Elisabeth Vigée Le Brun, portraitiste indépendante

Entre le ​XVIIIe et le XIXe siècle, Elisabeth Louise Vigée Le Brun a brossé avec talent les portraits de l'élite française qui séduiront jusqu’à la reine Marie-Antoinette dont elle deviendra la peintre officielle. Retour sur l’histoire d’une artiste indépendante qui a su s'imposer à coups de pinceaux dans un milieu artistique encore très masculin.
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La Tendresse maternelle Vigée Le Brun
La portraitiste Elisabeth Louise Vigée Le Brun dans un autoportrait avec sa fille Jeanne intitulé La Tendresse maternelle (1786).
© Photo : RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux
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« Tu seras peintre, mon enfant, ou jamais il n’en sera », dit un jour de manière presque prophétique le pastelliste Louis Vigée à sa jeune fille Elisabeth.
Cette profession, elle l’exercera en tant que portraitiste toute sa vie accédant, grâce à son talent, à la reconnaissance de ses pairs et de ses clients. Sa réputation l'aidera à braver les obstacles professionnels et à s’imposer dans ce sérail artistique où les femmes sont encore trop rares.
Pour la première fois depuis l’exposition de 1982 aux Etats-Unis, un musée français, le Grand Palais, lui rend hommage à Paris en réunissant 150 de ses oeuvres. Quelques rares paysages au pastel et une ou deux peintures historiques mais surtout, des portraits qui, alignés aux murs, regardent passer le visiteur.

Portraitiste plébiscitée

Ces regards d’autres siècles n’ont rien perdu de leur vivacité, de leurs couleurs, de leur prestance, de leur présence. De quoi captiver les visiteurs qui s’y plongent.
C’est tout le talent de Elisabeth Vigée Le Brun qui s’exprime dans cette galerie de visages, principalement de femmes.

baronne vigée le brun

La baronne Henri Charles Emmanuel de Crussol Florensac, née Bonne Marie Joséphine Gabrielle Bernard de Boulainvilliers, peinte par Elisabeth Louise Vigée Le Brun en 1785.

© Photo : Daniel Martin

Poses originales, parfois érotiques (pour l’époque), carnations parfaites. En son temps, l’artiste est plébiscitée par la critique et ses client(e)s pour la grande ressemblance entre ses tableaux et leurs modèles qu’elle embellit imperceptiblement sans les idéaliser. « Il faut croire qu’elles étaient contentes; car […] on avait de la peine à se faire placer sur ma liste ; en un mot j’étais à la mode », raconte-elle plus tard dans son autobiographie intitulée Souvenirs.

Un père pastelliste

Son talent, elle le doit en partie à la courte formation qu’elle reçoit de son père, celui qui a vu en elle, très jeune, une future artiste peintre. Louis Vigée, pastelliste, meurt lorsqu’elle n’a que 12 ans. Le temps de lui enseigner les rudiments de la peinture au pastel. Le reste, elle l’apprendra seule en étudiant les oeuvres d’artistes anciens ou aux côtés, plus tard, de maîtres comme Rubens lors d’un voyage à Anvers.

A ses débuts, pour perfectionner sa technique et vendre ses talents, elle multiplie les autoportraits et brosse, dès l’âge de 15 ans, ceux de ses proches : sa mère, son frère Etienne, futur poète, des amies et puis, son futur mari peintre, restaurateur et marchand d’art Jean-Baptiste Pierre Le Brun qu’elle épouse en 1776.

Ce dernier va progressivement l’aider à accroître le prix de ventes de ses tableaux qui séduisent une clientèle de plus en plus nombreuse. Avec sa célébrité grandissante, elle reçoit des demandes de la bourgeoisie, de la noblesse et même... de la reine de France.

Peintre officielle de la reine

A cette période, Marie-Antoinette n'est pas satisfaite de ses portraitistes qui ne parviennent pas à tirer d’elle un tableau suffisamment ressemblant à son goût.  

