Conservatrice, moderne, féministe ?
Cette forme de "modernisation" des mentalités, perceptible chez Emine, trouve racine, peut-être, dans la place allouée aux femmes dans les partis conservateurs turcs, mais aussi dans l'engagement politique d'Emine dès sa jeunesse. En 1978, elle militait déjà dans l'"Association des femmes idéalistes", proche du parti islamiste Selamet (MSP), l'ancêtre de l'AKP, une organisation grâce à laquelle elle a rencontré son futur mari.
Pour Mine Kirikkanat, Emine Erdogan, est moderne, du moins en apparence, mais pas féministe. Son modernisme reste à la limite du discours conservateur : "Je ne l'ai jamais entendu dire que la femme a le droit de travailler et d'avoir des enfants en même temps. Oui, elle défend les femmes et elle voudrait qu'on en tue moins. Mais elle est toujours dans un discours conservateur associant la femme à une mère. Jamais, on ne l'a vue prendre la cause d'une femme à laquelle on a fait des misères. Jamais, on ne l'a vue à l'hôpital au chevet d'une femme dont la tête a été brisée par son mari", accuse l'éditorialiste et essayiste.
Emine est originaire de Siirt dans le sud-est de la Turquie, une région fortement traditionnelle. Puis, elle a grandi à Istanbul dans le quartier Fatih, bastion ultra-conservateur. A l'occasion de l'une de ses rares confessions, publiée dans un livre de
Gülay Atasoy (lien en turc) sur le port du voile, Emine raconte qu'à l'âge de 15 ans, en rentrant d'un bal, son frère l'aurait giflée et forcée à porter le foulard. Un geste qui l'aurait, selon elle, poussée à songer au suicide, avant de se rétracter et d'accepter son voile après des lectures du Coran. L'événement éclaire un peu plus sa personnalité complexe ballotée entre émancipation, conservatisme ou mœurs patriarcales dont elle a hérités.
"Emine n'a pas d'ambitions politiques. Elle ne s'opposera jamais à l'autorité de son mari. En revanche, je la soupçonne en son for intérieur de vouloir imposer sa fille Sümeyye, qui n'est pas mariée, auprès de son père dans toutes les rencontres politiques importantes. Je pense qu'elle nourrit, et son mari adhère aussi à cela, l'espoir que leur fille devienne une figure politique majeure qui prendrait les rênes le moment venu. Tous les deux préparent Sümeyye à occuper une place publique à l'avenir", envisage Mine Kirikkanat.