Des personnages aux caractères bien trempés, des rires, des larmes, de l’amour, des disputes, des réconciliations, voilà la recette de toute bonne série tv qui se respecte. C’est la vie nous plonge dans la vie d’un centre de santé de Ratanga, quartier imaginaire de Dakar. Sur le ton de la comédie, on y parle aussi bien de mariages forcés, que de sida, ou de violences domestiques … Marguerite Abouet, co-auteure, est l'une des invitées de la Conférence des femmes de la Francophonie organisée par l'OIF à Bucarest (Roumanie) les 31 octobre, 1er et 2 novembre 2017.
Dès 10h30, heure de Paris, 9h30 GMT, ce mercredi 1er novembre 2017, rendez-vous en direct sur Facebook, depuis la conférence des femmes de la Francophonie à Bucarest pour vous proposer des rencontres exceptionnelles. Avec Marguerite Abouet, co-auteure de C'est la vie> https://www.facebook.com/terriennes/ On rit, on pleure, on crie… Chaque soir des millions de télespectateur.rice.s du Sénégal, Côte d’Ivoire, Cameroun, Gabon etc… sont suspendus aux aventures des héros de
« C’est la vie », dont la saison 2 sera bientôt diffusée sur TV5monde ainsi que sur la chaine publique sénégalaise.
C’est ce qu’on appellait il y a encore quelques années un « soap opera», (roman-savon au Québec ndlr) ou « télénovela » dans la lignée de celles nées sur le continent latino-américain. Le principe est connu : des personnages récurrents, des drames, des bonheurs, et un décor unique … Ici, un centre médical situé dans un quartier populaire imaginaire de la capitale sénégalaise. Que les fans de « Greys anatomy » ne s’y trompent pas. Même si les auteurs du scénario reconnaissent s’en être quelque peu inspirés, ici, on est bien loin de la côte ouest américaine, nous voici plongés en plein cœur de la société africaine, avec ses tabous, ses traditions, mais surtout, et c’est la volonté des scénaristes, des sujets graves traités avec humour sur le ton de la comédie, histoire de faire passer des messages, plus ou moins en douceur.
A l’origine de la naissance de « C’est la vie », un homme. Alexandre Rideau, directeur de l’ONG Réseau africain pour l’éducation et la santé (RAES). Depuis longtemps, il produit au Sénégal des radionovelas sur le thème de la santé. Il décide en 2011 d’adapter l’idée à la télévision.
Une écriture à deux mains
Il fait alors appel à deux auteurs. Une femme et un homme. Un presque couple professionnel.
Marguerite Abouet et Charli Beleteau. Le nom de la première vous dit peut-être quelque chose. On doit à cette auteure, une série de bande dessinée ultra-populaire « Aya de Yopougon », les joies et les malheurs d’une jeune Ivoirienne du quartier de Yopougon à Abidjan (la bd a été adaptée sur grand écran ndlr). Là aussi, il était question de sujets graves abordés par le biais de l’humour et de la dérision, alimenté surtout par le langage fleuri de la rue ivoirienne. Le second, son nom est sans doute moins connu, et pourtant il est l’un des scénaristes de LA série populaire qui depuis des années cartonne en France, vous aurez peut-être deviné, « Plus belle la vie ». « C’est la vie » pourrait presque être sa petite cousine africaine, en milieu médical.
Une belle-mère acariâtre, une sage femme corrompue et brutale, des infirmiers « fol amour », une jeune fille mariée de force à 16 ans … Si les auteurs aiment se jouer de leurs personnages, grossir les traits, parfois aux lisières de la caricature, ils doivent se soumettre à un cahier des charges strict, défini par les ONG partenaires (UNICEF, OMS et ONU femmes). La colonne vertébrale, c’est la santé maternelle et infantile, ainsi que la prévention contre les maladies.
Les deux co-auteurs s’inspirent de la méthode Sabido. Ils ont d’ailleurs tous deux participé à une formation spécialisée.
« Le principe est que le télespectateur s’identifie aux personnages et le message passe. On suit son chemin, on construit un contexte social réaliste. Une jeune fille qui va voir le parcours d’Emade (l’un des personnages principaux, mariée de force à 16 ans ndlr), va peut-être appliquer à elle-même ce qu’elle vit, et aller au planning familial », nous explique Marguerite Abouet. Miguel Sabido est un scénariste mexicain qui a réalisé des études de comportement de téléspectateur.rice.s, il a lui-même produit des telenovelas sur ce principe, qui ont permis à des milliers de gens de s’instruire, et aussi d’appliquer le planning familial ainsi qu’un contrôle des naissances.