Dans son livre autobiographique Souvenirs qu’elle publiera plus tard, Elisabeth Vigée Le Brun raconte sa première rencontre avec la reine en 1779 : « A la première séance, l'air imposant de la reine m’intimida d’abord prodigieusement ; mais S. M. me parla avec tant de bonté que sa grâce si bienveillante dissipa bientôt cette impression. C’est alors que je fis le portrait qui la représente avec un grand panier, vêtue d’une robe de satin et tenant une rose à la main. (…) La timidité que m’avait inspirée le premier aspect de la reine avait entièrement cédé à cette gracieuse bonté qu’elle me témoignait toujours. »

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Marie-Antoinette en grand habit de cour par Elisabeth Louise Vigée Le Brun en 1778.

© Kunsthistorisches Museum, Vienne

Sans travestir la réalité, ce premier tableau remporte l’adhésion de la reine elle-même ainsi que celle de sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse. Elisabeth Vigée Le Brun devient officiellement la peintre officielle de la souveraine. Elle va nouer avec sa-désormais- protectrice une grande complicité, marquée par un faux pas artistique. Un tableau va choquer l’opinion : celui de Marie-Antoinette en « négligé », c’est- à-dire une robe chemise que l’on porte chez soi mais pas sur une toile qui se retrouve dans des salons. 

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Marie-Antoinette en chemise ou en gaulle peinte par Elisabeth Louise Vigée Le Brun vers 1783.

© Hessische Hausstiftung, Kronberg im Taunus

Concurrence féminine

C’est grâce à l’intervention de la reine que l’artiste entre en 1783 à l’Académie royale de peinture et de sculpture alors que la profession de son mari marchand d’art lui en fermait les portes. Louis XVI ordonne qu’elle soit admise à l’Académie royale où il n'y avait que... quatre femmes. Leur rôle y était réduit au minimum : pas d’enseignement, pas de promotion, interdiction aussi pour elles de dessiner des nus, …   et donc de peindre des sujets historiques. 

C’est aussi en 1783 qu’une autre peintre fait son entrée à l’Académie et reçoit les éloges de la critiques : Adélaïde Labille-Guiard. Les deux femmes qui feront des émules seront rapidement mises en concurrence. Avant la Révolution, toutes deux participent à la formation de jeunes femmes à la peinture et au dessin, les aidant ainsi à lancer leur carrière.

Adélaïde Labille Guiard

L’artiste Adélaïde Labille Guiard (1749-1803) dans son atelier avec deux de ses élèves, Marie Gabrielle Capet et Marie Marguerite Carreaux de Rosemond par Adélaïde Labille Guiard en 1785.

© The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN- Grand Palais / image of the MMA

Femme artiste et mère

Alors qu’Elisabeth Vigée Le Brun s’impose dans sa carrière d’artiste, elle s’illustre aussi dans ses peintures en tant que mère. L’une de ses plus célèbres toiles reste son autoportrait avec sa fille Jeanne dans les bras mettant en scène une grande tendresse maternelle. Même avant de devenir mère en 1780, l’artiste se plait à portraiturer des enfants. L’exposition présentée au Grand Palais révèle notamment au public des études de visages de nourrissons attendrissants.

Fuir la France

Mais cette période de gloire artistique et de bonheur personnel s'assombrit à l'approche de la Révolution. Côtoyer la royauté, sa cour et l’aristocratie devient risqué en cette période de l’histoire de France. Cible d’attaques relayées dans des pamphlets, Elisabeth Vigée Le Brun se sent menacée. Le 6 octobre 1789 elle quitte la France avec sa fille. C’est le début de 13 années de voyages, loin de son mari, qu’elles passent en Italie (Florence, Naples, …), en Autriche (Vienne) et en Russie (Saint-Pétersbourg).

La comtesse Varvara Nicolaïevna Golovina

La comtesse Varvara Nicolaïevna Golovina, née Golitsyna peinte par Elisabeth Louise Vigée Le Brun entre 1797-1800.

© Birmingham, The Trustees of the Barber Institute of Fine Arts, University of Birmingham / Bridgeman images

Grâce à sa réputation acquise en France, elle trouve en Europe et en Russie une clientèle aisée. Les prix de ventes qu’elles pratiquent sur ses tableaux lui permettent de maintenir son train de vie. Elisabeth Vigée Le Brun mène ainsi une vie de femme artiste indépendante exprimant son talent partout où elle se trouve. Libre.