Fil d'Ariane
Premiers habitants de Norvège, les Samis sont l’un des derniers peuples autochtones d’Europe. Fière de son identité, la jeune génération entend bien résister. Parmi ses grandes voix, Elle Nystad est à l’initiative d’un mouvement de protestation contre deux parcs éoliens construits illégalement sur des terres samies ancestrales. Entretien.
"Cela fait plus de 565 jours que le gouvernement norvégien viole les droits humains, en particulier l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques", dénonce Elle Nystad. Cette jeune femme brune de 23 ans au charisme brillant comme la neige au soleil est la présidente de l’association des Jeunes Samis de Norvège (NSR Nuorat).
De fait, le texte des Nations unies indique que, dans les Etats où elles vivent, les minorités ethniques ou religieuses ont le droit "de pratiquer leur propre vie culturelle ou d’employer leur langue". Mais en Norvège, pays qui a adopté la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les droits des Samis sont régulièrement violés par les autorités politiques. Depuis trois ans, 151 turbines empiètent sur des terres où paissent des troupeaux de rennes, empêchant les éleveurs samis de perpétuer cette pratique culturelle ancestrale.
Terriennes : Le 11 octobre 2021, la Cour Suprême de Norvège a conclu que les permis accordés par l’Etat à deux parcs éoliens sur la presqu’île de Fosen, au nord-ouest du pays, n’étaient pas valides. Aujourd’hui, où en est-on ?
Elle Nystad : Le gouvernement s’est excusé auprès des éleveurs de rennes. Mais plus que des mots, ces derniers attendent le démantèlement des turbines et la restauration de leurs terres. Les Samis ne possèdent aucun acte de propriété, mais tout le monde sait, en Norvège, que les terres du Nord sont historiquement des pâturages pour les rennes.
Les gouvernement sont-ils écologiques quand ils ruinent un mode de vie qui est déjà vert, comme celui des éleveurs de rennes ?
Elle Nystad
Aujourd’hui, les autorités publiques se défendent, arguant que la Cour suprême n’a jamais affirmé qu’il fallait détruire les éoliennes. Or ce n’est pas à elle de dire ce qu’il faut faire, c’est à l’Etat de se mettre en conformité avec la loi. La Norvège doit respecter les droits de mon peuple, les Samis. Des pourparlers ont lieu actuellement entre les éleveurs, le Parlement sami de Norvège et le gouvernement. Jusqu’à présent aucune solution n’a été trouvée…
Face à l’inaction des pouvoirs publics, vous avez lancé en mars 2023 la campagne de protestation Endgame ("Fin du jeu", en français). Quel a été son impact ?
En tant qu’étudiante en droit, je crois en la justice. Malheureusement les peuples autochtones sont souvent contraints à des situations extrêmes. Pour faire respecter nos droits, nous avons décidé de mener une action de désobéissance civile. Endgame est à l’initiative de trois jeunes femmes : la militante et actrice samie Ella Marie Hætta Isaksen, la leader de l’ONG Nature et Jeunesse Gina Gylver et moi-même.
Les femmes ont toujours occupé une place très forte dans la culture samie, à l’image de la figure historique, Elsa Laula Renberg. Issue d’une famille d’éleveurs de rennes, elle a co-organisé le premier Congrès national des Samis, le 6 février 1917, devenu le jour de notre fête nationale. Pour la première fois, les Samis de toute la Scandinavie (Norvège, Suède, Finlande et Russie) se sont rassemblés pour discuter de problèmes communs.
En mars dernier, des Samis de Norvège et d’ailleurs nous ont rejointes pour bloquer à Oslo l’entrée des ministères, dont celui du Pétrole et de l’Énergie qui est en charge du dossier. La police est venue nous déloger. Malgré tout, depuis cette action, notre voix est davantage entendue et considérée. La société norvégienne nous a aussi largement soutenus, 60% des manifestants n’étaient pas samis.
Parmi les protestataires, la jeune activiste suédoise Greta Thunberg…
Greta a entendu parler de notre action via Twitter. Elle nous a ensuite contactés pour savoir si elle pouvait se joindre à nous. Quelques jours plus tard, elle était à Oslo pour bloquer à nos côtés l’entrée du ministère de l’Énergie. Sa participation au sit-in a attiré l’attention des médias internationaux, ce qui a donné plus de visibilité à notre action.
Environmental activist Greta Thunberg takes part in a protest advocating for Indigenous rights in Oslo on Thursday, March 2. pic.twitter.com/UpycpSM2zV
— CGTN America (@cgtnamerica) March 7, 2023
Des journalistes lui ont demandé si le fait de protester contre des éoliennes n’était pas en contradiction avec son engagement pour les énergies vertes. Mais comme Greta leur a affirmé : "Une transition climatique qui viole les droits humains n’est pas une transition climatique digne de ce nom." Le gouvernement norvégien a plusieurs fois utilisé l’argument de la lutte contre le réchauffement climatique pour défendre ses parcs éoliens. Mais à quel point sont-ils écologiques quand ils ruinent un mode de vie qui est déjà vert, comme celui des éleveurs de rennes qui vivent en respectant l’environnement ?
En juin prochain, le rapport final d’une Commission Vérité et Réconciliation norvégienne (CVR) – comme il s’en est tenue une au Canada de 2008 à 2015, relative aux pensionnats autochtones – présentera des recommandations pour résoudre la crise de confiance entre les Samis et l’Etat. Qu’en attendez-vous ?
L’Etat utilise la prétendue transition climatique comme couverture pour du colonialisme. Dans un autre domaine, celui de l’éducation, le chemin est encore long pour que tous les jeunes Samis puissent apprendre leur langue et leur culture à l’école. Des cours en sami devraient être mis en place dans tous les établissements scolaires. Or c’est rarement le cas dans les grandes villes où la culture enseignée est majoritairement norvégienne. Il est donc difficile de parler de réconciliation alors que nous sommes encore colonisés, que le gouvernement vole nos terres et mène ce genre de politique.
J’ai grandi dans une famille avec la fierté d’être qui je suis, une Samie, et je veux la transmettre à mon tour.
Elle Nystad
Transmettre la culture samie, c’est l’objectif de votre chaîne Youtube…
Avec l’arrivée des Norvégiens, aux XVIIe et XVIIIe siècles, la politique a été d’assimiler le peuple sami. Beaucoup ont commencé à ressentir de la honte d’appartenir à une minorité. Ce sentiment s’est transmis de génération en génération. Encore aujourd’hui, certains parents et grands-parents renient leurs origines. Dans mes vidéos, je parle dans ma langue maternelle – une des neuf langues samies. Je raconte aussi l’histoire de notre peuple. Je reçois énormément de messages de remerciement de la part de jeunes Samis car cela leur permet de renouer avec leurs racines. J’ai grandi dans une famille avec la fierté d’être qui je suis, une Samie, et je veux la transmettre à mon tour.
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