C’est la vie, série féministe ?
C’est la vie est-elle une série féministe ? «
Non !, nous répond l’auteure,
même s’il est vrai qu’on voulait associer le divertissement et la lutte contre les maladies et les inégalités. Mais qui dit femmes et santé, dit aussi des hommes. Donc, non on ne peut pas dire qu’elle est féministe, dans le sens strict du terme ». Le plus souvent ce sont les comédiennes qui s’auto-censurent. Il y a des choses parfois qu’elles n’osent pas tourner Marguerite Abouet
Sur le ton de la comédie, sont abordés des sujets graves et violents. Pas si facile.
« Le plus souvent ce sont les comédiennes qui s’auto-censurent. Il y a des choses parfois qu’elles n’osent pas tourner. Nous sommes dans un pays musulman, il y a donc le poids de la religion, mais aussi le regard des autres qui pèse beaucoup. Exemple : difficile de filmer ne serait-ce qu’un baiser. Et s’il s’agit de filmer une scène au lit, alors là ce n’est même pas la peine. Et pourtant on parle de sexualité, seulement tourner une scène dans une chambre, filmer un couple dans son intimité, cela reste très compliqué, voire impossible parfois », nous explique Marguerite Abouet.
Autant détestée qu’adulée, la terrible Rokoba, la méchante belle-mère incarnée par l’actrice Bigué Ndoye.
« La scène la plus difficile à jouer, c’est lorsque je viens chercher la petite fille pour l’emmener chez l’exciseuse. Quand j’ai lu la séquence avant de jouer, j’ai craqué. Je me suis dit, ce n’est pas possible, ce sont des choses qui existent. On ne peut pas savoir combien de filles on a perdu à cause de ces excisions », confie-t-elle dans un making-off.
Pour la mise en scène, de jeunes réalisateurs.rices tous originaires du continent se relayent. Pour un épisode il faut compter un budget de plus de 30 000 euros.
C’est la vie ! est coproduit par l’ONG RAES et Keewu Production, appuyés par le Fonds Français MUSKOKA, à travers des financements de quatre agences des Nations Unies (UNICEF, UNFPA, OMS et ONU Femmes). Ce sont elles qui choisissent les thèmes qui seront abordés au cours des épisodes. (à noter aussi la participation de TV5MONDE Afrique, et du Fond Image de l’Organisation Internationale de la Francophonie, ndlr)
Evidemment, on a choisi des acteurs hommes qui ont un esprit plutôt ouvert, ce qui a aidé vraiment Charli beleteau
Pour l’autre auteur de la série, Charli Beleteau, il était évidemment indispensable que l’équipe, devant et derrière la caméra soit africaine. Mais il arrive parfois que certain.e.s se reconnaissent dans une situation, et qu’ils ou elles n’approuvent pas ce qui est dit dans la scène à tourner.
« Parfois il peut y avoir un glissement, et il faut recadrer. Le truc le plus flagrant c’est que l’homme n’a pas l’habitude de partager son espace, son pouvoir avec une femme. On peut avoir un comédien, qui a plusieurs femmes, déjà dans sa vie. Ce sont des barrières qu’il faut enfoncer. Evidemment, on a choisi des acteurs hommes qui ont un esprit plutôt ouvert, ce qui a aidé vraiment.» « Si je sors de mon rôle, je suis quelqu’un de très féministe, déclare celui qui incarne Touli
, l’enfant terrible de Ratanga
, commentant son rôle dans la série où il interprète un homme qui bat sa femme.
Je n’ai jamais levé la main sur une femme et je déteste les ‘mecs’ qui font ça. Je souhaiterais qu’à travers mon personnage, les hommes violents puissent changer. » Cela peut amener à une prise de conscience, que ce soit au niveau du planning familial, au niveau des mariages forcés, des grossesses des jeunes filles. Sogi Sogou, comédien
« Le côté positif de cette série c’est qu’elle traite de sujets assez tabou dans notre communauté, estime de son côté le comédien qui incarne Jean-Paul, dit ‘le beau gosse’
, Cela peut amener à une prise de conscience, que ce soit au niveau du planning familial, au niveau des mariages forcés, des grossesses des jeunes filles. (…) J’ai une amie qui a voulu écouter sa famille qui souhaitait qu’elle accouche dans son village de manière traditionnelle et qui a perdu son bébé. Si des jeunes filles voient la série, elles pourront comprendre l’importance d’être bien traitées, et surtout par des professionnels de santé ». Des sujets, comme l'excision, interdits, encoreMais parfois, ça coince. Exemple : lors d’un épisode qui met en scène un procès sur l’excision, dans la salle, des figurants se lèvent en colère, pas du tout d’accord avec ce qui est en train de se jouer sous leurs yeux, scène à laquelle ils participent.
