"On ne pensait pas que ça prendrait une telle ampleur." Attablées sous la lumière rouge de la terrasse chauffée d’un bistrot parisien, Coralie Godmé et Stéphanie Villard, deux jeunes sages-femmes aux traits tirés par la fatigue et la rancœur, évoquent leur situation des dernières semaines. Depuis le 16 octobre, de nombreuses sages-femmes françaises, tant hospitalières que libérales, se sont mises en grève illimitée. Leur but : être reconnues à la hauteur de leur travail. "Dès la fin de la première semaine, il y avait 75% de grévistes dans la maternité", se souvient Stéphanie.
A l'hôpital, les sages-femmes sont multitâches. "Par exemple, on fait secrétaire comptable", note la jeune femme. Au quotidien, elles courent entre les patientes, n'ont pas le temps de les suivre comme elles le souhaiteraient. Coralie, blouson de cuir et écharpe multicolore, ironise : "Si on peut s'approcher d'elles, c'est déjà bien !" Elles doivent très vite décider quoi faire en cas d'urgence, ou choisir d'attendre, pour ne pas aggraver les difficultés. A chaque fois, en l'espace de quelques secondes.
Sans compter les histoires personnelles des femmes hospitalisées dans leur maternité de Saint-Denis, au nord de Paris. Les deux sages-femmes évoquent les fausses-couches tardives qui s'enchaînent parfois en une seule nuit de garde, ou l'accouchement de femmes battues, violées… qui ont donc particulièrement besoin d'être écoutées. "Tu fais le social aussi", relève Coralie. Stéphanie complète : "Tu ne passes pas une garde sereine. C'est l'adrénaline, il ne faut pas nier que ça nous plaît. Mais on n'est pas des bisounours." Elle estime que "dans une toute petite maternité, avec 500-600 accouchements par an, il y en a au pire deux par nuit. Mais à Saint-Denis, on a des gardes de nuit avec 14 accouchements !"