partis traditionnels.
Pour de nombreux analystes, cette Constituante «ressemble au Chili réel», avec des militants écologistes, des dirigeants communautaires, des avocats, des professeurs, des journalistes, des économistes, mais aussi des "femmes au foyer". Les représentants des partis politiques traditionnels sont minoritaires et aucune force politique ne dispose du tiers nécessaire pour opposer son veto, les délibérations devant être approuvées aux deux tiers.
Les femmes participent donc pour moitié à l'écriture de la future Constitution, et à travers elles c'est à toutes les femmes qu'Elisa Loncón a tenu à rendre hommage : "Les femmes autochtones sont une pièce fondamentale pour la refondation du pays. Nous avons toujours été les dernières de l'histoire, aujourd'hui nous renaissons ensemble. Merci aux femmes de tous les peuples", a-t-elle écrit sur Twitter.
Las mujeres indígenas son pieza fundamental para la refundación del país. Siempre fuimos las últimas de la historia, hoy renacemos juntos. Gracias a las mujeres de todos los pueblos. #ChilePlurinacional pic.twitter.com/cMx6anCkr1
— Elisa Loncon - Constituyente Mapuche (@ElisaLoncon) July 4, 2021
Tenemos que avanzar en el concepto de la democracia deliberativa y democracia real. Nuestro pueblo tiene el derecho de expresar su disgusto y no por eso caer preso. Entrevista en #ContigoCHV pic.twitter.com/FbFZhH6Kyq
— Elisa Loncon - Constituyente Mapuche (@ElisaLoncon) July 5, 2021
[traduction : Nous devons faire avancer le concept de démocratie délibérative et de démocratie réelle. Notre peuple a le droit d'exprimer son mécontentement et non d'être emprisonné pour cette raison].
Dans sa profession de foi publiée sur internet, Elisa Loncón se présente comme celle qui représentera "la voix collective et plurinationale de (son) peuple". Wüñoweftuay tayiñ kimün - Notre sagesse renaîtra", conclut-elle en langue mapuche.