« Du coup, il y a eu un très vif débat pendant ce tournage. L’excision même si une loi l’interdit, dans les villages, elle continue d’être pratiquée. La mère qui a perdu son enfant, va se révolter et intenter un procès et gagne ce procès car elle a la loi pour elle, et les chefs religieux, dans notre scénario, mais c’est de la fiction, vont respecter la loi, et interdire l’excision dans leur village. Dans notre histoire, on voulait justement montrer que c’est par eux que le message doit aussi passer. », nous rapporte Charli Beleteau, racontant la scène.
Malgré la difficulté de tourner des scènes de violence, durant la saison 1, un épisode relate le viol d'une des jeunes héroïnes de la série, Bibiche, par son petit-ami. Après la scène, très explicite, elle se filme et explique qu'elle a porté plainte au commissariat, mais comme le père de son violeur est très puissant, elle raconte en larmes, combien elle a peur.
Alors, sans parler d’auto-censure, les deux auteurs sont d’accord pour dire qu’il existe encore des sujets « interdits ».
« Impossible de parler d’homosexualité, cela reste totalement tabou. On ne peut guère y faire allusion ou imaginer qu’un des personnages le soit. C’est évidemment quelque chose qui me dérange. Ce serait différent dans un autre pays. Ici cela reste encore peu réalisable. » explique Marguerite Abouet.
« Il faudrait déjà trouver un comédien qui accepte de jouer le rôle d’un homosexuel, ajoute son co-auteur,
le problème c’est qu’au Sénégal, jouer un personnage, c’est un peu l’incarner aussi dans la vie, le public ne fait guère la différence. Pour lui, ce serait prendre un risque, celui de se faire insulter dans la rue par exemple. » (L’homosexualité est passible de 5 ans de prison au Sénégal ndlr)
Le phénomène
C’est la vie a aujourd’hui dépassé le petit écran. Bien plus qu’une simple série de divertissement, elle sert à alimenter des débats partout à travers le Sénégal. La production organise des soirées où les fidèles télespectateur.rice.s sont invité.e.s. à échanger autour des questions soulevées lors des récents épisodes. On y parle, on y rit, on y crie … Un peu comme à l’écran, mais surtout on cherche à parler prévention, et à améliorer la santé et le quotidien, et pas seulement des femmes. C’est aussi le but d’une émission sur les ondes de radio Vibe Sénégal, qui a lieu chaque vendredi.
La série joue à fond la carte de l'interactivité via les réseaux sociaux, Twitter ou Facebook, ou encore via Whatsapp. Une saison 3 et 4 sont déjà en cours de gestation. On peut d'ors et déjà souhaiter longue vie à
C’est la vie.(à suivre la saison 2 bientôt sur TV5Monde tous les jours du dimanche au jeudi à 18h00 (Heure de Dakar) .
Marguerite Abouet, de Yopougon à Ratanga
Née en 1971 à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Elle passe douze ans de sa vie à Yopougon, un quartier aujourd'hui populaire de la capitale ivoirienne. Elle s'inspire de cette période de sa vie pour ses scénarios de bande dessinée, Aya de Yopougon, qu’elle co-signe avec son dessinateur de mari, Clément Oubrerie.
Marguerite Abouet vient s'installer en France à l'âge de douze ans.
Le premier tome d’Aya de Yopougon est récompensé par le premier prix au festival d'Angoulême en 2006 et est un succès commercial avec plus de 350 000 albums vendus. La série comprend six tomes parus entre 2005 et 2010.
L'adaptation d’Aya de Yopougon en film d'animation sort en juillet 2013, et est nommée au César du meilleur film d'animation l'année suivante.
Marguerite Abouet est l'une des invitées de la Conférence des femmes de la Francophonie organisée par l'OIF à Bucarest (Roumanie) les 31 octobre, 1er et 2 novembre 2017, en présence de 450 participant.e.s derrière le mot dièse #ellessimposent . Son film Aya de Yopougon sera projeté lors de la soirée inaugurale dans le cadre d'un festival de film du centre culturel roumain.
Toutes les infos sur cet événement dont Terriennes est partenaire ici >
https://www.francophonie.org/conference-des-femmes-bucarest.